À la recherche d’un bout de terre

Le sujet “L’agriculture en ville” a été élu à 56% le 2 février 2019 lors du vote mensultimédia de L’avertY. N’oubliez pas que le média ne vit qu’à travers vos dons sur la plate-forme de financements participatifs Tipeee.

Trouver un bout de terre cultivable en bas des immeubles, ce n’est pas si simple. À Grenoble et dans l’agglomération, les envies de produire sa propre alimentation ne manquent pas. À commencer par les jardins collectifs, disséminés ici et là. Le Verger Essen’Ciel en fait partie. Il est situé dans une zone urbaine, le quartier Vallier-Catane. Né en 2013, ce jardin est supervisé par un noyau dur de 10 à 12 participants très actifs. Marc y contribue, plus modestement, depuis trois, quatre ans maintenant. Habitant à l’époque dans le quartier, “j’ai remarqué ça” un an ou deux après avoir déménagé. “Au début je venais pour jeter mes déchets au compost”, raconte-t-il. Originaire de Saint-Marcellin, retrouver le contact avec un bout de jardin lui tenait à cœur.

Au sein de cet espace vert, il a pu s’essayer au jardinage en ville en réalisant des semis, des tailles d’arbustes, ou encore de l’entretien. Plus que ça, il y découvre un espace de rencontre dans le quartier. Il croise régulièrement des personnes qui vont récupérer du compost, mais aussi des mamies, ou encore les promeneurs de chien. Il n’y a d’ailleurs pas d’organisation précise pour les horaires, “chacun vient quand il peut”. Bien connecté à son environnement urbain, le jardin bénéficie d’aides extérieures avec les dons de feuilles mortes des services de la Ville de Grenoble, ou le marc de café d’un établissement voisin, afin d’améliorer la qualité de la terre.

Sur la production en elle-même, Marc tient à préciser en toute franchise, “on ne se fait pas notre panier de légumes chaque semaine. On récolte peu, c’est surtout un espace d’expériences.” Parfois, des salades sont piquées par d’autres personnes extérieures au jardin, mais il ne leur en tient pas rigueur. Cependant Marc reste émerveillé devant la productivité du jardin, où les courges “poussent à fond en deux mois”. Pour lui “ça pousse bien parce que les jardiniers sont à fond”. Malgré son déménagement dans un autre quartier de Grenoble, il continue de participer au Verger Essen’Ciel.

Planter un arbre, tout un art ?

En plus de l’espace potager, le jardin du quartier Vallier-Catane accueille des arbres fruitiers, encore jeunes, plantés en 2014. Un autre rythme d’agriculture qui demande quelques connaissances spécifiques. En atteste l’approche prudente des citoyens d’Eybens, réunis le 6 février par l’association “Les Croqueurs de pommes”, dans les locaux de la mairie. Philippe Jamet, Coublevitain, a déroulé un diaporama très complet, deux heures durant, auprès d’un groupe d’intéressé·e·s dans l’objectif de planter des arbres à l’Espace nature de la ville. Cette parcelle collective permet depuis plus d’un an l’animation de projets citoyens collectifs autour de la nature et de la biodiversité. On y retrouve déjà une mare et un potager partagé. Cet espace de 8000 m² situé au Pré au Crêt sera par ailleurs entretenu par une quinzaine de personnes en situation de handicap, grâce à l’association dédiée Arist.

La conception du verger n’en est qu’à ses débuts. C’est pourquoi l’association “Les Croqueurs de pommes” a donné quelques petits conseils, notamment sur l’espacement à respecter entre chaque arbres, sur les zones d’accès, ou sur l’anticipation de la hauteur d’un arbre à taille adulte. On a pu apprendre notamment que “les abricotiers ne poussent pas bien ici”, ou au contraire qu’on peut désormais planter des oliviers dans la région. Les habitants présents sont bien conscients qu’on ne peut pas faire tout et n’importe quoi. Patrick est venu parce que ses arbres “achetés chez Botanic crèvent régulièrement”. Pour Laurent, il a été convaincu par les premières expérimentations de l’Espace nature et a “envie d’apprendre et de participer”. Pour Hélène, “l’idée de verger me plaît bien”, tout simplement.

