27% de femmes scientifiques en France, et à Grenoble ?

Illustration : Une chercheuse travaille à la mise en place de cristaux de protéine sur une ligne de rayons X de l’Installation européenne de rayonnement synchrotron (ESRF) de Grenoble.

Sujet élu le 2 mars avec 36% des votes, à égalité | rejoindre les 82 abonné·e·s

Selon l’Institut de statistique de l’UNESCO, en 2019 moins de 30% des chercheurs dans le monde sont des chercheuses. En France, elles sont seulement 27%. Et à Grenoble ? 

Le bassin grenoblois est réputé pour être un des centres scientifiques français majeurs. Pourtant, on compte peu de femmes dans les sciences dites “dures” (mathématique, physique, informatique…). D’après le dernier rapport de la Direction de l’évaluation, de la prospective et de la performance (DEPP) consacré aux parcours scolaires et universitaires des filles et des garçons datant de 2022, les filles s’orientent moins vers les filières scientifiques, sauf celles liées au secteur de la santé. Dans la voie générale, et si on enlève les Sciences de la vie et de la terre, elles ne sont que 35% en spécialité maths/physique-chimie, 13% en maths/sciences de l’ingénieur et 11% en maths/numérique, sciences informatiques.

Extrait du dernier rapport de la DEPP, concernant la part de femmes dans l’enseignement supérieur.

Dans l’enseignement supérieur, les femmes sont plus nombreuses à être diplômées, 53% contre 46% pour les hommes. Mais elles ne représentent que 29 % des élèves en formation d’ingénieur, et 31% en classes préparatoires aux grandes écoles scientifiques.

Une exposition pour montrer l’exemple

Du 20 novembre au 5 décembre 2021, 21 portraits de femmes scientifiques grenobloises étaient visibles au Jardin de Ville. Cette exposition baptisée « La Science taille XX elles » a été élaborée par le CNRS et l’association Femmes et Sciences. Elle consiste à faire poser des femmes scientifiques de leur ville. Après une première exposition à Toulouse en 2018, puis à Lyon en 2019 et en Île-de-France en 2020, l’exposition s’est déclinée en 2021 à Grenoble. “Elle est née de notre volonté de montrer des exemples pour motiver les filles à se lancer dans les sciences. Il ne s’agit pas de prix Nobel, ce sont des chercheuses, ingénieures, techniciennes…”, décrit Fairouz Malek, directrice de recherche au CNRS et coordinatrice de l’exposition. Cette dernière est engagée depuis de nombreuses années en faveur de la parité en sciences. Elle a notamment co-fondé l’association Parité Science à Grenoble en 2002 et en a été sa première présidente. Même au CNRS, les inégalités subsistent :

Je constate des disparités. Par exemple, un homme va plus rapidement grimper les échelons. Pour passer de chargé de recherche à directeur de recherche, ce temps est plus court d’au moins cinq ans par rapport à une femme.

Fairouz Malek, directrice de recherche au CNRS.

Il ne devrait pas y avoir de différence de salaire puisque nous sommes fonctionnaires. Pourtant, à l’heure actuelle, je suis moins payée qu’un homme qui a la même carrière que moi, puisqu’il a atteint un grade plus élevé que le mien. 30% d’hommes passent au grade supérieur par rapport aux femmes”, déclare Fairouz Malek.

L’exposition “La Science taille XX elles” compte 21 portraits de femmes scientifiques grenobloises. Ils sont actuellement exposés à Valence. © Vincent Moncorgé – CNRS / Femmes & Sciences / Parité Science / UGA / Grenoble INP – UGA / Inria – 2021-2022

Le CNRS a publié le 20 décembre 2021 des chiffres concernant la parité. En 2020, le Centre comptait en moyenne 43,1 % de femmes sur 33 000 personnels. La parité est atteinte pour la catégorie des ingénieurs et techniciens (IT) avec 50,2 % de personnel féminin en 2020. En revanche, la proportion féminine diminue par rapport à 2000 où les femmes étaient 52,2 % dans cette catégorie. 

Des traitements différents que pour les hommes

Le bassin grenoblois compte cinq grands laboratoires et instruments internationaux, ainsi que neuf organismes de recherches. Giovanna Fragneto a commencé à travailler à l’Institut Laue-Langevin (ILL) en 1997, après des études de chimie en Italie, puis un doctorat à Oxford en physique-chimie. Elle a également milité pendant 20 ans au sein de Parité Science. “C’est l’association qui m’a fait ouvrir les yeux sur certaines choses. Avant je ne me rendais pas compte des discriminations. Je n’en ai jamais subi, mais on m’a déjà fait des réflexions.” En 2015, elle devient la première femme “group leader” à l’ILL, c’est-à-dire cheffe d’une équipe de 50 à 60 personnes.

“Une collègue est devenue cheffe d’un autre groupe peu de temps après. Un de nos directeurs nous a convoqué toutes les deux et nous a proposé d’avoir des vice-chefs, soi-disant car nous aurions besoin d’aide. Cela n’a pas été proposé à nos collègues masculins. Pourtant, nous avions toutes les deux beaucoup de succès et nous étions très efficaces.

Giovanna Fragneto, cheffe d’équipe à l’Institut Laue-Langevin.

Michela Brunelli est physicienne. Italienne d’origine, elle s’est installée à Grenoble il y a une vingtaine d’années pour finir son doctorat. Après des années dans ce métier, elle n’a pas obtenu de position permanente à l’ILL, ni à l’ESRF : “En tant que femme, nous n’avons pas le même traitement que les hommes. Je l’ai constaté une première fois lors de mon congé maternité. Avant, j’avais une position de “senior”, avec un bon salaire. À mon retour, j’ai dû accepter une position plus basse, de post-doctorante, avec un salaire 25% plus bas”,  regrette-t-elle.

À 50 ans, elle envisage une reconversion professionnelle:  “Ce n’est pas un vrai choix. Depuis que j’ai eu mes enfants, ma carrière n’a pas progressé. C’est soit accepter un travail dans les sciences avec un salaire plus bas et des horaires qui ne me conviendraient pas, soit changer de domaine. Car ma priorité maintenant c’est de m’occuper de mes enfants. J’aimais beaucoup mon travail, cela ne me dérangeait pas de faire des heures supplémentaires. Donc cela me rend triste de devoir en changer. Mais je n’ai pas de perspective.” Elle rajoute : “Il ne s’agit pas uniquement du congé maternité car j’ai d’autres collègues à l’ESRF qui se retrouvent dans la même situation que moi, alors qu’elles n’ont pas d’enfants.”  

