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Selon l’Institut de statistique de l’UNESCO, en 2019 moins de 30% des chercheurs dans le monde sont des chercheuses. En France, elles sont seulement 27%. Et à Grenoble ?
Le bassin grenoblois est réputé pour être un des centres scientifiques français majeurs. Pourtant, on compte peu de femmes dans les sciences dites “dures” (mathématique, physique, informatique…). D’après le dernier rapport de la Direction de l’évaluation, de la prospective et de la performance (DEPP) consacré aux parcours scolaires et universitaires des filles et des garçons datant de 2022, les filles s’orientent moins vers les filières scientifiques, sauf celles liées au secteur de la santé. Dans la voie générale, et si on enlève les Sciences de la vie et de la terre, elles ne sont que 35% en spécialité maths/physique-chimie, 13% en maths/sciences de l’ingénieur et 11% en maths/numérique, sciences informatiques.
Dans l’enseignement supérieur, les femmes sont plus nombreuses à être diplômées, 53% contre 46% pour les hommes. Mais elles ne représentent que 29 % des élèves en formation d’ingénieur, et 31% en classes préparatoires aux grandes écoles scientifiques.
Une exposition pour montrer l’exemple
Du 20 novembre au 5 décembre 2021, 21 portraits de femmes scientifiques grenobloises étaient visibles au Jardin de Ville. Cette exposition baptisée « La Science taille XX elles » a été élaborée par le CNRS et l’association Femmes et Sciences. Elle consiste à faire poser des femmes scientifiques de leur ville. Après une première exposition à Toulouse en 2018, puis à Lyon en 2019 et en Île-de-France en 2020, l’exposition s’est déclinée en 2021 à Grenoble. “Elle est née de notre volonté de montrer des exemples pour motiver les filles à se lancer dans les sciences. Il ne s’agit pas de prix Nobel, ce sont des chercheuses, ingénieures, techniciennes…”, décrit Fairouz Malek, directrice de recherche au CNRS et coordinatrice de l’exposition. Cette dernière est engagée depuis de nombreuses années en faveur de la parité en sciences. Elle a notamment co-fondé l’association Parité Science à Grenoble en 2002 et en a été sa première présidente. Même au CNRS, les inégalités subsistent :
“Je constate des disparités. Par exemple, un homme va plus rapidement grimper les échelons. Pour passer de chargé de recherche à directeur de recherche, ce temps est plus court d’au moins cinq ans par rapport à une femme.”
Fairouz Malek, directrice de recherche au CNRS.
“Il ne devrait pas y avoir de différence de salaire puisque nous sommes fonctionnaires. Pourtant, à l’heure actuelle, je suis moins payée qu’un homme qui a la même carrière que moi, puisqu’il a atteint un grade plus élevé que le mien. 30% d’hommes passent au grade supérieur par rapport aux femmes”, déclare Fairouz Malek.
Le CNRS a publié le 20 décembre 2021 des chiffres concernant la parité. En 2020, le Centre comptait en moyenne 43,1 % de femmes sur 33 000 personnels. La parité est atteinte pour la catégorie des ingénieurs et techniciens (IT) avec 50,2 % de personnel féminin en 2020. En revanche, la proportion féminine diminue par rapport à 2000 où les femmes étaient 52,2 % dans cette catégorie.
Des traitements différents que pour les hommes
Le bassin grenoblois compte cinq grands laboratoires et instruments internationaux, ainsi que neuf organismes de recherches. Giovanna Fragneto a commencé à travailler à l’Institut Laue-Langevin (ILL) en 1997, après des études de chimie en Italie, puis un doctorat à Oxford en physique-chimie. Elle a également milité pendant 20 ans au sein de Parité Science. “C’est l’association qui m’a fait ouvrir les yeux sur certaines choses. Avant je ne me rendais pas compte des discriminations. Je n’en ai jamais subi, mais on m’a déjà fait des réflexions.” En 2015, elle devient la première femme “group leader” à l’ILL, c’est-à-dire cheffe d’une équipe de 50 à 60 personnes.
“Une collègue est devenue cheffe d’un autre groupe peu de temps après. Un de nos directeurs nous a convoqué toutes les deux et nous a proposé d’avoir des vice-chefs, soi-disant car nous aurions besoin d’aide. Cela n’a pas été proposé à nos collègues masculins. Pourtant, nous avions toutes les deux beaucoup de succès et nous étions très efficaces.”
Giovanna Fragneto, cheffe d’équipe à l’Institut Laue-Langevin.