Comme on peut l’observer pour les jardins potagers collectifs, Les croqueurs de pommes concluent qu’un verger nécessite “une structure, que les gens se réunissent comme dans une association” pour pouvoir maintenir l’action dans la durée. Les arbres dits “haute-tige” peuvent ne pas produire de fruits avant 10 ans. Pour le moment, l’implantation des arbres sur l’Espace nature est fixée pour la fin d’année 2019. La mairie est garante de la coordination et de l’animation de ces rencontres citoyennes, représentée ce soir-là par Muriel Aldebert, responsable du Pôle citoyenneté à la ville d’Eybens, et par l’élu Henry Reverdy, conseiller municipal délégué aux Espaces verts. De l’autre côté de l’agglomération, un autre verger est en cours de formation à Saint-Égrève, dans le quartier Rochepleine. Muriel Aldebert imagine déjà une rencontre entre les deux projets, au cours de l’année.

Parcelles individuelles

Toujours dans l’agglomération, on découvre des jardins proches de l’autoroute à Échirolles ou à Pont-de-Claix. Appelons-le Charles, il possède sa propre parcelle de terre à jardiner depuis son déménagement il y a deux ans dans le quartier de La Viscose à Échirolles. Des haricots verts, de l’ail, des tomates, et “peut-être même des oignons” seront plantés cette année. Si ses parents originaires de Champ-sur-Drac lui ont permis de se projeter sur un jardin, il a appris à cultiver ses légumes “petit à petit”, avec les anciens des autres jardins environnants.

Pour lui “la terre n’est pas idéale”, mais le passionné passe beaucoup de temps sur son terrain. Parfois “ça pousse, mais ça dépend des années”. Une fois, il a essayé de planter des patates, il n’en a récupéré que deux parmi tous ses plants. Une autre fois ce sont les pucerons qui ont détruit ses aulx. Et pas question d’utiliser des produits pour les tuer, car “ça tue également la plante”. Mais quand Charles sort quelques légumes de terre, la satisfaction est là, “je sais ce que je mange”. Plus qu’un jardin pour se nourrir, c’est une occupation pour le moral. “L’hiver je m’emmerde”, témoigne-t-il, mais le reste de l’année et grâce à son jardin, l’homme de 66 ans a la sensation d’en avoir seulement 30.

Ali Bayram commence tout juste à retourner la terre à Échirolles ce mois de février.

Avec son voisin Ali Bayram, ils sont les deux plus actifs à venir labourer en ce mois de février. Les autres voisins ne montrent pas le bout de leur nez avant mars ou avril. Les conditions d’utilisation de l’eau ne sont pas pour autant idéales. Ils récupèrent la pluie dans des bidons bleus, ou sinon font des aller-retours jusqu’à un point d’eau proche avec une charrette. Malheureusement, Charles se l’est faite voler il y a quelques jours. Il suppose que ce sont quelques gamins du quartier qui l’ont piquée. Il espère la retrouver dans le quartier bientôt.

Un peu plus loin au sud, à Pont-de-Claix, on peut découvrir des jardins familiaux entre la résidence Les Elfes et le Canal des 120 Toises. J’y rencontre Ludovic Abrard, 91 ans et toujours présent sur sa parcelle. Malgré son âge, il continue de cultiver persils, céleris, courgettes ou courges. Sur l’efficacité de son terrain, il explique que ça se passe bien en général, “sauf l’année passée, ça a été dur, avec beaucoup de parasites”. À quelques centaines de mètres, Slimane Essid n’est plus tout jeune non plus. Avec sa parcelle de 50 m², il cultive des fèves, petits pois, piments, courges, tomates et aussi des fraises. “On se prête des plantes entre nous”, explique-t-il à propos des relations entre voisins. Comme pour Charles, il plante pour le plaisir et occupe ainsi sa retraite. Lors de notre rencontre, son ami Mihoib Muhrey était là pour l’aider à retourner la terre. Il trouve aussi du plaisir à cultiver et avait pris cette habitude en Tunisie. Cet autre Pontois n’a pas encore de parcelle à jardiner. L’attente est longue pour obtenir son lot de terre, entre 3 et 5 ans d’après ses estimations, et seulement “si quelqu’un part”. Il faut préciser que l’exploitation de bout de terre ne coûte que 45€ à Slimane, pour l’année entière.

