La prévention sur le fil

Le 1er juin 2019, le résultat du vote mensuel tombe et donne une répartition inédite des votes. Parmi les trois sujets, “les éducateurs de rue” tire son épingle du jeu avec 36% des votes. Une chance pour l’éducation spécialisée en prévention de faire mieux connaître son action sur l’agglomération grenobloise.

Marie-Noëlle Toia, cheffe de service depuis 8 ans à l’Apase de Fontaine préfère dire “éducateur de rue”, mais “ça dépend de l’interlocuteur”. Dans le jargon politique ce sera plutôt “éducateur spécialisé dans la prévention”. L’Apase (Association pour la Promotion de l’Action Socio-Éducative) est une des principales structures de l’Isère qui va permettre à des jeunes de 11 à 21 ans “en voie de marginalisation” de se raccrocher à la société, au système éducatif et professionnel, ceci par la création de liens, directement là où sont les jeunes. De “l’aller-vers”, dans la rue, d’où le nom de métier plutôt simple à comprendre d’éducateur de rue.

À la rencontre de groupes

Un travail présentiel, de terrain, la plupart du temps en binôme, que Caroline Chantier et Rémy Barthélémy exercent depuis respectivement 5 ans et 1 an sur Fontaine. La majeure partie du temps, ce sont des groupes que les deux professionnels vont rencontrer. “C’est rare qu’il y ait un jeune, posé, seul”, précise Caroline Chantier. La démarche classique consiste alors à se présenter, “bonjour, on travaille pour l’Apase”, de serrer la main et d’entamer la conversation. Il n’y a pas de réponses types toutes faites car les éducateurs travaillent sur la libre adhésion, au cas par cas.

Parfois le contact est simple, car l’Apase est déjà bien connue des jeunes. C’est le travail sur plusieurs années qui a forgé une réputation positive aux éducateurs de Fontaine. “Tout commence quand le groupe a vu qu’on allait vers eux”, développe Rémy Barthélémy. Les éducateurs sont vite identifiés, repérés, car “ce n’est pas tout le temps que les adultes viennent leur adresser la parole comme ça”. Parfois le contact est plus glacial, “est-ce qu’on vous dérange ?”. Dans ce cas la discussion est écourtée pour être retentée à un autre moment. Le travail en binôme est essentiel pour aborder les groupes. En témoigne Rémy Barthélémy, “seul on subit plus les “je le sens, je le sens pas”, tout seul je n’aurais peut-être pas la foi d’y aller”.

Ces premiers contacts permettent ensuite aux jeunes de partager des problèmes qu’ils rencontrent et de se faire aider par l’Apase. Les éducateurs peuvent aussi détecter des problèmes personnels par “l’observation et l’intuition” et faire des propositions. Cela passe par des prises de rendez-vous à l’Apase, par des propositions de projets en groupe, de sorties, de loisirs, mais aussi de participation à des chantiers pour gagner un peu d’argent. Grâce aux binômes, les éducateurs peuvent avoir des conversations différenciées, “ça permet de te décaler, d’avoir des moments privilégiés avec certains”, explique Caroline Chantier.

Les chantiers éducatifs lancés par la suite permettent de travailler le savoir-être et le savoir-faire des jeunes sur plusieurs jours, et jusqu’à deux semaines. Les missions peuvent être du travail de peinture, en espace vert, en cuisine. Caroline Chantier accompagnait récemment un groupe de cinq filles entre 16 et 18 ans à la fête de quartier pour vendre des merguez, et permettre leur départ en vacances avec l’argent récolté. Un moment où l’accompagnement se révèle simple, mais indispensable : montrer comment s’organiser, faire le feu, aider à la caisse pour la vente.

“Je leur dis : on ne va pas faire pour vous, on va faire avec vous.” — Caroline Chantier, éducatrice de rue à Fontaine.