Michela Brunelli est physicienne. Italienne d’origine, elle s’est installée à Grenoble il y a une vingtaine d’années pour finir son doctorat. Après des années dans ce métier, elle n’a pas obtenu de position permanente à l’ILL, ni à l’ESRF : “En tant que femme, nous n’avons pas le même traitement que les hommes. Je l’ai constaté une première fois lors de mon congé maternité. Avant, j’avais une position de “senior”, avec un bon salaire. À mon retour, j’ai dû accepter une position plus basse, de post-doctorante, avec un salaire 25% plus bas”, regrette-t-elle.
À 50 ans, elle envisage une reconversion professionnelle: “Ce n’est pas un vrai choix. Depuis que j’ai eu mes enfants, ma carrière n’a pas progressé. C’est soit accepter un travail dans les sciences avec un salaire plus bas et des horaires qui ne me conviendraient pas, soit changer de domaine. Car ma priorité maintenant c’est de m’occuper de mes enfants. J’aimais beaucoup mon travail, cela ne me dérangeait pas de faire des heures supplémentaires. Donc cela me rend triste de devoir en changer. Mais je n’ai pas de perspective.” Elle rajoute : “Il ne s’agit pas uniquement du congé maternité car j’ai d’autres collègues à l’ESRF qui se retrouvent dans la même situation que moi, alors qu’elles n’ont pas d’enfants.”
Le combat pour l’égalité salariale au sein de STMicroelectronics
Si dans la recherche publique, la parité semble presque atteinte, ce n’est pas le cas dans le secteur privé. Au sein de STMicroelectronics (STM), onze salariées, techniciennes, opératrices et ingénieures des sites de Grenoble et Crolles ont saisi l’inspection du travail et ont chacune engagé une procédure judiciaire devant le Conseil des Prud’hommes de Grenoble en octobre 2016. “En 2007, j’ai rejoint l’UGICT, le syndicat des technicien·ne·s, opérateur·trice·s, ingénieur·e·s et cadres chez STM. Comme ils ont accès aux données de l’entreprise, j’ai vu les écarts de salaires pour la première fois. On est sur un écart de 300 à 400 euros par mois entre un homme et une femme”, raconte Nadia, ingénieure en Recherche et Développement micro-électronique chez STM depuis 1999.
Christelle, elle, est ingénieure de test et a rejoint le syndicat en 2011 : “Mon mari et moi avons été embauchés en même temps chez STM, en 1990. Depuis, nous avons eu quatre enfants. Sa carrière a avancé, pas la mienne.” Elle renchérit : “En 30 ans de carrière, je trouve que nous n’avons pas avancé. Il y a moins de blagues sexistes certes, mais l’écart salarial ne bouge pas et les femmes n’arrivent pas à obtenir des postes haut placés.”
Malgré des décisions de justice favorables, le combat continue. Dix salariées ont fait appel et attendent une nouvelle date. La onzième a été dépaysée à Valence et a gagné son procès, STM a donc fait appel. Elles réclament notamment un panel de comparants (voir encadré ci-dessous), ce qui leur permettrait de se comparer à des hommes embauchés chez STM, dans les mêmes conditions qu’elles (même niveau de diplôme, même coefficient, etc…). Elles pourraient ainsi prouver la discrimination. Une des onze femmes a formé un pourvoi en cassation pour lequel un arrêt favorable a été rendu le 16 mars 2021.
La méthode des panels ou méthode “Clerc” Cette méthode a été mise au point au cours des années 1990 par François Clerc, syndicaliste à la CGT et chargé des dossiers relatifs aux discriminations. Elle était utilisée pour comparer les carrières des militants syndicaux à celles d’un panel de salariés avec une ancienneté équivalente, un même niveau d’embauche, placés dans des conditions de travail similaires. Il faut procéder en trois étapes : d’abord construire un panel de « salariés-comparants » ; puis faire un calcul de moyennes ; et enfin comparer des données avec la situation du salarié discriminé. Ces panels sont transposés en graphiques et histogrammes. C’est ensuite à l’employeur, selon le Code du travail, de prouver que cette différence de traitement est justifiée par des éléments objectifs. Cette méthode s’applique en principe à toutes les discriminations fondées sur le sexe, l’origine ou encore le handicap.
Le premier accord portant sur l‘égalité professionnelle entre les femmes et les hommes chez STM date de 2006. Fin 2020, les négociations pour renouveler cet accord ont échoué : la CGT et la CFDT n’ont pas signé le projet. Le 30 décembre 2020, la direction de STM a donc édicté un Plan d’action unilatéral relatif à l’égalité professionnelle entre les femmes et les hommes et la qualité de vie au travail.
Contactés, l’ILL, l’ESRF et STM n’ont pas donné suite à nos demandes.
