La Mut’ : un repreneur, sérieux ?

Sujet élu le 2 juillet avec 45% des votes | 108 abonné·e·s

Près d’un an après avoir été entamé, le feuilleton de la vente de la clinique mutualiste de Grenoble (GHM) touche à sa fin. Un seul candidat à la reprise est désormais en lice : il s’agit du groupe Doctegestio. Un acteur qui suscite pour le moins la méfiance.

“La santé n’est pas à vendre, la Mut non plus” affiché le 6 juillet devant la Mut’ en attendant le choix du repreneur.

Ce lundi 6 juillet, les banderoles sont de sortie devant le Groupe hospitalier mutualiste de Grenoble (GHM). Une fois de plus cette année. Histoire de mettre (encore) la pression au conseil d’administration de l’Union mutualiste pour la gestion du GHM (UMGGHM) qui se réunit dans l’après-midi. Quelques heures plus tard, la décision tombe via un communiqué : « l’UMG GHM entre désormais en “négociation exclusive” en vue de la reprise du deuxième acteur de la santé de l’Isère. C’est le projet porté par Doctegestio qui a été retenu à la majorité absolue. »

La fin d’un long suspense, débuté un an plus tôt (voir chronologie ci-dessous). Celui de la vente du second Établissement de santé privé à but non lucratif (Espic, pour Établissement de santé privé d’intérêt collectif) de France, qui compte plus de 430 lits et qui emploie 1100 salariés et 200 médecins. Exit donc la candidature conjointe du Centre hospitalier universitaire (CHU) et de l’Agduc (association grenobloise pour la dialyse des urémiques chroniques) qui avait les faveurs des usagers en tant qu’acteur non lucratif, de même que celle du troisième candidat Vivalto.

Depuis, Bernard Bensaid, le président de Doctegestio, a rencontré une partie du personnel. « Des retours que j’en ai eu, il ne souhaite pas changer grand-chose », rapporte Sylvie*, infirmière du GHM. « Sur le papier, c’est plutôt sympa : il conserverait le statut d’Espic, il n’y aurait pas de licenciement et il garderait les salaires et les primes. » Pour autant, tous les doutes ne sont pas levés. « Je sais qu’il n’a pas une bonne réputation », poursuit l’infirmière. « J’ai eu des échos par des collègues comme quoi il aurait un certain nombre de procès aux fesses, et que ça s’était mal passé ailleurs. Après, je me méfie des bruits de couloirs. Mais c’est sûr que nous ne sommes pas très sereins. Des négociations seraient encore en cours donc nous attendons de voir. »

Le responsable du pôle cancérologie, le Docteur Nicolas Albin souhaite désormais aller de l’avant : « Ce n’était certes pas notre favori, car il n’a pas une grande expérience des hôpitaux, et sa réputation n’est pas très flatteuse. Mais il est difficile de le condamner, car il coche quand même un certain nombre de cases, en répondant positivement à des problématiques que nous soulevions sur le maintien des salaires, des activités et du statut d’Espic. Il est venu nous présenter un projet avec des assurances sur le domaine de la cancérologie notamment. Donc les médecins ont pris acte de cette décision d’Adréa et ne vont pas aller contre. Nous souhaitons désormais passer à autre chose après cette période qui a été assez difficile à vivre et ne pas retarder les échéances. Tout en restant vigilants sur la suite des événements. »

Le collectif d’usagers n’abdique pas

Pour d’autres, la lutte continue. Thierry Carron, délégué syndical Force ouvrière, est ainsi très dubitatif sur la venue de Bernard Bensaid : « Il est venu pour nous dire que tout allait bien se passer. Mais pour résumer, si Doctegestio reprend la clinique, ce sera du sang et des larmes. Il va vouloir résorber la dette de 22 millions en faisant cravacher le personnel. Et dans un ou deux ans, ce sera une catastrophe pour nous et les patients. » La bataille n’est pas encore terminée puisque le 15 septembre, le Comité social et économique (CSE) où siège les syndicats se réunit. Celui-ci pourrait demander un audit pour vérifier que le repreneur a les capacités financières de mener à bien la reprise.