Tisser des liens

On n’est pas des médiateurs, on n’est pas des policiers”, explique la cheffe de service Marie-Noëlle Toia. L’équipe “médiation prévention” de Fontaine sera, elle, sur des missions de prévention de conflits avec le voisinage, sur la sécurité dans l’espace public. Cette équipe-là ne s’adresse pas qu’aux jeunes et ne propose pas forcément de solutions éducatives pour les jeunes. “Le but [des éducateurs de rue] est de créer du lien avant tout”, précise Rémy Barthélémy. Le métier d’éducateur de rue reste particulier, il ne correspond pas à des heures fixes chaque semaine, mais à un “mandat de territoire”. Selon le diagnostic établit, les éducateurs vont devoir assister à des événements de leur territoire, parfois tardifs. Un cinéma en plein air peut nécessiter une présence d’éducateurs de rue de 22h à minuit, par exemple. Ce ne sera pas des horaires de nuit pour autant.

“Plus on décale, plus on peut être face à des groupes qui sont déjà alcoolisés ou qui ont déjà pris des produits. Ce n’est pas forcément confortable. L’idée c’est d’être dans l’éducatif, il faut que les jeunes soient en capacité d’entendre ce qu’on va leur dire.” — Marie-Noëlle Toia, cheffe de service à l’Apase Fontaine.

Marqué localement par un transfert de compétences

En 2017, les compétences de la prévention spécialisée sont transférées du Département de l’Isère à Grenoble-Alpes Métropole, sur son territoire. Un transfert pas si anodin que ça, qui a entériné une baisse d’effectifs à Fontaine, passant de 4 à 3 ETP (équivalent temps plein). Les jeunes de 21 à 25 ans ne sont plus suivis par l’Apase également. Le Département avait même abaissé le seuil d’accompagnement à 18 ans, avant qu’il ne soit remonté à 21.

La dimension politique pèse aussi sur le métier d’éducateurs de rue. La décision de répondre à une interview média est soumis à une forte hiérarchie. Un éducateur de rue de l’Apase expliquait qu’un précédent article d’un autre journal ayant mal traité le sujet l’obligeait à passer désormais par sa hiérarchie avant de pouvoir répondre, et que très clairement il ne voulait pas prendre le risque de mettre son travail en jeu en bravant cette consigne. Si Rémy Barthélémy était déjà prêt à répondre aux interviews de L’avertY, ce n’était pas le cas de Caroline Chantier, qui explique n’avoir pas eu vraiment le choix, tout en se prêtant finalement à l’exercice.

Notre métier est globalement toujours sur un fil, assez complexe dans sa mise en œuvre. Le social est de plus en plus soumis à du retour sur l’investissement. Derrière, on veut un résultat. Ce qui est toujours compliqué puisqu’on est sur de l’humain. C’est compliqué de parler de résultats quand on parle de trajectoires de vies.” — Rémy Barthélémy, éducateur de rue à Fontaine.

Alors que la gestion des missions se veut métropolitaine, certaines communes ajoutent des budgets supplémentaires. C’est le cas de Veurey avec un temps de 7 heures par semaine, géré par l’Apase. “Ce sont des choix politiques, certains préfèrent financer un service loisirs ou jeunesse sur la commune”, développe Marie-Noëlle Toia. Un mi-temps est directement financé par la ville de Seyssinet également. Eybens fait aussi partie des villes de la Métropole à ajouter du financement sur cette mission d’éducation spécialisée, par l’intermédiaire du Codase. Pour consolider l’intérêt des élus métropolitains sur cette mission, un film a été réalisé avec des témoignages de chaque acteur (jeunes et éducateurs).

Missions éducatives avec les parents

Dans le quartier Teisseire à Grenoble, les éducateurs de rue du Codase (Comité Dauphinois d’Action Socio-Éducative) sont régulièrement présents auprès des parents. C’était le cas lundi 24 juin lors d’une conférence-débat à la Maison des Habitants (MDH) Teisseire-Malherbe. Olivier Anas et Jenny Salvatge, éducateurs sur le quartier, ont participé à la conférence animée par le psychologue Clément Ségissement, avec une dizaine de parents.

Réunion à la Maison des Habitants Teisseire-Malherbe avec Clément Ségissement (assis sur la table).