Au premier plan Slimane, accompagné par Mihoib, dans sa parcelle de Pont-de-Claix.

Des expérimentations aériennes

Dans le domaine de l’agriculture en ville, une association fait parler d’elle à Grenoble. Celle au nom explicite “Cultivons nos toits”. Précédemment association étudiante, dès 2011, elle s’est professionnalisée en 2016 grâce à des subventions privées, puis publiques de Grenoble-Alpes Métropole et de la région Rhône-Alpes en 2017–2018. Les figures de proue de l’association actuelle sont dans l’ordre d’arrivée Lucas Courgeon (2014), César Lechémia (2015) et Mickaël Bourgeois (fin 2016–2017). Tous les trois peuvent aujourd’hui vivre de cette activité.

Plusieurs projets sont à compter à leur actif. Le plus visible a été celui de La Casemate. Le toit du bâtiment leur a été confié pour 30 m² d’abord en avril 2016, avant de passer à 300 m² de terrain cultivable, cinq mois plus tard. L’association a eu le temps de démontrer qu’il était possible de cultiver des comestibles sur un toit, ouvrant l’imaginaire des possibles. Une année plus tard, le jardin est la victime collatérale de l’incendie visant le FabLab de La Casemate. Les accès n’étant plus sécurisés et l’étanchéité du toit à refaire, l’association a dû purement et simplement abandonner son activité sur ce lieu.

Plus historique, l’association avait également installé un jardin partagé à Vif. Il a été arrêté courant 2018 face à la baisse de motivation des bénévoles sur place. Il n’y avait pas d’animateur privilégié pour ces 400 à 500 m² de jardin, dont 50 m² sous serre. Cependant, les énergies ne manquent pas pour “répliquer le projet de La Casemate”. Un gros projet doit voir le jour en septembre 2020, celui du “Bar Radis”. César Lechémia développe en détails dans l’interview vidéo ci-dessous accordée à L’avertY.

Conscient des attentes du public, il explique spontanément l’impact des polluants dans l’air sur les légumes. En se basant sur une étude de AgroParisTech, il estime qu’avec les pesticides en campagne, les légumes peuvent être “très largement pollués”. Tandis que pour les cultures sur toits, “on a pu sélectionner notre substrat absolument pas contaminé”.

«On sélectionne une terre et du compost urbain en général qu’on mélange pour la culture des plantes. C’est un sol vivant, avec des insectes aussi. Notre terre est de meilleure qualité que des sols qu’on retrouve en campagne» – César Lechémia, salarié à Cultivons nos toits.

Même en agriculture traditionnelle biologique, il estime qu’il peut y avoir plus facilement des contaminations, par les rivières ou les sols. Pour lui, la pollution du sol est plus important pour les légumes en racines, tandis que la pollution de l’air va être importante pour les légumes feuilles. “Ce qui va se déposer principalement, ce sont des micro-particules qui ont tendances à ne pas monter au dessus de 10–12 mètres.” L’agriculture urbaine manque toutefois d’études locales pour venir valider ces premières conclusions.

L’association est toutefois totalement convaincue de l’utilité de son action. Elle voit les côtés positifs “des coefficients de PLUI qui sont imposés en pleine terre sur des futures nouvelles constructions”. César Lechémia ne croit pas à des grands changements au niveau national, “il faut que ça se fasse au niveau local”. C’est par les politiques qu’il espère voir les futurs promoteurs sensibilisés à ces questions de l’agriculture urbaine. De leur côté, le trio de salariés de Cultivons nos toits crée des animations et ateliers à destination des citoyens. Après avoir lu cet article, vous verrez peut-être les toits de Grenoble sous un autre œil.

Ludovic Chataing, journaliste pour L’avertY.


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Pour aller plus loin :

Grenoble attend sa tour

Le thème “Restauration de la tour Perret” a obtenu 52% des votes le 6 janvier 2019. N’oubliez pas de faire un don si ce contenu vous plaît, ou si vous souhaitez soutenir la production des futurs mensuels multimédias.