Le combat pour l’égalité salariale au sein de STMicroelectronics

Si dans la recherche publique, la parité semble presque atteinte, ce n’est pas le cas dans le secteur privé. Au sein de STMicroelectronics (STM), onze salariées, techniciennes, opératrices et ingénieures des sites de Grenoble et Crolles ont saisi l’inspection du travail et ont chacune engagé une procédure judiciaire devant le Conseil des Prud’hommes de Grenoble en octobre 2016. “En 2007, j’ai rejoint l’UGICT, le syndicat des technicien·ne·s, opérateur·trice·s, ingénieur·e·s et cadres chez STM. Comme ils ont accès aux données de l’entreprise, j’ai vu les écarts de salaires pour la première fois. On est sur un écart de 300 à 400 euros par mois entre un homme et une femme”, raconte Nadia, ingénieure en Recherche et Développement micro-électronique chez STM depuis 1999.

Christelle, elle, est ingénieure de test et a rejoint le syndicat en 2011 : “Mon mari et moi avons été embauchés en même temps chez STM, en 1990. Depuis, nous avons eu quatre enfants. Sa carrière a avancé, pas la mienne.” Elle renchérit : “En 30 ans de carrière, je trouve que nous n’avons pas avancé. Il y a moins de blagues sexistes certes, mais l’écart salarial ne bouge pas et les femmes n’arrivent pas à obtenir des postes haut placés.”

Nadia, ingénieure chez STMicroelectronics, manifeste avec le drapeau de la CGT lors de la journée internationale des droits des femmes, le 8 mars 2022.

Malgré des décisions de justice favorables, le combat continue. Dix salariées ont fait appel et attendent une nouvelle date. La onzième a été dépaysée à Valence et a gagné son procès, STM a donc fait appel. Elles réclament notamment un panel de comparants (voir encadré ci-dessous), ce qui leur permettrait de se comparer à des hommes embauchés chez STM, dans les mêmes conditions qu’elles (même niveau de diplôme, même coefficient, etc…). Elles pourraient ainsi prouver la discrimination. Une des onze femmes a formé un pourvoi en cassation pour lequel un arrêt favorable a été rendu le 16 mars 2021.

La méthode des panels ou méthode “Clerc”

Cette méthode a été mise au point au cours des années 1990 par François Clerc, syndicaliste à la CGT et chargé des dossiers relatifs aux discriminations. Elle était utilisée pour comparer les carrières des militants syndicaux à celles d’un panel de salariés avec une ancienneté équivalente, un même niveau d’embauche, placés dans des conditions de travail similaires. 

Il faut procéder en trois étapes : d’abord construire un panel de « salariés-comparants » ; puis faire un calcul de moyennes ; et enfin comparer des données avec la situation du salarié discriminé. Ces panels sont transposés en graphiques et histogrammes. C’est ensuite à l’employeur, selon le Code du travail, de prouver que cette différence de traitement est justifiée par des éléments objectifs. Cette méthode s’applique en principe à toutes les discriminations fondées sur le sexe, l’origine ou encore le handicap.

Le premier accord portant sur l‘égalité professionnelle entre les femmes et les hommes chez STM date de 2006. Fin 2020, les négociations pour renouveler cet accord ont échoué : la CGT et la CFDT n’ont pas signé le projet. Le 30 décembre 2020, la direction de STM a donc édicté un Plan d’action unilatéral relatif à l’égalité professionnelle entre les femmes et les hommes et la qualité de vie au travail. 

Contactés, l’ILL, l’ESRF et STM n’ont pas donné suite à nos demandes.

Encourager les filles à faire des sciences

Depuis de nombreuses années, l’association Parité Science organise des interventions dans les collèges et lycées pour encourager les filles à faire des sciences. “Nous sommes deux, un homme et une femme. Nous leur présentons nos métiers et nos parcours. À la fin, nous leur posons la question “qui pense faire des sciences plus tard ?” Automatiquement, ce sont des garçons qui lèvent la main. Puis quand j’insiste en demandant si des filles seraient intéressées, une lève timidement la main et répond qu’elle pense faire médecine ou travailler dans le “care”. Pas une d’entre elles ne veut faire des sciences dures”, déclare Fairouz Malek.

L’association Parité Science et Phelma réalisent des affiches lors des Forums des métiers pour montrer l’impact des stéréotypes de genre.

Anna Peixoto, chercheuse et travaillant au Laboratoire de physique subatomique et de cosmologie (LPSC) depuis octobre 2021 est également du même avis : “Je pense qu’il faudrait organiser davantage d’interventions dans les écoles, dès l’école primaire. Si des scientifiques ou chercheuses venaient nous présenter leur métier, nous aurions davantage de modèles.” Son attrait pour les sciences lui vient d’ailleurs d’une visite qu’elle a faite au lycée : “Nous avions ce qui s’appelle des summer school, c’est-à-dire que nous faisions des visites dans des universités notamment. Un jour nous avons visité un laboratoire et c’est là que je me suis rendue compte que je voulais travailler dans ce domaine”, se souvient-elle. 

La question des inégalités se pose également dans les écoles d’ingénieurs. Avec la loi de transformation de la fonction publique du 6 août 2019, Grenoble INP a dû mettre en place un plan d’action pluriannuel pour l’égalité professionnelle entre les femmes et les hommes. Ce plan étant obligatoire et assorti de sanctions, les écoles ont donc mis plus de moyens en faveur de l’égalité professionnelle. En 2012, Grenoble INP a créé la fonction de “chargé de mission pour l’équité femmes-hommes”. Céline Ternon, enseignante-chercheuse, occupe ce poste depuis février 2020 et pour une durée de quatre ans. “Nous organisons de nombreuses actions communes avec l’UGA, notamment la Journée Femme IngénieurE. Nous avons également participé à l’exposition “Science taille XX elles” et au concours Ingénieuses. Nous sommes en train de créer un programme de mentorat pour accompagner les carrières de tous les personnels de Grenoble INP-UGA dans un objectif de développement de carrière sans biais de genre. Enfin, nous sommes en train de développer une plateforme de signalement des violences sexistes et sexuelles, commune pour le personnel et les étudiant·es”, explique-t-elle. 

La part d’étudiantes dans les grandes écoles d’ingénieurs n’a pas progressé en dix ans, d’après une étude de l’Institut des politiques publiques (IPP) publiée mardi 19 janvier 2021. Cette dernière analyse les origines des étudiant·e·s de 234 grandes écoles. Les femmes représentaient 26 % des promotions des écoles d’ingénieurs en 2016-2017 (21 % dans les écoles les plus mieux classées), comme dix ans plus tôt. 