Une conférence qui a permis aux parents d’exposer des cas pratiques et avoir un avis professionnel sur les meilleurs comportements à adopter en tant que parent. Un père de famille expliquait avoir “pété un plomb”, avant de se ressaisir. Il ne pouvait plus supporter le comportement de son fils de 17 ans. Il lui a demandé de partir. Lui a donné 50 euros et lui a dit qu’il pouvait revenir quand il n’avait plus d’argent, mais qu’il ne voulait plus le voir chez lui. À ceci, le psychologue Clément Ségissement a été rassurant : “vous n’avez jamais lâché, puisque vous restez le financeur”. La situation s’est par la suite améliorée. “Ils font des choix, vous continuez à être là”, ajoute Jenny Salvatge, et désacralise son rôle “nous, on n’a pas de baguette magique. S’ils se plantent, je ne serais pas atteinte par ça. Je prends du recul.” Lors du petit pot qui suivi, ce même père de famille faisait l’éloge de l’action du Codase : “il faut qu’on en parle plus, il faudrait le même pour les parents”.

Les missions éducatives dans la rue et dans les familles peuvent se compléter. Clément Ségissement ajoutait que “le rôle de parent est joué par beaucoup de gens”. Le rôle d’un grand frère ou sœur dans la famille peut intervenir parfois. Une personne habituée du quartier témoignait avoir déjà joué un rôle pour calmer des jeunes du quartier. Sans aucune mission d’éducateur de rue, il allait ensuite en parler avec les parents concernés. “Une personne ressource” qui ne sera pas soumis au même respect de l’anonymat et secret professionnel que les éducateurs de rue.

Ce qu’on vend, c’est la confiance qu’on peut nous faire”, termine Rémy Barthélémy. Un travail d’éducateur de rue qui s’expérimente aussi sur les réseaux sociaux, là où se trouvent les jeunes, avec quelques agents qui passent 5 heures par semaine sur ce nouveau terrain virtuel. Y aura t-il un jour plus d’éducateurs en ligne que sur le terrain ?

Ludovic Chataing, journaliste web pour L’avertY.


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Le climat, nouveaux combats

“Les jeunes mobilisés pour le climat” est un sujet proposé par une abonnée. Il a été retenu à 53% lors du vote final du 30 avril et 1er mai 2019. Après Nuit debout et les gilets jaunes, les jeunes seront-ils la nouvelle force citoyenne des prochaines années ?

« Notre biosphère est sacrifiée pour que des personnes riches dans des pays comme le mien puissent vivre dans le luxe. […] En 2078, je fêterai mes 75 ans. Si j’ai des enfants peut-être qu’ils passeront la journée avec moi. Peut-être qu’ils me demanderont de parler de vous. Peut-être qu’ils me demanderont pourquoi vous n’avez rien fait alors qu’il était encore temps d’agir. Vous dites que vous aimez vos enfants par dessus tout et pourtant vous volez leur futur devant leurs yeux… »

Ces mots sont ceux de Greta Thunberg, jeune suédoise de 16 ans, lors d’un discours prononcé à la COP24 le 12 décembre 2018 à Katowice en Pologne. Un discours fondateur qui va permettre, grâce à sa diffusion sur Instagram, de mobiliser de nombreux jeunes à travers le monde. À Grenoble, du smartphone à la mobilisation en collectif, il n’y a qu’un pas. Sous la bannière Fridays for future, collégiens, lycéens et étudiants s’organisent pour leur nouveau combat, celui de la défense du climat face aux pollutions et au réchauffement climatique. Leur première action visible dans la presse sera la manifestation mondiale du 15 mars dernier. D’après France 3 Alpes, elle a regroupé 3000 manifestant·e·s sur Grenoble. Un cortège parmi les 2000 autres à travers la planète.