Toujours présente, toujours debout. Solidement ancrée au sol par 15 mètres de fondations, la tour Perret du Parc Paul Mistral de Grenoble, aux mensurations de 8 mètres de diamètre à sa base pour 90 mètres de hauteur, attend patiemment sa restauration. Construite dès 1924 pour l’Exposition internationale de la Houille blanche et du Tourisme, elle porte alors le doux nom de “Tour pour regarder les montagnes”. C’est en 1954 que la tour prend le nom de l’architecte éponyme, Auguste Perret. Et par la même occasion, celui de ses deux frères, Gustave et Claude, de l’entreprise familialePerret frères”.

En bas à gauche, Auguste. Gustave en bas à droite. Claude sur le poteau, avec son vélo. Photographie issue des archives nationales. Référence : 535 AP 663.

Si la tour impose un nouveau style en béton armé en devenant la plus haute de sa catégorie (95 mètres avec son antenne de l’époque), l’édifice ne traverse pas les années sans souffrance. Des morceaux de bétons commencent à tomber, dû aux contraintes climatiques. Les travaux réalisés au début des années 50 ne permettent qu’un sursis d’une petite dizaine d’années, avant la fermeture définitive au public en 1960. En 1987, des travaux de purge des bétons sont réalisés, mais plus rien depuis.

Contrairement à ce qui est affirmé un peu partout, la tour n’a pas été conçue pour être éphémère comme la tour Eiffel à Paris. Pour s’en convaincre, il faut faire confiance au spécialiste local Cédric Avenier, auteur de nombreux ouvrages sur le béton, et très largement sollicité dans différents médias locaux. Cette infox (ou fake news) aurait servi à justifier son mauvais état.

Commentaire extrait du site Gre.Mag.

La restauration de la tour Perret a été longtemps repoussée. En septembre 2013, une pétition en ligne est déclenchée par Pascal Bioud, soutenue par toutes les associations patrimoniales de l’agglomération. Elle demande à ce que des engagements soient pris au plus tôt pour démarrer des travaux dans les trois années suivantes. La pétition s’appuie sur les conclusions de la dernière étude réalisée en 2011 par Benjamin Mouton, architecte en chef des monuments historiques. La pétition va recueillir en une journée plus de 300 signatures. Parmi les signataires visibles, deux sont actuellement élues conseillères municipales, et l’un adjoint, de la majorité : Fabien Malbet, adjoint école et patrimoine scolaire, Maryvonne Boileau, déléguée à la politique de la Ville, et très logiquement Martine Jullian, déléguée patrimoine historique et mémoire.

En novembre 2013, le média Place Gre’net titrait “La tour Perret sera restaurée en 2014”. Espoirs suscités par les annonces de l’adjoint à l’urbanisme Philippe de Longevialle, de la majorité de l’ancien maire socialiste Michel Destot. Annonce tardive puisque les citoyen·ne·s éliront la majorité actuelle en mars 2014, conduite par Éric Piolle. Le 7 novembre 2016, le Conseil municipal vote à l’unanimité le principe de restauration de la tour. Ce n’est que fin 2018 que la ville met en place une nouvelle palissade de sécurisation, plus haute que la précédente, également destinée à accueillir les œuvres du street-artist Groek (voir plus bas).

Depuis peu, un assistant à maîtrise d’ouvrage, François Botton, a été recruté suite à un appel à candidature en mai 2018. Il aura pour missions au cours de l’année de trouver le bon protocole de restauration, faire de ces travaux un chantier pilote dans la rénovation des bétons anciens, et réaliser les premiers tests en laboratoire et sur le site lui-même.

Tractations depuis 2014

Interpellé en Conseil municipal par l’élue d’opposition Bernadette Cadoux, deux ans après l’élection, le maire répond avoir “pris contact dès l’été 2014, avec les premiers mécènes potentiels, dont les cimentiers”. Nous sommes le 18 avril 2016. Il ajoute que “la suite du projet est conditionnée à cette réussite de cette campagne de mécénat. La Ville va tout faire pour avancer dans les meilleurs délais.” Dans le calendrier provisoire présenté en novembre 2016 par l’élue Martine Jullian, la fin des travaux est envisagée en 2021. Depuis, l’échéance est repoussée à 2022. Ni l’élue au patrimoine, ni la cheffe de projet n’ont mentionné ces premières démarches auprès de mécènes potentiels. À en croire le maire, il faut conclure que la campagne de mécénat amorcée en 2014 ne s’est pas passée comme prévue.