Dans ce combat, est aussi présent le collectif des usagers depuis le début. Celui-ci a presque tout fait pour s’opposer à la vente : pétition, projet de société coopérative, sans compter le nombre de manifestations devant le GHM ou les bureaux d’Adréa.

Le collectif des usagers avait notamment été à l’initiative d’un projet de Société coopérative d’intérêt collectif (Scic) finalement écarté par Adréa en mars.

Pour Hervé Derriennic qui en est l’une des voix, la décision de désigner Doctegestio comme repreneur est une douche froide : « Ce choix est le pire qui pouvait être fait. Pire que Vivalto (l’autre candidat privé, NDLR) qui a au moins de l’expérience dans le domaine de la santé. Doctegestio n’est pas du tout un spécialiste de ces questions-là. Pour être choisis, ils ont dit oui à tout, quitte à demain revenir dessus pour se déjuger. Et pour être sûr de gagner, ils se sont associés avec Icade, un partenaire semi-public pour mettre le plus d’argent sur la table. » Un montant compris entre 72 et 75 millions d’euros est évoqué, même si ce chiffre n’est pas confirmé par Bernard Bensaid (article abonné·e·s Dauphiné-Libéré). Le groupe Icade est quant à lui une filiale de la Caisse des dépôts et consignations, détenu à 40 % par celle-ci.

« Paradoxalement, ce partenariat nous donne un angle d’attaque fort », assure Hervé Derriennic. « Car une grande partie de l’argent apporté lors de cette vente provient d’Icade. Or, cet organisme semi-public participe à un projet qui va à l’encontre des pouvoirs publics que sont la Ville, l’agglomération et le Département. Nous avons déjà rencontré le 10 juillet le maire de Grenoble Éric Piolle, le président de la Métro Christophe Ferrari et la députée Camille Galliard-Minier (suppléante d’Olivier Véran, devenu ministre de la Santé). Et nous avons demandé à ces élus de faire pression sur Icade pour qu’il se retire. D’ailleurs, la seule réserve émise à propos de cette vente a été émise par Icade et porte sur la préemption des bâtiments. Une menace que peut notamment brandir la Métro pour le pousser à faire machine arrière. » Ce recul pourrait permettre aux autres candidats à la reprise, évincés en juillet, de revenir dans la course.

Autre levier pour les opposants à la reprise par Doctegestio : amener certains administrateurs de l’UMGGHM à déposer un recours pour défaut d’information avant la décision. « Le document distribué par Adréa pour éclairer le choix ne comportait rien, aucun chiffre », clame Hervé Derriennic. Le 6 juillet, trois membres du conseil d’administration, affilié à la Mutualité française de l’Isère (MFI), mais minoritaires faces aux six administrateurs d’Adréa, s’étaient prononcés en faveur du partenariat Agduc-CHU et contre Doctegestio.

Avant d’aller taper dans la balle avec Éric Piolle dans le cadre de la campagne électorale pour les élections municipales, François Ruffin était venu soutenir les salariés du GHM le 13 mars.

Doctegestio est-il un repreneur sérieux ?

Si Doctegestio provoque à ce point l’inimitié de ses opposants, c’est parce qu’il traîne une réputation sulfureuse. Michel Abhervé, ancien professeur d’économie sociale et solidaire pendant plus de dix ans à Marne-la-Vallée, et désormais à la retraite, en fait régulièrement état sur son blog. « Je me suis intéressé au groupe Doctegestio quand ils ont affirmé qu’ils étaient dans l’ESS, qu’ils étaient les meilleurs là-dedans et ont tenté de donner des leçons à tout le monde. Or, ils ne sont pas dans l’ESS puisqu’il s’agit d’un groupe privé, né dans la gestion immobilière et qui a compris qu’il y avait de l’argent à se faire dans le médico-social. »

Selon cet universitaire, leur stratégie « malsaine » est « toujours la même » : « Ils arrivent en disant qu’ils vont reprendre l’ensemble des salariés. Donc ils sont choisis car ils semblent être la meilleure offre. Mais quand on reprend une entreprise d’aide à domicile dont la quasi totalité des dépenses est représentée par les coûts salariaux, la seule manière de réduire ces dépenses est de pressuriser les employés. Et en général, quand on regarde les structures un an après l’entrée de Doctegestio, un quart des effectifs est parti. » Comme ce fut le cas dans une clinique de Seine-Saint-Denis appartenant au groupe.