L’éveil d’une génération

“Je me disais que c’était impossible qu’il y ait une manifestation à Grenoble”, témoigne Bastien Beretta, en seconde au Lycée du Grésivaudan à Meylan. Mobilisé une semaine avant le 15 mars, il s’est impliqué dans l’organisation du mouvement, grâce à la plateforme Discord qui regroupe une trentaine d’actifs locaux et 200 sympathisants. Maryem Taib, nouvelle arrivante sur Grenoble en septembre en troisième au collège Vercors, s’est engagée dans ce groupe “dès que j’ai su” qu’il existait. Contrairement au Lycée du Grésivaudan, elle trouve “très dur de mobiliser les autres” et dénonce l’inaction des établissements scolaires, “on ne nous parle pas d’environnement, on apprend des principes qui ne sont pas humanitaires”. En écho à ces propos, Stéphane Mayer, également en seconde au Lycée du Grésivaudan, estime apprendre beaucoup de choses depuis qu’il est dans le mouvement Fridays for future. En dehors des discussions web, le groupe se réunit dans la vraie vie, quasiment chaque vendredi après-midi devant la mairie de Grenoble ou Place de Verdun, “de 13h à 17h, selon la météo”.

Le groupe cherche aussi à organiser d’autres actions plus directes, comme le 4 mai dernier pour une action de désobéissance civile dans un hypermarché afin de dénoncer la surconsommation. Les participants ont rempli des caddies de certaines marques comme “Coca-cola, Ferrero, Colgate”, puis ont manifesté auprès des clients du magasin. Malgré une protestation des vigiles, l’action s’est déroulée sans interpellation. Les policiers appelés pour l’occasion n’ont posé que quelques questions, sans donner suite. Bastien explique aussi le rôle des deux majeurs du groupe Extinction Rebellion “pour expliquer et calmer le jeu”.

Parents et professeurs à la traîne

Les jeunes rencontrés dans ce mouvement grenoblois pour le climat se sont mobilisés par eux-mêmes, sur les réseaux sociaux, entre ami·e·s ou frères et sœurs. S’il y a bien des prédispositions dans les familles sur la sensibilisation au tri des déchets, sur la pratique du vélo, les parents ne sont pas des fervents militants dans la grande majorité. Pour Bastien, son père est un “écolo normal”, avec une seule manifestation récente sur les services publics à son actif. Ethel, étudiante interviewée en manifestation le 24 mai, explique que “en théorie, mes parents sont d’accord qu’il faut faire des choses pour que ça change, mais en pratique c’est plutôt moi qui pousse”.

Chez Stéphane, il a fallu négocier auprès des parents sa participation à la grève pour le climat. Son petit frère Gabriel, en 6ème, n’a pas pu obtenir le même droit. Il peut seulement participer symboliquement aux actions en portant un brassard vert au collège. “Il s’engage à son échelle.” Dans les établissements, il n’y a pas de réponse globale face aux actions grévistes. Le professeur de physique de Stéphane se contente de rester neutre face aux choix de la grève. Celui de mathématiques de Maryem va plutôt l’inciter à réfléchir sur un article qui fait passer le message qu’il ne suffit “pas de se plaindre, mais qu’il faut proposer autre chose”. Au Lycée du Grésivaudan, la proviseur ne veut pas d’affichage dans son établissement pour annoncer les grèves et actions. Les élèves contournent l’interdiction par les réseaux sociaux, ou en posant des “messages secrets” dans les toilettes notamment, seul espace réservé aux élèves. Maryem pense que les adultes ont une grande part de responsabilité dans le réchauffement climatique, “est-ce qu’ils vont parler de ça avec leurs enfants ?”. Bastien ajoute, “venez sauver le monde, c’est pas que les jeunes, c’est tout le monde”.

Plus chauds que le climat

La dernière grande manifestation mondiale pour le climat s’est déroulée vendredi après-midi à Grenoble entre 14h00 et 16h30. À l’approche des examens de fin d’année, la mobilisation dans la rue s’est comptée en quelques centaines de personnes, avec ses slogans, pancartes et banderoles. “Vous êtes à court d’excuses, nous sommes à court de slogans” est tirée du discours de Greta Thunberg. Un autre plus violent, comme “ils coupent les arbres, on coupera les têtes”. Ou encore le très mignon, “désolé maman, je sèche comme la planète”, tenu par une fille d’environ 10 ans.

Le cortège passe devant les usagers du tram à l’arrêt Hubert Dubedout.