Céline Ternon, enseignante-chercheuse, réalise également des interventions dans les écoles qui en font la demande. “L’objectif c’est aussi de travailler en amont, bien avant l’entrée en école d’ingénieur. Nous avons des interactions avec la Maison pour la science, qui forme des professeur·e·s du primaire au lycée à la démarche scientifique. Nous réalisons donc des formations sur l’égalité, le genre et les stéréotypes à destination des enseignant·e·s pour qu’ils prennent conscience de l’importance de leur rôle dans la création des stéréotypes et biais de genre”, précise-t-elle.

Cependant, certaines mesures prises récemment par le gouvernement vont faire régresser la présence des femmes dans les sciences. C’est notamment le cas de la réforme du lycée de Jean-Michel Blanquer. En 2019, dernière année de terminale avec l’ancienne répartition en filière, il y avait 47,5% de filles en terminale Scientifique. En 2021, elles ne sont plus que 39,8% en spécialité maths, selon les données du Ministère de l’Éducation nationale. Ce taux est au plus bas depuis 1994, où les filles étaient 40% en filières mathématiques. Ce chiffre baisse encore davantage si l’on regarde la part de filles dans l’option mathématiques expertes, destinée à compléter la spécialité maths : elles ne sont plus que 31,4%. Face à de nombreuses critiques, le gouvernement pourrait faire marche arrière. 

Pour aller plus loin : Le paradoxe de l’égalité des sexes. Article de The Conversation

Reportage réalisé par Lola Manecy
Illustration Alice Quistrebert

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La démocratie selon Éric Piolle

Sujet élu le 6 janvier avec 34% des votes, à égalité | rejoindre les 81 abonné·e·s

Depuis l’élection d’Éric Piolle en 2014, la Ville de Grenoble a mis en place de nombreux dispositifs de participation citoyenne : la votation d’initiative citoyenne, les chantiers ouverts au public, le budget participatif, les conseils citoyens indépendants… Mais concrètement, comment s’articule le dialogue entre la municipalité et les habitant·e·s, et avec l’opposition ?

Depuis 2017, la Ville de Grenoble est régulièrement récompensée pour les dispositifs de participation citoyenne qu’elle a mis en place. En 2021, pour la cinquième fois, elle a remporté un trophée décerné par la Gazette des communes (journal dédié à l’actualité des communes, départements et régions) et le think thank Décider ensemble, et a reçu la mention spéciale du jury pour la Convention citoyenne Covid

Cependant, en 2017, le collectif “Touchez pas à nos bibliothèques” a demandé au jury d’annuler la distinction car la Ville avait refusé de présenter leur pétition contre la fermeture des bibliothèques à la votation citoyenne. Autre coup dur, le Tribunal administratif de Grenoble a annulé le dispositif d’interpellation et de votation citoyenne le 24 mai 2018.

En prenant pour exemple le budget participatif, on se rend compte qu’à Grenoble, si le nombre de participants augmente, il reste inférieur à des villes comme Rennes ou Angers, comparables à Grenoble en terme de taille. Rennes a lancé son budget participatif en 2016 et Angers en 2018. Dans le détail, les conditions des budgets participatifs diffèrent. À Grenoble les habitant·e·s doivent avoir plus de 16 ans, à Angers 11 ans et à Rennes, il n’y a pas de condition d’âge ou de nationalité. Concernant le budget alloué par an, il est de 800 000 euros à Grenoble, 1 million à Angers et 3,5 millions à Rennes.

Annabelle Bretton, adjointe déléguée à l’Éducation populaire, jeunesse et démocratie ouverte, dresse le bilan de ces outils de participation citoyenne : “Nous essayons d’adapter au mieux tous ces dispositifs. Il faut être en capacité de se réinventer si cela ne fonctionne pas. Nous n’avons jamais arrêté un dispositif. Par exemple, la loi impose la mise en place des Conseils Citoyens Indépendants (CCI) [ndlr : dans les quartiers prioritaires]. C’est le dispositif qu’on a le plus évalué via le Comité de suivi et d’évaluation géré par les citoyens et qui a le plus évolué.” Elle précise : “La charte des CCI a été réécrite en 2018 avec les habitant·e·s pour modifier la façon dont on intègre un CCI et pour ainsi l’ouvrir à plus de gens. En dehors des élus, seuls les CCI ont le droit de formuler une question orale au maire de Grenoble, en début de conseil municipal. J’ai d’ailleurs été tiré au sort en 2015 pour intégrer un CCI, donc je suis la preuve que la participation citoyenne fonctionne, j’en suis moi-même issue”, se rappelle-t-elle.

Rupture de dialogue avec l’association Alliance Citoyenne

Les citoyen·ne·s choisissent parfois d’autres moyens pour s’exprimer. Le cas de l’Alliance Citoyenne est emblématique et illustre une rupture de dialogue avec la municipalité. Cette association qui existe depuis 2012 est composée de trois syndicats principaux : le syndicat des locataires de Grenoble Habitat, celui des handi-citoyen·ne·s et celui des femmes musulmanes. Elle prône l’action directe non violente. Ces trois syndicats ont tous à leur manière été en conflit avec la municipalité. 

Audrey a emménagé il y a cinq ans dans un logement du bailleur Grenoble Habitat. Ce dernier est détenu à 51% par la ville et les 49% restants appartiennent à des investisseurs privés et institutionnels. Rapidement, elle constate de gros dysfonctionnements (pannes électriques, inondations, etc) mais on ne lui répond pas lorsqu’elle contacte Grenoble Habitat. Elle rejoint l’Alliance Citoyenne et devient membre du syndicat des locataires. L’Alliance Citoyenne multiplie les actions pour se faire entendre, en vain. En mai 2018, l’association lance une pétition, signée par 507 locataires pour réclamer une résolution des problèmes rencontrés par les locataires de Grenoble Habitat. Le bailleur social les soupçonne d’avoir volé leur fichier de locataires et porte plainte contre X pour “vol de fichiers” en juin 2018. Selon l’Alliance Citoyenne, “Ils ont pu prendre cette décision car les élu·e·s l’ont permis. En effet, le Conseil d’administration de Grenoble Habitat est composé d’élu·e·s de la ville qui y sont majoritaires. Ce qui veut dire que la décision a d’abord été validée par le conseil et donc par les élu·e·s.”