Reste une question que Michel Abhervé, comme beaucoup d’autre sans doute, se pose : « Pourquoi Adréa a choisi cet acteur-là ? » Il avance une hypothèse : « La véritable expertise du groupe Doctegestio, et qu’on ne peut leur enlever, est la gestion immobilière. Ce qui est en général l’une des faiblesses de l’ESS. Or, il me semble que dans le cas du GHM, l’immobilier joue justement un rôle. » En effet, un montage financier un peu particulier (article abonné·e·s Place Gre’Net) unit le GHM à son propriétaire la société civile immobilière Scimi, également sous la coupe d’Adréa : le GHM, déficitaire, paie ainsi un loyer à la Scimi. Mais aussi taxe foncière et travaux d’entretien et de rénovations… à une société par ailleurs bénéficiaire. Et l’ancien professeur de conclure : « Ce dont je suis sûr, c’est que Bernard Bensaid est intéressé par cet aspect immobilier. »

Un autre acteur dauphinois de la santé en lien avec Doctegestio

Avant de se positionner comme repreneur potentiel du GHM, Doctegestio était déjà présent en Isère. Depuis décembre 2018, Bernard Bensaid est le président du Conseil d’administration de l’association d’aide à domicile Aappui, basée à Meylan. Cette structure spécialisée dans le handicap existe depuis 1997. L’une de ses cofondatrices, Emmanuelle Tachker-Perli, en est toujours la directrice, et ne voit que du positif à l’arrivée de Doctegestio :

« D’une part, nous n’avons pas été repris, mais nous nous sommes adossés à Doctegestio. C’est à dire que nous sommes encore autonomes. J’avais rencontré M. Bensaid en septembre 2018, et nous avons conclu ce partenariat en décembre 2018. Il est président et a son mot à dire, mais il nous laisse travailler. Et s’il n’avait pas été là pour injecter de l’argent, nous aurions sans doute dû licencier du personnel.

La surcharge de travail a plutôt été pour les cadres lors de la mise en place de ce partenariat que pour le personnel. Certes, cela était assez effrayant au départ. Mais cela nous a permis une mutualisation, une digitalisation de nos services supports, qui ont permis une meilleure organisation du travail et au final une amélioration des conditions de travail. D’autre part, les salariés ont ainsi accès à des avantages au niveau du groupe, ou ont la possibilité de travailler ailleurs en France dans d’autres structures s’ils le demandent.

Concernant le GHM, je ne me fais franchement pas d’inquiétude : Bernard Bensaid nous en a déjà parlé pour savoir si nous serions capable de prendre en charge des personnes en sortie d’oncologie, ou de gériatrie comme nous le faisons déjà avec le CHU. L’idée étant d’avoir un parcours de soin global. »

Un témoignage à nuancer, au moins pour partie. Car certaines sources nous ont donné une version sensiblement différente de l’arrivée de Doctegestio : à savoir que celle-ci n’avait pas été le fait d’une volonté interne de l’association, mais avait été imposée par le Département de l’Isère, principal interlocuteur de l’association au travers de la Prestation de compensation du handicap (PCH) ou de l’Aide personnalisée à l’autonomie (APA). Pour autant, ces mêmes sources soulignaient le sérieux d’Aappui avant la venue de Bernard Bensaid, sans savoir dire quelle était l’influence de celui-ci dans l’organisation actuelle.

Reportage, frise chronologique et photos de Florian Espalieu, journaliste web grenoblois.

*Le prénom a été changé.


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