Des comités ouverts aux spécialistes

Le changement de calendrier peut aussi s’expliquer par l’arrivée d’une nouvelle cheffe de projet à la rentrée 2018. Valérie Vacchiani succède à Anne Maheu. C’est elle qui maîtrise le calendrier prévisionnel, en coordonnant tous les acteurs du dossier tour Perret. Et ils sont nombreux. En plus d’un comité de pilotage et un autre de suivi, trois comités d’experts consultatifs ont été créés fin 2016. Y participent des spécialistes de la tour Perret, du béton, mais aussi des employés du service patrimoine de la Ville, ou encore des représentants de la Drac (Direction Régionale des Affaires Culturelles). D’après Valérie Vacchiani, c’est le comité technique qui s’est le plus réuni. Le comité concernant l’usage de la tour Perret s’est réuni deux fois seulement, dont la dernière fois en 2017. Quant au dernier comité, qui s’occupe de la partie financements, voici ce qu’en dit l’élue Martine Jullian : “Les financements ont d’abord été un peu mis de côté parce qu’il faut savoir ce qu’on va faire. Que les financeurs éventuels soient certains que les travaux vont se faire.

Aligner le budget

Déjà chiffré à 4 554 000 € par une première étude en 2003, le coût total de la restauration de la tour Perret est réévalué d’année en année, pour atteindre aujourd’hui 8 000 000 € TTC. Une estimation réactualisée par la Ville sur la base de la deuxième étude en 2012.

Visualisation des nouvelles évaluations du coût total de la restauration de la tour Perret.

Rien que pour cette dernière étude, ce sont 104 880 € hors taxes qui ont été engagés. Grâce à un document daté du 23 mars 2012, on sait que l’État a pris en charge 40% de ce coût (41 952 €). Une aide facilitée par le classement de la tour Perret aux monuments historiques en 1998. Le Conseil général de l’Isère (aujourd’hui Conseil départemental) avait aussi participé à hauteur de 40% de la somme restante, soit 25 171 €. Si la dépense des 37 757 € restants était soutenable par la Ville de Grenoble, les coûts pour la restauration grimpent cette fois à sept chiffres.

Le processus de financement devrait être le même pour l’État (la Drac) et le Département. Un communiqué de presse de la Ville de Grenoble (février 2017) évoque “environ 4 380 000 €” de subventions de ces deux institutions. Elles ont affiché leur volonté de restaurer la tour Perret, malgré le coût élevé.

Pour les monuments historiques classés, le calcul se fait sur la partie hors taxes. Sur cette base, il faudrait ainsi trouver 2 millions d’euros supplémentaires, pour atteindre 6,4 millions d’euros hors taxes environ. Dans un contexte de baisses de dotations de l’État, la Ville de Grenoble ne souhaite sans doute pas investir autant, au risque de sacrifier le reste de sa politique. C’est pourquoi les campagnes de financement, participatives, prévue autour du mécénat et d’une souscription populaire, doivent être les plus efficaces possibles pour que la Ville de Grenoble ait un minimum à investir sur ses propres fonds. L’élue Martine Jullian assure que “la Ville mettra ce qu’il faut, le restant disons, pour boucler le budget”. Rénover du béton coûte cher. Au Havre, ville reconstruite avec le concours d’Auguste Perret, un îlot de quatre bâtiments dont la structure est en béton armé a coûté 555 000 € d’après France 3 Normandie.

D’autres pistes complémentaires à ces grandes lignes sont envisagées. La municipalité pourra compter sur une aide de la Région. Par ailleurs, le nouveau comité de pilotage “plus partenarial” a intégré Grenoble Alpes Métropole, espérant aussi un appui financier de sa part. Dernière piste, le Loto du patrimoine organisé par Stéphane Bern. Il s’agit d’un loto à base de tickets à gratter de 15€, dont 10% des gains vont à des projets de restauration du patrimoine. La première édition a eu lieu en 2018. En 2019, “on va postuler” assure Martine Jullian.