En décembre 2020, la situation s’envenime à la suite d’une action au siège de Grenoble Habitat, la présidente du bailleur, Barbara Schuman, porte plainte pour “violence en réunion”. Audrey explique : “Elle a déclaré que nous avions frappé des salariées femmes lors de cette intervention. Heureusement nous avions des vidéos et la police a classé le dossier sans suite.” Depuis, les élus ont envoyé un courrier à l’Alliance Citoyenne pour signifier qu’il n’y aurait plus aucun échange. “La municipalité exige qu’on ne fasse plus d’actions pour dialoguer. Sauf que c’est notre mode de fonctionnement. Ces actions sont mises en place car justement le dialogue est inexistant”, renchérit Fatiha, également membre du syndicat des locataires.

Éric Piolle le 7 février au conseil municipal de Grenoble (temporairement dans les locaux de la Métro).

Autre cas emblématique, celui du syndicat des femmes musulmanes. “Nous avions commencé à nous organiser puis nous avons rejoint l’Alliance Citoyenne. Au départ, nous voulions juste pouvoir porter les tenues de notre choix. Via un questionnaire rempli par de nombreuses femmes et filles, il apparaissait qu’elles voulaient avoir la liberté de se couvrir davantage, par respect pour leur religion ou simplement parce qu’elles sont complexées par leur corps. Sauf que le règlement l’interdit”, raconte Taous, membre du syndicat des femmes musulmanes.

En septembre 2018, elles rencontrent plusieurs élu·e·s, notamment Sadok Bouzaïene (ancien adjoint aux Sports), Emmanuel Carroz (ancien adjoint à l’égalité des droits) et Émilie Oddos, (ancienne cheffe du cabinet d’Éric Piolle). “On nous a jeté des fleurs en nous disant que c’était super que des personnes concernées s’emparent de ces sujets. On a crié victoire tout de suite. Ils nous ont promis un retour d’ici la fin de l’année”, se rappelle Taous. L’association déchante vite, la municipalité ne donne plus aucune nouvelle. L’Alliance décide de passer à l’action au mois de juin 2019. Plusieurs femmes se sont baignées avec un maillot de bain couvrant, malgré l’interdiction.

Pour moi, il n’y a pas de démocratie. En 2022, les femmes ne peuvent pas porter le maillot de bain de leur choix. Le maire refuse de nous recevoir, alors que nous sommes des citoyennes. Il bafoue nos droits.

Taous, membre du syndicat des femmes musulmanes.

Peu de temps après leur action, le maire de Grenoble avait en effet déclaré : “Je me refuse d’entrer dans un dialogue avec des revendications communautaristes.” Il avait tout de même demandé une clarification au Premier ministre Jean Castex en lui adressant une lettre le 18 juin 2021. Il a également pris position dans un tweet le 17 février dernier en faveur des Hijabeuses.

Interrogée sur l’Alliance Citoyenne, Annabelle Bretton répond : “Je ne peux pas prendre partie car ce sujet est devenu très politique. Ce que je peux dire, c’est que la méthode de l’Alliance Citoyenne, qui est l’action directe, fait peur aux agent·e·s et aux élu·e·s. Moi je pars du principe que cela reste des citoyen·ne·s qui s’expriment, quelle que soit leur façon de le faire.” Elle ajoute : “Lorsqu’il y a eu l’intrusion dans les piscines, c’est moi qui ai répondu à la presse. Les journalistes voulaient absolument m’entendre dire que je condamnais leur action. Je leur ai répondu que je ne condamnais pas des citoyens qui s’expriment, sauf lorsqu’il y a de la violence bien sûr.”

Depuis, l’Alliance Citoyenne s’est saisie du dispositif d’interpellation citoyenne de la Ville de Grenoble et a lancé “une pétition pour demander l’accès aux piscines pour toustes” en octobre 2021. Le syndicat des femmes musulmanes a récolté environ 200 signatures. 

En effet, le 14 juin 2021, le conseil municipal a voté la mise en place de trois nouveaux dispositifs de participation citoyenne : la médiation d’initiative citoyenne, l’atelier d’initiative citoyenne et une version modifiée du dispositif d’interpellation et de votation citoyennes. Pour les activer, un même mode opératoire : les citoyen·ne·s devront recueillir un nombre suffisant de signatures. Il en faudra 50 en un mois, pour obtenir une médiation d’initiative citoyenne ; 1000 en trois mois pour la mise en place d’un atelier d’initiative citoyenne ; et 8000 soutiens soit 5% de la population, à rassembler en douze mois, pour activer le dispositif d’interpellation et de votation citoyenne. Un seuil nettement plus haut que dans l’ancien dispositif, où 2000 signatures suffisaient. Pour remporter la votation, les pétitionnaires devront être majoritaires et que le vote obtienne au moins 16 000 voix – soit l’équivalent de 10% de la population grenobloise –, au lieu des 20 000 auparavant.

Enfin, une ultime médiation a été menée mercredi 19 janvier 2022 entre la mairie et les membres de l’Alliance Citoyenne. La municipalité a répondu “non”, arguant que la question devait être débattue en conseil municipal. L’élue à l’Égalité des droits Chloé Le Bret, impliquée dans la médiation, a démissionné. Elle explique :

Nous avons travaillé sur le sujet pendant trois mois. Nous avions réussi à reconstruire une relation de confiance avec l’Alliance Citoyenne. J’avais demandé au co-président du groupe Grenoble en commun d’organiser un débat pour trancher, quelques semaines avant la fin de la médiation. On m’a refusé ce débat. C’est une question de droit des femmes, qui concerne le corps des femmes. Et la municipalité en a fait une question confessionnelle et a toujours refusé d’en discuter avec les membres du syndicat des femmes musulmanes. Ce sujet n’a jamais été débattu au sein de la majorité.

Chloé Le Bret, ancienne élue à l’Égalité des droits.

Autre élément déclencheur, la cheffe de cabinet d’Éric Piolle, Lydia Cherifi est venue assister à la dernière médiation : “C’est aussi la goutte d’eau qui m’a fait démissionner. Elle a eu le droit de venir sur décision du maire, sans que les élu·e·s en charge soit au courant. Nous avons pris cela pour de la défiance envers nous, qui gérons le dossier.” Elle rajoute :  “L’Alliance Citoyenne était très étonnée de la voir ici et lui a donc demandé, à juste titre, la raison de sa présence. Elle leur a répondu que c’est parce que le maire s’intéressait à la question. Cela a donc fait rire les membres du syndicat des femmes musulmanes qui attendent un rendez-vous avec le maire depuis quatre ans. La réunion s’est donc très mal passée à cause de sa présence.”