Encourager les filles à faire des sciences
Depuis de nombreuses années, l’association Parité Science organise des interventions dans les collèges et lycées pour encourager les filles à faire des sciences. “Nous sommes deux, un homme et une femme. Nous leur présentons nos métiers et nos parcours. À la fin, nous leur posons la question “qui pense faire des sciences plus tard ?” Automatiquement, ce sont des garçons qui lèvent la main. Puis quand j’insiste en demandant si des filles seraient intéressées, une lève timidement la main et répond qu’elle pense faire médecine ou travailler dans le “care”. Pas une d’entre elles ne veut faire des sciences dures”, déclare Fairouz Malek.
Anna Peixoto, chercheuse et travaillant au Laboratoire de physique subatomique et de cosmologie (LPSC) depuis octobre 2021 est également du même avis : “Je pense qu’il faudrait organiser davantage d’interventions dans les écoles, dès l’école primaire. Si des scientifiques ou chercheuses venaient nous présenter leur métier, nous aurions davantage de modèles.” Son attrait pour les sciences lui vient d’ailleurs d’une visite qu’elle a faite au lycée : “Nous avions ce qui s’appelle des summer school, c’est-à-dire que nous faisions des visites dans des universités notamment. Un jour nous avons visité un laboratoire et c’est là que je me suis rendue compte que je voulais travailler dans ce domaine”, se souvient-elle.
La question des inégalités se pose également dans les écoles d’ingénieurs. Avec la loi de transformation de la fonction publique du 6 août 2019, Grenoble INP a dû mettre en place un plan d’action pluriannuel pour l’égalité professionnelle entre les femmes et les hommes. Ce plan étant obligatoire et assorti de sanctions, les écoles ont donc mis plus de moyens en faveur de l’égalité professionnelle. En 2012, Grenoble INP a créé la fonction de “chargé de mission pour l’équité femmes-hommes”. Céline Ternon, enseignante-chercheuse, occupe ce poste depuis février 2020 et pour une durée de quatre ans. “Nous organisons de nombreuses actions communes avec l’UGA, notamment la Journée Femme IngénieurE. Nous avons également participé à l’exposition “Science taille XX elles” et au concours Ingénieuses. Nous sommes en train de créer un programme de mentorat pour accompagner les carrières de tous les personnels de Grenoble INP-UGA dans un objectif de développement de carrière sans biais de genre. Enfin, nous sommes en train de développer une plateforme de signalement des violences sexistes et sexuelles, commune pour le personnel et les étudiant·es”, explique-t-elle.
La part d’étudiantes dans les grandes écoles d’ingénieurs n’a pas progressé en dix ans, d’après une étude de l’Institut des politiques publiques (IPP) publiée mardi 19 janvier 2021. Cette dernière analyse les origines des étudiant·e·s de 234 grandes écoles. Les femmes représentaient 26 % des promotions des écoles d’ingénieurs en 2016-2017 (21 % dans les écoles les plus mieux classées), comme dix ans plus tôt.
Céline Ternon, enseignante-chercheuse, réalise également des interventions dans les écoles qui en font la demande. “L’objectif c’est aussi de travailler en amont, bien avant l’entrée en école d’ingénieur. Nous avons des interactions avec la Maison pour la science, qui forme des professeur·e·s du primaire au lycée à la démarche scientifique. Nous réalisons donc des formations sur l’égalité, le genre et les stéréotypes à destination des enseignant·e·s pour qu’ils prennent conscience de l’importance de leur rôle dans la création des stéréotypes et biais de genre”, précise-t-elle.
Cependant, certaines mesures prises récemment par le gouvernement vont faire régresser la présence des femmes dans les sciences. C’est notamment le cas de la réforme du lycée de Jean-Michel Blanquer. En 2019, dernière année de terminale avec l’ancienne répartition en filière, il y avait 47,5% de filles en terminale Scientifique. En 2021, elles ne sont plus que 39,8% en spécialité maths, selon les données du Ministère de l’Éducation nationale. Ce taux est au plus bas depuis 1994, où les filles étaient 40% en filières mathématiques. Ce chiffre baisse encore davantage si l’on regarde la part de filles dans l’option mathématiques expertes, destinée à compléter la spécialité maths : elles ne sont plus que 31,4%. Face à de nombreuses critiques, le gouvernement pourrait faire marche arrière.
Pour aller plus loin : Le paradoxe de l’égalité des sexes. Article de The Conversation
Reportage réalisé par Lola Manecy
Illustration Alice Quistrebert
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Absolument excellent votre article…dommage qui n’y ait pas d’impression papier pour les réfractaires au numérique!
Cela semble incroyable de voir son salaire diminuer …après avoir mis un enfant au monde, je serais tentée d’augmenter le salaire de ces mères qui continueront à travailler avec la surcharge de responsabilités et de travail “domestique ” encore trop peu partagé…quoique ça progresse dans certaines familles. Quant aux familles monoparentales avec une mère ” scientifique” m’est avis que ça ne doit pas être courant ( une enquête en ce sens, et pour tous les corps de métier pr pointer les différences de salaires H / F ?).