Patrice Guinard-Brun (vidéo ci-dessus), membre de l’association Ensemble pour la Tour Perret Grenoble (ETPG) a aussi sa petite idée pour animer la souscription populaire. Il a récupéré quelques éclats de bétons, qu’il imagine comme contreparties intéressantes pour les passionnés. La souscription démarrera après le début des travaux, lorsque “le budget sera bien arrêté” précise la cheffe de projet.

La tour comme outil éducatif

Au-delà du défi technique qui s’annonce, la restauration de la tour Perret a été pensée comme un outil pédagogique auprès du public. L’architecte François Botton devra organiser des visites “pour qu’on puisse en parler”, que ce chantier soit ouvert aux habitants, explique Valérie Vacchiani, cheffe de projet. Actuellement, les normes de sécurité limitent l’accès à la tour Perret à 19 personnes en même temps sur la plateforme à 60 mètres. L’architecte devra réévaluer ce point. Si un accident arrivait aujourd’hui, la Ville serait directement responsable. Aujourd’hui, les deux ascenseurs d’époque ne fonctionnent plus, il faut emprunter les escaliers. Quant à l’usage de la tour après rénovation, une chose est sûre :

« La tour a été construite pour être un belvédère des montagnes, ce sera un belvédère des montagnes. » – Valérie Vacchiani, cheffe de projet.

Cependant, la restauration va être l’occasion de replonger dès 2019 sur l’époque de sa construction, de permettre à des élèves, ou futurs donateurs, d’observer les travaux de restauration. En 2017, la tour Perret avait fait l’objet d’un partenariat avec l’IUT 1 de Grenoble à l’occasion de l’éclairage de la tour pour les Journées européennes du patrimoine en septembre.

La base, artistique

Le 25 janvier dernier, une grande palissade en bois a été inaugurée avec les œuvres du street-artist Groek. Jusque-là graffeur pour son propre loisir, c’est son premier projet de cette nature, aussi proche des gens. Il se fait régulièrement interpeller, et remplit un rôle de médiateur culturel auprès du public. Ses figures géométriques reprennent des éléments de la tour Perret, ou de son histoire. C’est le cas des claustras triangulaires de l’édifice.

Benoît, 39 ans, connu sous son nom d’artiste Groek.
Exemple d’un tag inclus à l’œuvre de Groek.

Son œuvre est aussi participative. En cas de tags, Groek décide s’il souhaite “garder et inclure une partie des interventions” à son travail. C’est pour cette raison qu’il a été retenu par le jury. Cependant, les tags politiques sont effacés par le service de propreté urbaine. En effet, la tour Perret est le point de départ de diverses manifestations du moment. La palissade doit être conservée toute une année avant les premiers tests de travaux de restauration sur place. L’artiste reviendra deux jours par mois pour adapter son œuvre aux interventions.

Des habitants inattendus

Grâce aux observations assidues d’un citoyen grenoblois, la Ville de Grenoble a pu savoir que trois espèces d’oiseaux fréquentent régulièrement la tour. Jean-Marc Coquelet est bénévole à la Ligue pour la Protection des Oiseaux (LPO). Il passe aux abords de la tour depuis au moins 35 ans, grâce à ses trajets domicile-travail, du quartier de la Bajatière (au Sud du Parc Paul Mistral) au Muséum d’histoire naturel (au Nord).

De gauche à droite : le faucon pèlerin, le faucon crécerelle et l’hirondelle de rochers.

Pour lui, l’espèce la plus intéressante à observer est le faucon pèlerin. Il y vient pour repérer des pigeons ou petits oiseaux, qu’il mange ensuite sur la tour. Il n’y habite pas en permanence. Il y a aussi le faucon crécerelle qui y emmène ses jeunes faucons pour s’exercer au vol. Les deux espèces de faucons dorment parfois en même temps sur la tour, “mais ils s’ignorent”. Les habitants plus réguliers sont des hirondelles de rochers, qui nichent depuis 10 ans sur la tour Perret. Jean-Marc Coquelet est capable de dire qu’un seul couple y loge, et que deux nichées s’envolent du nid par an, “malgré les tirages de feux d’artifices”.