Le groupe de la majorité Grenoble en commun a réagi à sa démission par voie de communiqué, vendredi 21 janvier 2022, annonçant prendre acte de ce départ : “Ce choix lui appartient et doit être respecté. Nous sommes confiants dans sa volonté et sa capacité à porter, dans le champ militant et associatif qui lui conviendra le mieux, son combat pour l’émancipation et les droits humains.” Le groupe a indiqué qu’il “poursuivra son travail” et qu’il veillera à ce que les débats se tiennent “en retrait du tumulte médiatique”. 

Conseil municipal du 7 février 2022 dans les locaux de la Métro.
Annabelle Bretton est la troisième élue à gauche au premier rang.

Malgré tout, Annabelle Bretton, adjointe à la démocratie ouverte considère que le dispositif de la médiation fonctionne : “Nous avons douze demandes de médiation en cours dont deux avec l’Alliance Citoyenne. Cette médiation ne s’est pas mal passée dans la mesure où pendant trois mois, il y a eu de nombreux échanges entre les élus et l’association. En tant qu’adjointe, je suis garante du délai de trois mois à respecter pour répondre aux administrés. Ici la réponse est négative.” Elle met également en avant le rôle d’Éric Piolle dans le processus : “On me laisse faire. C’est le maire qui m’a dit de mettre en place les dispositifs d’interpellation au plus vite, notamment le seuil de 50 signatures. Il savait très bien que le dialogue pourrait ainsi reprendre avec l’Alliance Citoyenne.”

Plus récemment au sein de l’Alliance, le syndicat des handi-citoyens a lui aussi du mal à s’entendre avec la municipalité. “À titre personnel, j’ai été victime de panne d’ascenseur dans ma résidence. Lorsque je contactais Grenoble Habitat, je mettais les élus en copie (voir capture d’écran ci-dessous) et pas de réponse, sauf quand l’Alliance Citoyenne menaçait de faire une action”, raconte Marion, membre des handi-citoyens et locataire de Grenoble Habitat. “Cela a une incidence directe puisque le syndicat des handi-citoyens ne siège pas à la Commission communale d’accessibilité, car Luis Beltran-Lopez refuse de recevoir les membres de l’Alliance”, dénonce Elies, salarié de l’association. Luis Beltran-Lopez, conseiller municipal délégué Handicap et accessibilité, reconnaît quant à lui qu’il y a eu des tensions avec l’Alliance mais il indique qu’il n’a pas de problème avec ses membres :

C’était difficile pour nous en tant qu’élus de les recevoir car ils avaient des méthodes plutôt dynamiques et révolutionnaires pendant une période. Mais je continue à les rencontrer à plein d’événements, notamment pendant le mois de l’accessibilité. Concernant la Commission, je n’ai eu qu’une seule demande de leur part en tout début de mandat pour la rejoindre. Et ils ne sont pas revenus vers moi par la suite.”

Luis Beltran-Lopez, conseiller municipal délégué Handicap et accessibilité.

Capture d’écran d’un mail envoyé par Marion le 4 octobre 2021 à Grenoble Habitat et à plusieurs élu·e·s.

D’autres associations sont très critiques vis-à-vis de la municipalité. C’est le cas du Dal 38 (Droit Au Logement) : “La mairie de Grenoble n’est absolument pas à la hauteur de la crise du logement cher, et nous comptons sur le rapport de force pour faire infléchir sa politique. Les rares avancées obtenues l’ont été suite à des actions (occupation de GEG pour obtenir le rétablissement de l’électricité dans le squat du 6 rue Jay par exemple).” Le Dal 38 condamne la politique du logement de la Ville :  “Elle va dans le sens de la disparition de logements sociaux, de la baisse du budget du CCAS concernant l’hébergement, de non-respect des droits des habitant·e·s des bidonvilles et squats, de poursuite des expulsions et des coupures, de vente du patrimoine municipal, du manque d’efforts sur la production de HLM bon marché.” 

Entre 2016 et 2018, la Ville de Grenoble a expérimenté le dispositif de la votation d’initiative citoyenne. Cela permettait la tenue d’un débat en Conseil municipal si une pétition de 2 000 signatures était obtenue. Ensuite, soit le conseil entérinait la décision, soit il la soumettait au vote des habitant·e·s. À défaut de 2000 votes favorables, le projet était enterré. En deux ans, seules trois pétitions ont été signées par plus de 2 000 personnes, et une seule a été portée devant le conseil municipal. Il s’agissait d’abroger les nouveaux tarifs de stationnements. Le “oui” l’a emporté avec 66% des voix, soit 4 515 voix sur 6 618 votants, loin des 20 000 voix requises par le dispositif. 

Le Dal 38 est intervenu deux fois au conseil municipal lors du premier mandat d’Éric Piolle, notamment avec la pétition qui a obtenu 2000 signatures contre la démolition du 20 galerie de l’arlequin. Là aussi, le mécontentement est manifeste : “Il est vite apparu qu’il s’agissait d’un simulacre démocratique et d’un débat tronqué, qui n’a donné aucune suite concrète à part le sentiment renforcé d’un mépris envers les habitants des quartiers populaires, et d’avoir perdu du temps à récolter deux mille signatures.  C’est pourquoi sous le second mandat, nous n’avons jamais exigé d’être reçus, ni invités.”

D’autres syndicats comme Sud Collectivités Territoriales et Solidaires 38 font également un bilan peu élogieux de la municipalité. Delphine* est membre du de Solidaires Isère et fait également partie de Sud Collectivités Territoriales, elle analyse : “Lors du premier mandat d’Éric Piolle, il n’avait pas de politique sociale. Cela a mis en difficulté beaucoup de militant·e·s. Certains élu·e·s faisaient partie de ces collectifs. Le réseau militant a mis du temps à se reconstruire car il y avait un sentiment très fort que cette mairie utilisait ces luttes pour faire de la communication. Sous le second mandat, il n’y a pas non plus eu d’avancées sociales.