Dans la rue, les passants s’arrêtent pour voir arriver le cortège. Contrairement aux défilés usés des syndicats, celui-ci dénote avec des jeunes qui passent par les trottoirs et qui scandent “et 1, et 2, et 3 degrés, c’est un crime contre l’humanité”, ou le désormais historique, “on est plus chauds, plus chauds, plus chauds que le climat”. Sur des grands carrefours, les jeunes s’arrêtent, s’assoient pour ensuite lancer un clapping collectif. De quoi galvaniser la foule, joyeuse et déterminée. Dans ce cortège grenoblois, de nombreuses jeunes femmes sont présentes. En procédant à des interviews au hasard, le micro de L’avertY n’a rencontré qu’une seule fois un jeune homme, pour cinq jeunes femmes. Certaines vont jusqu’à bloquer des voitures avec leur panneau, brandi avec détermination. Ce qui vaudra quelques altercations sans histoires, gérées en partie par des adultes à l’arrière du cortège, ou par un policier qui est allé à leur rencontre.

L’arrivée est tout aussi structurée, avec un dépôt de fleurs et de pancartes en hommage aux futures victimes du réchauffement climatique, accompagné d’une minute de silence. Le discours de Robin Jullian, 16 ans et membre actif de Fridays for future Grenoble vient clore l’après-midi, avec quelques petites annonces supplémentaires. À deux jours de l’élection européenne française, il lance un appel au vote :

« Il paraît que beaucoup souhaitent s’abstenir. Ce que nous vous demandons, c’est d’aller voter, car nous les jeunes nous n’avons aucune voix, alors que ces élections nous concernent. Ne pas voter, c’est accepter la confiscation de la démocratie. »

Un appel au vote qui sera entendu en France et Allemagne, avec un boost pour les partis étiquetés écologie. D’après l’enquête Ipsos/Sopra, Europe Écologie-Les Verts a capté 25% des votes des 18–24 ans, et 28% chez les 25–34 ans. Pour l’institut Harris Interactive, la tendance est également visible mais en plus faible proportion. John, 22 ans, étudiant en Master Information et Communication pense que “voter est un devoir”, avec cette réflexion paradoxale “si voter servirait, ça serait interdit”. Ce gilet jaune des premiers week-ends aura trouvé une action plus pérenne dans ce groupe local pour le climat. Une semaine d’actions est déjà en préparation à partir du 23 septembre. De quoi faire perdurer le mouvement sur le long terme ?

Ludovic Chataing, journaliste web pour L’avertY.


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Électeur es-tu là ?

“Les élections européennes” a été élu sujet du mois avec une courte voix d’avance, malgré un record de 104 participants (à 40% et 42 votes). Le moment idéal, quelques semaines avant le tour unique du 26 mai 2019. Pour s’ancrer dans l’actualité locale, L’avertY a décidé de se concentrer sur l’implication des militants dans cette campagne électorale, ainsi que les techniques déployées pour susciter l’intérêt des électeurs.

Si la campagne des élections européennes ne passionne pas les foules, cela n’empêche pas quelques irréductibles militants de continuer à mettre en valeur leurs idées politiques. Au cours du mois d’avril, des phrases comme “ah bon, il y a des élections ?” ne sont pas rares, ce qui donne une toute première mission, commune à tous : informer sur l’élection en elle-même (voir fiche pratique en fin d’article).

S’il est difficile d’établir un panorama précis des militants les plus engagés sur le terrain, on peut dire qu’ils sont actifs là où se trouvent leurs élus ou leur électorat. À titre d’exemple à droite, Debout La France envisageait une réunion à Voreppe avec son élue Florence Delpuech. Le Rassemblement National organisait un meeting à Voiron le 2 mai, où siège le conseiller municipal Alexandre Collin. À gauche, le nouveau parti Génération·s, piloté par Benoît Hamon, s’est réuni dans un bar de Grenoble en présence de l’élu grenoblois Paul Bron. Quand au Parti Communiste Français (PCF), il rassemblait ses maires et électeurs de l’agglomération, à Echirolles le 5 avril, en présence de la tête de liste Ian Brossat.