« La tour Perret fait partie de ma vie depuis que j’observe les oiseaux dessus. J’ai appris à aimer toutes ses formes. Au début, je n’aimais pas trop le côté très béton, pas beaucoup de fenêtres. Mais en fait, elle a un style qui est assez intéressant. » – Jean-Marc Coquelet, grenoblois.

Avec le support de la LPO, il imagine pouvoir poser quelques nichoirs pour les hirondelles, avec cette contrainte d’être invisible depuis l’extérieur. Monument historique oblige. Ces nichoirs permettraient de créer une nouvelle colonie pour les hirondelles, qui sont en pertes d’effectifs ces dernières années. “Il faudra trouver des subterfuges. Un défi bien intéressant.”, s’enthousiasme-t-il. Loger des oiseaux, une idée attractive pour susciter l’intérêt de sa restauration ?

Des idées ?

À l’image de cette idée de visite de la faune, l’usage de la tour Perret peut encore évoluer. Les associations patrimoniales ont déjà toutes été sollicitées, et continuent de l’être. Cependant, l’élue Martine Jullian n’est pas contre d’autres idées, “si un habitant lambda veut transmettre ses idées, il peut écrire à la ville, à moi en particulier” [ndlr : martine.jullian@grenoble.fr].

Le processus de restauration de la tour Perret est ainsi amorcé en 2019, avec des inconnues sur les détails. Si Martine Jullian regrette ce démarrage long, “maintenant les choses sont bien parties”. Avec le label Ville d’Arts et d’Histoire délivré par le ministère de la Culture en septembre 2017, et le projet de restauration de la tour, elle espère susciter l’engouement concernant l’ensemble du patrimoine grenoblois.

« Il ne faut pas que cette restauration de la tour soit l’arbre qui cache la forêt. Il y a à Grenoble tout un patrimoine, plus modeste, qui doit être aussi considéré à sa juste valeur. J’aimerais que cette restauration de la tour Perret soit une accroche pour voir aussi ailleurs. Je pense en particulier au quartier de L’abbaye. On a réussi à le sauver à 75%. » – Martine Jullian, conseillère municipale déléguée au patrimoine.

René Bard, membre de Ensemble pour la Tour Perret Grenoble (ETPG), regarde déjà à l’horizon 2025 : “on va dire que pour ses 100 ans, elle sera là, et neuve de nouveau”. Patrice Guinard-Brun, membre du Conseil d’Administration de la même association ajoutait en interview vidéo que la tour est restée fermée durant 60 ans, pour seulement 35 années d’ouverture au public. Pour inverser la tendance, les travaux de restauration devront permettre des visites de la tour jusqu’en 2050. À moins de ne laisser à nouveau la place qu’aux hirondelles et faucons.

Ludovic Chataing, journaliste pour L’avertY.


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À découvrir aussi ce mois-ci, la carte numérique 
Voyage temporel avec la tour Perret”.

Lien : http://bit.ly/VoyagePerret

SDF de nos rues, quelles sont leurs histoires ?

Thème élu avec 81% des votes fin novembre. Cet article de fond se compose en deux parties distinctes. La première partie raconte les différentes histoires des sans domicile fixe (SDF) à Grenoble. La deuxième partie évoque des solutions pour agir en tant que citoyen·ne.

Johanna, Christophe, Stéphanie, Lucciano, Jules, Laurent, Georges, Diego, René, Messaouda, Isabelle… Ils connaissent, ou ont connu, le monde de la rue. L’avertY les a rencontrés lors d’une maraude avec Help SDF Grenoble, au Noël du Samu social au Jardin de Ville, lors de l’Assemblée Générale du Parlons-en, ou encore au repas annuel offert par Pierre Pavy au restaurant Le 5. Il n’y a pas d’histoire type. Chacun·e a ses raisons d’être dans la rue, d’y vivre, de dormir sous une tente, ou dans un hébergement temporaire.