Solidaires 38 dialogue peu avec la mairie car le syndicat n’en a pas vraiment besoin, sauf pour des négociations par rapport à ses locaux. En revanche, Sud Collectivités Territoriales est davantage présent dans les luttes puisqu’il est au service des agent·e·s des collectivités. Il a récemment pris part au mouvement des bibliothécaires qui dans un premier temps, portait sur la fermeture de plusieurs bibliothèques, puis dans un deuxième temps, protestait contre la vérification du pass sanitaire dans les bibliothèques. “Là il y a eu une absence de dialogue social. Toute l’intersyndicale, même la CFDT est partie car l’élu délégué du personnel, Pierre Mériaux, était odieux. La seule chose qu’elles ont obtenue c’est que le pass sanitaire des moins de 18 ans ne soit pas contrôlé et la mairie a fait installer des bornes pour que les gens scannent eux-mêmes leur pass”, commente Delphine. 

Pour d’autres, les relations avec la municipalité se sont améliorées. Thibaut Dehut, un des quatre co-président de l’Union de quartier Notre-Dame depuis septembre 2021 et membre du Cluq (Comité de Liaison des Unions de Quartier de Grenoble) dresse le bilan : “Les relations avec la municipalité étaient bloquées lors de l’ex-présidence de Gérard Hudault. Il y avait des tensions récurrentes donc très peu de dialogue. Depuis le dialogue a repris, même si ce n’est pas 100% parfait. Lorsque nous contactons la mairie, on nous répond. Nous échangeons régulièrement avec les services, notamment lors de l’installation d’une nouvelle terrasse dans notre secteur”. Sur cette question, l’Union de quartier a donné son avis, puis téléphoné aux services concernés. Elle a ensuite adressé un courrier au maire. “Par exemple, lorsque la mairie a annoncé la piétonisation de la place Notre-Dame, les habitants n’avaient pas été consultés. L’Union de quartier Notre-Dame ne s’est donc pas prononcée. Nous avons ensuite organisé un temps d’échange avec les commerces puis nous avons pris rendez-vous avec la mairie où nous avons été reçus par Maxence Alloto (adjoint chargé des commerces), Gilles Namur (chargé des espaces publics) et Alan Confesson (maire adjoint du Secteur 2). Nous avons donc de bons rapports. Mais ce n’est pas le cas de toutes les unions de quartiers, certaines sont très opposées à la municipalité et du coup cela ne se passe pas bien.

“Éric Piolle n’intègre pas l’opposition”

Lors du conseil municipal du 7 février 2022, les tensions étaient palpables entre les élu·e·s de l’opposition et la majorité. Émilie Chalas, députée de l’Isère et conseillère municipale membre du groupe Nouveau regard, est l’une des figures de cette opposition. “J’ai travaillé pendant 13 ans à la mairie de Moirans, et je voyais bien comment se passaient les conseils municipaux. À Grenoble, c’est différent. Éric Piolle ne répond jamais aux questions. En deux ans, nous n’avons eu aucun échange constructif et la majorité n’a voté aucun dispositif de l’opposition”, condamne Émilie Chalas. Pour elle, Éric Piolle n’intègre pas l’opposition :

Dans sa vision politique, si on n’est pas d’accord avec lui, on est un ennemi. Pourtant, nous sommes légitimes à porter une parole car nous représentons une partie des Grenoblois·es. Nous avons autant de légitimité que la majorité à nous exprimer, c’est juste qu’ils sont plus nombreux. Mais ça, ils l’ont oublié. Éric Piolle continue à être le maire de son électorat.”

Émilie Chalas, députée de l’Isère et conseillère municipale de l’opposition.

L’opposition est en train de préparer une délibération pour réclamer que l’ordre du jour ainsi que les contenus et annexes leur soient transmis cinq jours avant le conseil municipal pour pouvoir travailler. Concernant la démocratie participative grenobloise, Émilie Chalas ne mâche pas ses mots : “Éric Piolle ne crée pas de débat, il interroge des gens qui sont d’accord avec lui, ce n’est pas ça la participation citoyenne.”

De gauche à droite, Émilie Chalas et Delphine Bense du groupe Nouveau regard, Anne Chatelain-Roche (non inscrite), lors du conseil municipal du 7 février 2022.

La politique culturelle d’Éric Piolle ne fait pas non plus l’unanimité. Elle est critiquée par les milieux culturels grenoblois. France Culture a enquêté sur “La révolution culturelle de l’écologie politique à Grenoble”, ainsi que le Monde Diplomatique dans son numéro de décembre 2021, avec un dossier consacré aux “écologistes à l’épreuve du pouvoir”

Contacté, via son service presse à maintes reprises, Éric Piolle n’a manifestement pas souhaité nous accorder d’interview.

Reportage réalisé par Lola Manecy
Illustration Alice Quistrebert
Graphique Ludovic Chataing

*le prénom a été modifié

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Comment réagissent les enfants face au Covid ?

Sujet élu le 6 janvier avec 34% des votes, à égalité | rejoindre les 85 abonné·e·s

À partir du 15 décembre 2021, la vaccination a été recommandée pour les enfants de 5 à 11 ans à risque de développer une forme grave de Covid-19 et pour ceux qui vivent dans l’entourage d’une personne immunodéprimée ou porteuse de maladie grave. Une semaine plus tard, elle s’est finalement ouverte à tous les autres enfants du même âge. Depuis le début de la crise sanitaire, ces derniers ont vécu un confinement, puis deux, puis trois. Le port du masque est devenu obligatoire le 3 janvier 2022 pour les enfants de 6 ans et plus dans les transports et les lieux recevant du public. Comment les enfants de l’agglomération grenobloise encaissent-ils ces changements ? Comment vivent-ils cette longue période marquée par le Covid ?

Arrivée aux alentours de 11h devant la sortie de l’école Marianne Cohn à Grenoble, je vois les parents, grands-parents, frères et sœurs arriver au compte-goutte devant la grille. À 11h45, la sortie des enfants est pleine d’effusions, de cris et d’embrassades, et derrière les écharpes, masques et doudounes on devine de grands sourires.

Le 17 mars 2020, la France était confinée pour la première fois. Pour les enfants, cela signifiait école à la maison.

J’avais plus de devoirs que d’habitude et c’était dur de se motiver pour travailler.” raconte Emma, 9 ans et demi, en CE2 lors du premier confinement. Sa maman confirme : “C’était ardu de s’improviser maîtresse. Surtout qu’au début, on nous donnait des devoirs à faire au jour le jour. Puis après heureusement, on nous les envoyait à l’avance et on pouvait s’organiser sur la semaine.

