La prévention sur le fil

Le 1er juin 2019, le résultat du vote mensuel tombe et donne une répartition inédite des votes. Parmi les trois sujets, “les éducateurs de rue” tire son épingle du jeu avec 36% des votes. Une chance pour l’éducation spécialisée en prévention de faire mieux connaître son action sur l’agglomération grenobloise.

Marie-Noëlle Toia, cheffe de service depuis 8 ans à l’Apase de Fontaine préfère dire “éducateur de rue”, mais “ça dépend de l’interlocuteur”. Dans le jargon politique ce sera plutôt “éducateur spécialisé dans la prévention”. L’Apase (Association pour la Promotion de l’Action Socio-Éducative) est une des principales structures de l’Isère qui va permettre à des jeunes de 11 à 21 ans “en voie de marginalisation” de se raccrocher à la société, au système éducatif et professionnel, ceci par la création de liens, directement là où sont les jeunes. De “l’aller-vers”, dans la rue, d’où le nom de métier plutôt simple à comprendre d’éducateur de rue.

À la rencontre de groupes

Un travail présentiel, de terrain, la plupart du temps en binôme, que Caroline Chantier et Rémy Barthélémy exercent depuis respectivement 5 ans et 1 an sur Fontaine. La majeure partie du temps, ce sont des groupes que les deux professionnels vont rencontrer. “C’est rare qu’il y ait un jeune, posé, seul”, précise Caroline Chantier. La démarche classique consiste alors à se présenter, “bonjour, on travaille pour l’Apase”, de serrer la main et d’entamer la conversation. Il n’y a pas de réponses types toutes faites car les éducateurs travaillent sur la libre adhésion, au cas par cas.

Parfois le contact est simple, car l’Apase est déjà bien connue des jeunes. C’est le travail sur plusieurs années qui a forgé une réputation positive aux éducateurs de Fontaine. “Tout commence quand le groupe a vu qu’on allait vers eux”, développe Rémy Barthélémy. Les éducateurs sont vite identifiés, repérés, car “ce n’est pas tout le temps que les adultes viennent leur adresser la parole comme ça”. Parfois le contact est plus glacial, “est-ce qu’on vous dérange ?”. Dans ce cas la discussion est écourtée pour être retentée à un autre moment. Le travail en binôme est essentiel pour aborder les groupes. En témoigne Rémy Barthélémy, “seul on subit plus les “je le sens, je le sens pas”, tout seul je n’aurais peut-être pas la foi d’y aller”.

Ces premiers contacts permettent ensuite aux jeunes de partager des problèmes qu’ils rencontrent et de se faire aider par l’Apase. Les éducateurs peuvent aussi détecter des problèmes personnels par “l’observation et l’intuition” et faire des propositions. Cela passe par des prises de rendez-vous à l’Apase, par des propositions de projets en groupe, de sorties, de loisirs, mais aussi de participation à des chantiers pour gagner un peu d’argent. Grâce aux binômes, les éducateurs peuvent avoir des conversations différenciées, “ça permet de te décaler, d’avoir des moments privilégiés avec certains”, explique Caroline Chantier.

Les chantiers éducatifs lancés par la suite permettent de travailler le savoir-être et le savoir-faire des jeunes sur plusieurs jours, et jusqu’à deux semaines. Les missions peuvent être du travail de peinture, en espace vert, en cuisine. Caroline Chantier accompagnait récemment un groupe de cinq filles entre 16 et 18 ans à la fête de quartier pour vendre des merguez, et permettre leur départ en vacances avec l’argent récolté. Un moment où l’accompagnement se révèle simple, mais indispensable : montrer comment s’organiser, faire le feu, aider à la caisse pour la vente.

“Je leur dis : on ne va pas faire pour vous, on va faire avec vous.” — Caroline Chantier, éducatrice de rue à Fontaine.

Tisser des liens

On n’est pas des médiateurs, on n’est pas des policiers”, explique la cheffe de service Marie-Noëlle Toia. L’équipe “médiation prévention” de Fontaine sera, elle, sur des missions de prévention de conflits avec le voisinage, sur la sécurité dans l’espace public. Cette équipe-là ne s’adresse pas qu’aux jeunes et ne propose pas forcément de solutions éducatives pour les jeunes. “Le but [des éducateurs de rue] est de créer du lien avant tout”, précise Rémy Barthélémy. Le métier d’éducateur de rue reste particulier, il ne correspond pas à des heures fixes chaque semaine, mais à un “mandat de territoire”. Selon le diagnostic établit, les éducateurs vont devoir assister à des événements de leur territoire, parfois tardifs. Un cinéma en plein air peut nécessiter une présence d’éducateurs de rue de 22h à minuit, par exemple. Ce ne sera pas des horaires de nuit pour autant.

“Plus on décale, plus on peut être face à des groupes qui sont déjà alcoolisés ou qui ont déjà pris des produits. Ce n’est pas forcément confortable. L’idée c’est d’être dans l’éducatif, il faut que les jeunes soient en capacité d’entendre ce qu’on va leur dire.” — Marie-Noëlle Toia, cheffe de service à l’Apase Fontaine.