La technique du train, dite “vague verte”

Pour Europe Écologie-Les Verts (EELV), la cible idéale ce sont les personnes qui prennent le train. Ce jeudi 30 avril, une dizaine de militants se sont regroupés gare de Grenoble pour distribuer des journaux de campagne. L’action se déroule simultanément (dans la journée) dans plus de 200 gares de France. Soit “entre 100 000 et 150 000 journaux” à écouler. Pour Grenoble, Gières et Échirolles, un stock de 5000 journaux est prévu. Les journaux seront diffusés sans difficulté majeure entre 7h30 et 9h du matin. Un horaire stratégique permettant de toucher les personnes partant au travail, mais aussi aux adhérents de venir participer à l’opération “vague verte”.

À droite l’élu Pierre Mériaux, à gauche Jérôme passe un appel pour le boulot.

Le titre en jaune du journal gratuit “J’veux du bonheur !”, et le sous-titre “fin du monde, fin du mois, même combat”, rappelle sans équivoque le mouvement des gilets jaunes, en particulier le documentaire dédié du journaliste-député François Ruffin “J’veux du soleil !”.

Dans le groupe présent ce matin-là, on retrouve des militants rodés depuis des années. Ali milite depuis 6 ans, Jérôme depuis environ 10 ans, Béatrice depuis plus de 30 ans, Michel depuis 40 ans. Et puis il y a Diego, “je viens de déposer mes filles à l’école”, désireux de participer à ce type d’opération pour la première fois. Sympathisant sans être adhérent, ce sera aussi sa première participation à une élection française. Originaire du Chili, venu en France pour ses études, il a récemment obtenu la nationalité. Il est venu aider pour honorer ce nouveau droit de vote, mais aussi pour ses filles de 3 et 6 ans. Au Chili, il a connu l’impact du dérèglement climatique et les problèmes de déforestation et vit son implication de manière internationale, “on est tous liés”.

La technique du marché, en groupe d’action.

Ce mercredi 10 avril, quatre militants de La France Insoumise (LFI) distribuent des tracts sur le marché Saint-Bruno pour annoncer la réunion publique qui a lieu le soir même à Fontaine avec le candidat local Alain Dontaine (colistier n°56) et les nationaux Manuel Bompard (colistier n°2) et Anne-Sophie Pelletier (colistière n°5). Ce “groupe d’action” milite spécifiquement dans les quartiers Saint-Bruno, Estacade et Europole.

Laura distribue son dernier tract “le plus dur à donner”. À sa droite, Sébastien et Guillaume.

L’élue à la région, Émilie Marche en fait partie. Elle explique qu’au marché “ça prend plus”, contrairement aux arrêts Alsace-Lorraine des trams A et E où les gens sont “speed”. Mieux que ça, les personnes s’arrêtent pour entamer une discussion. Ce qui fait conclure Laura, militante depuis 1 an et demi, que “le terrain permet de connaître le quotidien des individus”. La conversation entre Guillaume, 29 ans, et un passant l’illustre bien :

– “J’ai fait 178 trimestres, je travaille depuis 46 ans et je continue à travailler.”

– Guillaume : “[Le vote] c’est le seul truc qu’on a pour changer les choses”.

– “Même Mélenchon, il ne va rien changer.”

Militant pour LFI depuis une année, Guillaume n’en est pas à ses premières expériences. Il était auparavant militant pour EELV à Marseille, avant de rejoindre le parti de Jean-Luc Mélenchon. C’est le discours “verdi” du candidat à la présidentielle et le “délitement total des Verts” qui l’ont convaincu. Il avait pu exprimer toute sa déception sur France Inter en février 2016, face à Emmanuelle Cosse, ex-secrétaire EELV. Aujourd’hui, il identifie deux moyens d’actions : “les urnes ou la révolution”. Il passe ainsi du temps sur les réseaux sociaux, mais aussi sur d’autres luttes, comme celle des gilets jaunes. Fidèle à ses convictions, il a même récemment quitté son travail d’ingénieur en mécanique car “la boîte a changé son activité et ne fait que de l’armement”. Enfin, Sébastien a lui aussi quitté EELV pour LFI. Il était militant chez Les Verts depuis 1999. Pour sa part, c’est un manque de consultation des militants qui l’a fait partir même s’il garde “de bonnes relations au niveau local avec les autres militants EELV”.