Du côté des enseignants, ce n’était pas évident non plus. Émilie, professeure des écoles en Matheysine devait jongler entre préparation des cours de CM1 et CM2 et ses trois enfants. “Je travaillais le matin et le soir, et je consacrais la journée à mes enfants. J’ai mis du temps à trouver le bon rythme. Au départ, je communiquais un plan de travail aux parents pour la semaine. Les élèves faisaient surtout des maths, du français et je leur envoyais des vidéos pour les sciences. Sauf que je recevais les corrections au fur et à mesure et c’était impossible à gérer. J’ai donc rapidement préparé les corrigés en amont pour les transmettre chaque soir.”

Lors du bilan du premier confinement, Émilie a constaté que, sur la classe de 24 élèves, trois n’avaient pas donné de nouvelles : “J’avais pris le temps d’appeler chaque parent pour faire un point avant la reprise. Ces trois élèves ne sont revenus que mi-juin, complètement perdus, alors qu’ils étaient en CM2”, regrette-t-elle.

Selon Olivia Cahn, psychologue clinicienne libérale auprès d’enfants, adolescents et adultes à Grenoble, chaque enfant a réagi différemment au premier confinement. “Pour certains, cela a été l’occasion de resserrer les liens familiaux, d’avoir des parents plus présents à la maison. Cela a également été bénéfique aux enfants qui subissaient du harcèlement ou qui avaient des difficultés à l’école. Cette période leur a fait du bien. Mais pour d’autres, cela a pu être laborieux car ils absorbaient le stress de leurs parents qui devaient gérer le télétravail et les devoirs à la maison.”

Corinne Louin, psychologue dans un centre médico-psychologique (CMP) à Albertville a une analyse différente, puisqu’elle suit davantage d’enfants placés ou qui sont issus de milieux sociaux précarisés.

« Je m’occupe notamment des petits de 0 à 6 ans. Le confinement a eu des effets positifs sur ceux qui avaient des troubles de l’attachement. Il leur a permis de se sentir en sécurité et ils sont donc revenus apaisés. En revanche, nous avons observé une augmentation des violences intra-familiales. Nous sommes passés de deux demandes par mois à une par semaine. Il s’agissait surtout de violences conjugales, mais qui ont forcément eu des répercussions sur les enfants. » — Corinne Louin, psychologue.

Selon les chiffres du ministère de l’intérieur, annoncés le 22 novembre 2021🔗, les violences conjugales ont augmenté de 10 % lors du premier confinement (en mars 2020) par rapport à la même période en 2019.

Carine, professeure des écoles à La Mure qui a mal vécu le premier confinement, raconte : “Dans mon école, j’ai des petits de 3 et 4 ans. Tout le long, j’avais peur que cette phase de confinement crée une différence de niveau entre eux car certains viennent de milieux défavorisés. Je savais que je ne réussirais pas à toucher ceux dont les besoins sont les plus grands. C’était très perturbant pour moi. Et cela a été le cas. Pour les enfants qui avaient bien travaillé, le confinement n’a rien changé. Certains sont même revenus avec un niveau supérieur à mes attentes. Mais pour les autres, cela a creusé des écarts.”

“On leur apprenait à avoir peur les uns des autres”

Les écoles maternelles et primaires ont rouvert progressivement à partir du 11 mai, sur la base du volontariat au départ. Dans son école, Carine organisait une rotation d’élèves, par groupe de cinq, avec une priorité pour les enfants du personnel soignant. “Quand on a repris, c’était très anxiogène. Il fallait sans arrêt tout désinfecter. Tout le monde avait peur, le personnel était stressé. Les enfants étaient seuls à leur table, ils n’avaient pas le droit de se déplacer dans la classe. C’était horrible cette période car ma mission en maternelle, c’est de leur apprendre à vivre ensemble et qu’ils soient heureux de venir à l’école. Et là on leur apprenait à avoir peur les uns des autres. Pour moi, c’était en train de détruire l’essence même de ma mission. J’avais peur qu’on soit en train de les abîmer.”

Les enfants respectent le port du masque obligatoire lors des cours. Ici, dans une école en Matheysine.

L’école est redevenue obligatoire à partir du 22 juin 2020. Vanessa, animatrice périscolaire dans plusieurs écoles du centre ville de Grenoble, se souvient : “À la reprise, ils n’avaient pas le droit de se mélanger. On devait délimiter des carrés dans la cour de récréation. ils ne pouvaient pas jouer avec tous leurs copains, copines. Ils étaient déboussolés. Quand l’un d’entre eux éternuait, ils étaient tous stressés, ils avaient peur d’attraper le Covid. Ils ne savaient pas au tout début que ce n’était pas une maladie grave pour eux.

Olivia Cahn, psychologue à Grenoble, analyse : “Les enfants ont été soumis à beaucoup de règles et de changements de protocoles sanitaires. J’ai trouvé notamment que les périmètres installés dans les cours de récréation ont eu des effets négatifs. Certains ont été séparés de leurs ami·es. D’autres se sont retrouvés dans le même périmètre qu’un enfant harceleur par exemple. Et en ce moment, les enfants vivent à nouveau une période pénible, ils doivent tout le temps se faire tester et certains saturent.

Record de classes fermées en janvier 2022

Le vendredi 28 janvier, près de 21 049 classes sur 527 200 étaient fermées dans les écoles, collèges et lycées, soit 3,99% du nombre total de classes selon les chiffres du ministère de l’Éducation nationale.

À la sortie de l’école Marianne Cohn dans le quartier Hoche à Grenoble, mercredi 19 janvier, les parents masqués patientent, bien éloignés les uns des autres. Marina, une écharpe autour du cou, attend sa fille de 8 ans et demi. “En ce moment, une classe entière est fermée dans l’école.” 11h45 sonne, les enfants sortent à leur tour. Des masques bleus, blancs, roses ou noirs sur les visages.

Les parents attendent les enfants à la sortie de l’école Marianne Cohn, tous masqués, mercredi 19 janvier à 11h45.

En ce moment, si un enfant est positif dans la classe, les autres doivent se faire tester le jour-même, puis à J+2 et J+4 pour les moins de 12 ans. Les enseignants positifs sont très rarement remplacés. Et les enfants devant s’isoler n’ont pas de suivi puisque la maîtresse ou le maître poursuit ses cours en classe. C’est un ras-le-bol général”, s’indigne Nada, parent d’élève et membre de la Fédération des Parents d’Élèves de l’Enseignement Public (PEEP).

Les nouveaux protocoles sanitaires sont affichés à l’entrée de l’école Marianne Cohn. Ils concernent les attestations sur l’honneur à fournir par les parents lors du premier autotest négatif.