Marqué localement par un transfert de compétences

En 2017, les compétences de la prévention spécialisée sont transférées du Département de l’Isère à Grenoble-Alpes Métropole, sur son territoire. Un transfert pas si anodin que ça, qui a entériné une baisse d’effectifs à Fontaine, passant de 4 à 3 ETP (équivalent temps plein). Les jeunes de 21 à 25 ans ne sont plus suivis par l’Apase également. Le Département avait même abaissé le seuil d’accompagnement à 18 ans, avant qu’il ne soit remonté à 21.

La dimension politique pèse aussi sur le métier d’éducateurs de rue. La décision de répondre à une interview média est soumis à une forte hiérarchie. Un éducateur de rue de l’Apase expliquait qu’un précédent article d’un autre journal ayant mal traité le sujet l’obligeait à passer désormais par sa hiérarchie avant de pouvoir répondre, et que très clairement il ne voulait pas prendre le risque de mettre son travail en jeu en bravant cette consigne. Si Rémy Barthélémy était déjà prêt à répondre aux interviews de L’avertY, ce n’était pas le cas de Caroline Chantier, qui explique n’avoir pas eu vraiment le choix, tout en se prêtant finalement à l’exercice.

Notre métier est globalement toujours sur un fil, assez complexe dans sa mise en œuvre. Le social est de plus en plus soumis à du retour sur l’investissement. Derrière, on veut un résultat. Ce qui est toujours compliqué puisqu’on est sur de l’humain. C’est compliqué de parler de résultats quand on parle de trajectoires de vies.” — Rémy Barthélémy, éducateur de rue à Fontaine.

Alors que la gestion des missions se veut métropolitaine, certaines communes ajoutent des budgets supplémentaires. C’est le cas de Veurey avec un temps de 7 heures par semaine, géré par l’Apase. “Ce sont des choix politiques, certains préfèrent financer un service loisirs ou jeunesse sur la commune”, développe Marie-Noëlle Toia. Un mi-temps est directement financé par la ville de Seyssinet également. Eybens fait aussi partie des villes de la Métropole à ajouter du financement sur cette mission d’éducation spécialisée, par l’intermédiaire du Codase. Pour consolider l’intérêt des élus métropolitains sur cette mission, un film a été réalisé avec des témoignages de chaque acteur (jeunes et éducateurs).

Missions éducatives avec les parents

Dans le quartier Teisseire à Grenoble, les éducateurs de rue du Codase (Comité Dauphinois d’Action Socio-Éducative) sont régulièrement présents auprès des parents. C’était le cas lundi 24 juin lors d’une conférence-débat à la Maison des Habitants (MDH) Teisseire-Malherbe. Olivier Anas et Jenny Salvatge, éducateurs sur le quartier, ont participé à la conférence animée par le psychologue Clément Ségissement, avec une dizaine de parents.

Réunion à la Maison des Habitants Teisseire-Malherbe avec Clément Ségissement (assis sur la table).

Une conférence qui a permis aux parents d’exposer des cas pratiques et avoir un avis professionnel sur les meilleurs comportements à adopter en tant que parent. Un père de famille expliquait avoir “pété un plomb”, avant de se ressaisir. Il ne pouvait plus supporter le comportement de son fils de 17 ans. Il lui a demandé de partir. Lui a donné 50 euros et lui a dit qu’il pouvait revenir quand il n’avait plus d’argent, mais qu’il ne voulait plus le voir chez lui. À ceci, le psychologue Clément Ségissement a été rassurant : “vous n’avez jamais lâché, puisque vous restez le financeur”. La situation s’est par la suite améliorée. “Ils font des choix, vous continuez à être là”, ajoute Jenny Salvatge, et désacralise son rôle “nous, on n’a pas de baguette magique. S’ils se plantent, je ne serais pas atteinte par ça. Je prends du recul.” Lors du petit pot qui suivi, ce même père de famille faisait l’éloge de l’action du Codase : “il faut qu’on en parle plus, il faudrait le même pour les parents”.

Les missions éducatives dans la rue et dans les familles peuvent se compléter. Clément Ségissement ajoutait que “le rôle de parent est joué par beaucoup de gens”. Le rôle d’un grand frère ou sœur dans la famille peut intervenir parfois. Une personne habituée du quartier témoignait avoir déjà joué un rôle pour calmer des jeunes du quartier. Sans aucune mission d’éducateur de rue, il allait ensuite en parler avec les parents concernés. “Une personne ressource” qui ne sera pas soumis au même respect de l’anonymat et secret professionnel que les éducateurs de rue.

Ce qu’on vend, c’est la confiance qu’on peut nous faire”, termine Rémy Barthélémy. Un travail d’éducateur de rue qui s’expérimente aussi sur les réseaux sociaux, là où se trouvent les jeunes, avec quelques agents qui passent 5 heures par semaine sur ce nouveau terrain virtuel. Y aura t-il un jour plus d’éducateurs en ligne que sur le terrain ?

Ludovic Chataing, journaliste web pour L’avertY.


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