La technique du rassemblement général, dite “meeting populaire”

Salle des fêtes d’Échirolles, vendredi 5 avril, tous les militants communistes sont invités dès 20h à participer à un “grand meeting populaire”. Un rassemblement qui fera salle comble, pour environ 400 personnes, afin d’écouter la tête de liste PCF Ian Brossat, mais aussi Lucie Martin, la jeune colistière locale qui vient d’avoir 19 ans.

À la tribune, le maire Renzo Sulli. Debout à droite, face aux militants, Ian Brossat.

Plus tôt, aux alentours de 18h, quelques militants se sont retrouvés autour d’une “table ronde” sur les services publics. Si Lucie Martin montre avec Ian Brossat, un visage jeune et neuf, ce n’est pas le cas de l’audience de cette mini-conférence. Les militants présents n’hésitent pas à prendre la parole longuement lors des questions du public et à s’interpeller par leur prénom, avec ce sentiment que tout le monde se connaît déjà depuis longtemps.

La moitié de la salle des fêtes est réaménagée par les militants, suite à la table ronde qui se termine.

Au cours de l’avancée de la soirée, les militants transforment la salle en enlevant certains panneaux et en ajoutant des chaises en fond de salle. Pendant que la conférence de presse a lieu en extérieur, la salle se remplit. Puis c’est au maire échirollois, Renzo Sulli, d’ouvrir le bal des prises de parole successives. Au premier rang, quelques élus dont le maire martinérois David Queiros. La salle est chauffée progressivement par le discours de Lucie Martin, puis des autres colistiers Michel Jallamion (non-encarté) et la sénatrice Cécile Cukierman. La tête de liste Ian Brossat reprend alors les rennes, et s’appuie sur l’actualité du moment : son premier grand débat télévisé a eu lieu la veille sur France 2.

Auditeur du meeting tenant le journal L’Humanité, intitulé “Marx, le coup de jeune”.

La venue de la tête de liste n’a pas été anodine pour les acteurs politiques grenoblois. Dans l’assistance, on aperçoit Yann Mongaburu, vice-président métropolitain aux déplacements et conseiller municipal délégué à Grenoble. Ludovic Bustos, maire de Poisat et vice-président métropolitain espaces publics et voirie, était aussi présent, mais sous sa casquette d’artiste dans le duo musical Ke Onda. Cette journée a été aussi l’occasion d’une rencontre avec le maire Éric Piolle.

Rencontre assumée entre Éric Piolle et Ian Brossat, au bar de La Belle Électrique. Photo d’un lecteur de L’avertY.

La technique numérique, dite “réseaux sociaux”

Nouvelle salle, nouvelle ambiance. Samedi 27 avril, le café Jules Verne accueille une réunion publique du nouveau parti Génération·s de Benoît Hamon. Émancipé du parti socialiste depuis décembre 2017, le parti réunit des anciens militants socialistes, mais aussi des jeunes, smartphones au poing. Une équipe à l’aise avec les réseaux sociaux qui permettra d’alimenter Twitter tout au long des prises de parole des colistiers Zerrin Batanay, Paul Bron, Arash Saeidi et Jacques Terrenoire.

Mathilde (tout à droite) tweete avec les autres militants pendant la prise de parole des colistiers.

La technique est simple. Un compte propose une citation d’un candidat, puis les autres militants de la salle partagent le tweet (retweet) pour donner plus de visibilité au mouvement. Des mots-clés (hashtag) sont utilisés pour faciliter la diffusion ciblée. Leur campagne est rythmée par des semaines thématiques. Jusqu’ici, ont été abordés la jeunesse, le féminisme, l’économie et l’écologie. Pour chaque thème des visuels et une vidéo sont produits, et une action dite “coup de poing” engagée.