Émilie, professeure des écoles et mère de trois enfants, partage le même point de vue. “C’est le bazar en ce moment. Une de mes filles est positive et pas vaccinée. Du coup elle est en isolement. Ma plus grande a déjà fait plus d’une dizaine de PCR car elle allait à la natation tous les mardis et devait se tester chaque fois. Ma petite de 7 ans et demi en a déjà fait quatre ou cinq. Et vu que ma collégienne est positive, je vais toutes devoir les retester, en décalé. On est tous en surcharge mentale à cause des tests. Maintenant on doit aussi s’occuper des attestations sur l’honneur pour les autotests. On est tous à bout.”

Modèle d’attestation sur l’honneur à remplir par les parents.

Les enfants de moins de 12 ans cas contacts doivent présenter à leur établissement scolaire une attestation sur l’honneur des parents ou des représentants légaux à l’issue du premier test négatif. Depuis le 11 janvier 2022, il n’est plus nécessaire de fournir deux attestations à J+2 et J+4, mais une seule à J+0. L’Assurance-maladie prend en charge trois autotests lorsqu’un enfant est cas contact dans le milieu scolaire. Ils peuvent être délivrés sans reste à charge uniquement en pharmacie sur présentation d’une attestation de l’école.

Taux d’incidence (nombre de cas de Covid détectés pour 100 000 personnes) par classe d’âge. Données disponibles sur le site Santé publique France🔗.

Selon Vanessa, animatrice périscolaire, la situation est à nouveau tendue : “Je les sens stressés depuis la reprise de janvier. Dès qu’on leur parle de cas contact, ils paniquent. Le protocole change d’une semaine à l’autre. Il y a aussi une pénurie de gel et de masques. Je dois amener mes propres masques pour travailler.

Dans l’école d’Emma, à Uriage, il y a également des cas contacts tous les jours. “Elle a eu le Covid le 15 décembre, c’est une copine à l’école qui lui a transmis. Heureusement elle n’a pas eu de symptômes, juste de la fatigue et le nez qui coule. Du coup elle n’a pas à faire de tests pendant deux mois. Mais depuis le début du Covid, elle en a dû en faire six”, relate sa mère.

En maternelle, les règles sont légèrement différentes, comme l’explique Carine, professeure des écoles : “Nous sommes un peu épargnés car les petits ne portent pas de masque. Pareil pour la distanciation sociale, ce n’est pas possible à leur âge. Donc on vit à peu près normalement par rapport aux écoles primaires. Le personnel porte le masque tout le temps en revanche. Il m’arrive de le baisser par moment lorsque je suis éloignée des enfants et que je leur fais un cours sur le langage. Il est primordial qu’ils voient les expressions sur mon visage et qu’ils me voient articuler, notamment pour les exercices de phonologie, le son “f” et le son “t”. On a aussi reçu des masques transparents il n’y a pas très longtemps, ce qui aide beaucoup dans ce genre de situations.”

L’impact sur le quotidien des enfants

Les enfants font beaucoup moins de sorties avec l’école, déplore Carine : “Avant, on les emmenait au cinéma, au gymnase, ou à la médiathèque. Pour ceux qui viennent de milieux défavorisés, seule l’école leur permet ce type d’activité. Mais on s’adapte, par exemple en ce moment nous avons une potière qui vient leur faire des cours.

De son côté, Emma, 9 ans et demi, regrette de ne pas pouvoir faire de soirée pyjama avec ses copines. Mais pour la plupart des enfants ce qui les gêne le plus c’est de porter le masque. Cependant, Vanessa, animatrice périscolaire remarque : “Ils sont formatés maintenant. Ils savent qu’ils sont punis s’ils ne le portent pas.”

Nada, mère de deux garçons en CP et CE1 à l’école Jean Jaurès dans le centre ville de Grenoble, partage une anecdote : “Lors d’un cours de citoyenneté, il fallait proposer son programme si on devenait président. L’idée que Malik* a suggéré était de ne plus porter le masque.”

« Ils ont totalement intégré le port du masque et il est même représenté dans leurs dessins. En revanche, certains s’en plaignent au moment des activités sportives ou pendant la récréation car ils les empêchent de respirer. Il faut noter que les enfants ne sont pas venus me consulter à cause du Covid. Leurs interrogations ou symptômes se sont aggravés ou sont devenus plus visibles, comme si la crise sanitaire avait été une loupe grossissante des problèmes déjà existants. Mais le Covid n’est pas un objet de discussion ou de préoccupation pour eux. » — Olivia Cahn, psychologue.

Dessin réalisé par Célia, 8 ans.

Les résultats préliminaires d’une enquête de Santé publique France indique que la santé mentale des adolescents (13–18 ans) est davantage impactée que celle des enfants (9–12 ans). Cependant, il est encore trop tôt pour mesurer les effets psychologiques de ces deux années de Covid sur ces derniers.

La psychologue Corinne Louin est optimiste : “Les enfants dépendent de leur environnement, ils ne grandissent pas tout seuls. Lorsque les adultes vont mal, ils vont mal aussi. C’est très perméable. Il faut que nous les adultes, nous ne dramatisions pas la situation. Mais je ne suis pas inquiète pour le futur, les enfants ont beaucoup de ressources.

Nada, mère de deux enfants, s’inquiète elle des répercussions sur leur avenir. “Ce qui me choque, c’est qu’à l’heure actuelle, le Covid représente déjà la moitié de la vie de mes enfants, car ils ont 6 et 7 ans. Plus tard, ce ne sera peut-être qu’un souvenir. Ou alors cela aura un impact psychologique. On ne sait pas.

Émilie, professeure des écoles, nous livre un épisode difficile traversé par sa fille : “Une de mes filles ne va pas très bien en ce moment. Elle a été isolée pendant une semaine car elle était positive au Covid. Du coup elle a loupé pas mal d’événements au collège et cela a créé des embrouilles avec ses copines. Elle a reçu des remarques très méchantes : “t’as qu’à arrêter de faire des caprices et te faire vacciner”, notamment. Sauf qu’elle ne veut pas se faire vacciner, et son père et moi ne sommes pas non plus pour la vaccination des enfants. C’est une très bonne élève donc il n’y a pas de soucis sur le plan scolaire, mais c’est une période complexe sur le plan amical pour ces collégiens.

Selon le ministère des solidarités et de la santé, au 22 janvier, 216 000 enfants de 5 à 11 ans avaient reçu une dose, sur les 5,7 millions d’enfants éligibles🔗. De nombreux parents continuent de s’interroger sur l’utilité du vaccin.

Reportage réalisé par Lola Manecy
Illustrations Alice Quistrebert

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