Jean-Paul fait partie des vieux militants. Il est actif dans le comité Grésivaudan de Génération·s. “On a quitté le PS parce que pas assez à gauche. On suit Benoît Hamon.” Ils étaient 9 militants à sauter le pas, pour aujourd’hui constituer un noyau dur de 20 personnes. D’après lui, le mouvement compterait entre 45 000 et 60 000 personnes, mais admet qu’il est “difficile de se compter” du fait de la non-obligation d’adhésion formelle. C’est d’ailleurs l’histoire de Mathilde, 20 ans, qui a commencé à “rencontrer des militants” et qui s’est engagée après un mois d’action en tant que sympathisante. Elle s’était pourtant jurée de ne jamais voter socialiste. Mais pour le candidat socialiste à la présidentielle, elle a fait exception. “J’ai toujours voulu m’engager. Voter, manifester, ça ne suffisait pas”, explique t-elle. Elle est aujourd’hui étudiante à Sciences Po, s’est engagée dans une association féministe et passe beaucoup de temps sur cette campagne des élections européennes. Simple militante pour la présidentielle, elle est aujourd’hui coordinatrice des jeunes militants en Isère. Ce qui mobilise plus d’énergie.

La technique mobile, dite “caravane nationale”

L’auriez-vous aperçu ce lundi 15 avril ? La “caravane des territoires” était de passage en Isère pour le parti Debout La France. Au cours de la campagne des élections européennes, le véhicule de 8 mètres de long fait étape dans les préfectures et sous-préfectures de toute la France. Ce jour-là, elle passait par La Tour-du-Pin et Bourgoin-Jallieu, pour finalement se garer le soir à Saint-Martin d’Hères. La caravane devait reprendre son action le lendemain en début de matinée, mais c’était sans compter l’actualité. Notre-Dame de Paris est en feu. Le parti décide de stopper sa campagne en réaction à l’événement, tout comme le Rassemblement National et En marche. L’étape martinéroise n’a donc pas eu lieu.

La caravane DLF à Saint-Martin d’Hères sur le parking de la Maison de la Pierre. Photo d’un militant.

Ludovic Blanco, militant DLF à Grenoble coordonne l’action du terrain en Isère. Cet étudiant en Master Histoire identifie une “petite cinquantaine de militants” actifs, et environ 200 adhérents en Isère, avec une répartition de 60% dans le Nord-Isère, où la droite est plus présente.

Mobiliser son électorat

Au jeu des prédictions de résultats, chaque liste se veut optimiste. Que ce soit chez les militants PCF, Génération·s ou EELV, on n’imagine pas faire moins bien que les sondages actuels. Mais derrière ces calculs optimistes se cache une réalité inévitable : il y aura plus de gens qui ne voteront pas que de gens qui voteront. En 2009, le record d’abstention sur cette élection s’établissait à 59,4%, puis a reflué légèrement en 2014, à 57,6%. Les sondages, lanternes politiques de nombreux partis, prédisent aujourd’hui un taux de participation similaire…

Ludovic Chataing, journaliste web pour L’avertY.


Assesseur·e·s, petites mains de l’élection

“Être acteur et pas consommateur.” C’est ce qui animera Françoise à participer au scrutin du 26 mai en tant qu’assesseure de bureau de vote. Cette citoyenne grenobloise, engagée sur tous les fronts, a accepté de participer à l’interview vidéo de L’avertY. Elle nous parle de son parcours citoyen, de l’abstention et donne ses idées pour redonner envie aux électeurs de participer aux votes.


Les élections européennes (fiche pratique)
Date de l’élection en France : 26 mai 2019
Type d’élection : un seul tour,
à la proportionnelle.
Nombre d’eurodéputés dans l’Union Européenne : 751
Nombre d’eurodéputés à élire en France : 79
en théorie, en réalité ce sera 74 si le Brexit n’a pas lieu avant l’élection.
Score minimum pour avoir des élus : 5%
Score minimum pour être remboursé des frais de campagne : 3%
Nouveauté par rapport à 2014 : une seule circonscription nationale à la place des 8 régions.
Nombre de listes présentées : 33 (
un record)

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