La quête spirituelle de Johanna

Nous sommes devant la gare, un jeudi soir, peu après 20h, avec deux personnes du collectif Help SDF Grenoble. Elles ont amené des boissons chaudes, des vêtements, des pâtisseries et pains invendus récupérés dans une boulangerie. Christophe, Stéphanie et Johanna sont autour de ce banc tout neuf, en bois, proche des rails du tram. Stéphanie cherche des vêtements dans la grosse valise. Christophe boit une bière en canette. Johanna, elle, prend un café et se roule une clope. En discutant avec elle, j’apprends qu’elle voyage de “sanctuaire en sanctuaire”, en tant que pèlerin. Ses arrêts dans un même lieu ne durent jamais trop longtemps. De quelques heures à quelques jours. Elle veut rencontrer du monde. Ses voyages se font en stop, en bus, ou en train quand on lui paye le déplacement. Si elle préfère visiter le sud de la France, cela lui arrive aussi d’aller en Italie où elle s’est mise à parler un peu la langue pour se faire comprendre. Parfois, elle repasse par Lille voir sa famille. En ce qui concerne Grenoble, elle y passe plus souvent qu’ailleurs. Son contact dans la rue semble bien se passer avec les habitants. Une dame l’a récemment hébergée à Gap, et lui a payé le train jusqu’ici. Une autre lui a offert ses gants, qu’elle venait pourtant d’acheter. Ce choix de voyager, c’est sa ligne directrice de vie. Derrière cette histoire, que s’est-il passé dans la vie de Johanna ? On ne pourra pas le savoir en une seule rencontre. Elle se rappelle qu’à ses 12 ans, elle préférait discuter avec les personnes qui traînaient devant l’église, plutôt que d’assister à la messe. Elle se faisait reprendre par sa mère, sans vraiment comprendre pourquoi. Cela fait 6 mois qu’elle voyage comme pèlerin. Ce soir-là, elle ira dormir sous tente vers la Bastille, avec Christophe et/ou Stéphanie. Les températures de ce 13 décembre étaient négatives.

Laurent, emprunt de liberté

Ce mardi, il est assis à une table avec quatre autres hommes au restaurant Le 5. Depuis plusieurs années, le restaurateur Pierre Pavy y organise une fois par an un repas de Noël, pour les personnes précaires. Elles devaient initialement récupérer un ticket auprès de l’association Accueil SDF. Même sans ticket, certaines personnes ont été reçues. Le restaurant est bien chauffé, et donne un cadre très sécurisant pour les personnes accueillies.

Je ne m’attendais pas à rencontrer quelqu’un comme Laurent parmi les personnes sans domicile fixe. D’apparence jeune, malgré une calvitie bien présente, avec des cheveux très bouclés. C’est un solitaire. Il vit depuis 4 ans et demi, sous sa tente, en bivouac. Tous les soirs, il plante sa tente et la démonte dès l’aube. Les riverains ont peu de chance de le croiser ou de le repérer, car il change souvent de lieu. Il avoue quand même avoir ses petites habitudes à Gières. Pour lui, c’est un coin de l’agglomération plus tranquille, loin de toute violence. Très sociable, il raconte son choix de vivre en totale liberté. Sans développer, il explique qu’il est très engagé dans ses relations, et qu’il ne veut pas faire subir ça à son entourage. Dans le restaurant, les bénévoles coiffés d’un bonnet rouge et blanc de Noël s’activent pour faire le service. Après une soupe en entrée, un gratin dauphinois est servi avec de la viande. Laurent signale alors qu’il n’en mange pas. Sa demande a été prise en compte, sans sourciller, avec le sourire.

Gratin dauphinois sans viande pour Laurent.

En journée, Laurent passe son temps à lire dans les bibliothèques. Il préfère celles du campus, et peut y passer 7 heures par jour. Il continue de suivre l’actualité grâce à son poste radio, même si en ce moment il n’a plus de piles. “Secret d’infos”, diffusée le samedi à 13h20 sur France Inter, est une émission qu’il apprécie particulièrement. Côté presse écrite, il achète et lit Le Postillon, un média local qui ne mâche pas ses mots. La discussion avec lui autour de ma démarche de journaliste est passionnante, comme cela peut l’être avec un ami, ou avec n’importe qui s’intéressant de près aux médias. Sa ligne directrice de vie, c’est la liberté. Ce jour-là, il n’était pas seul, entouré des 107 autres personnes qui ont pu manger un bon repas, bien installées, et au chaud.

Georges, la justice jusqu’au bout

Parmi ces autres personnes présentes au restaurant, il y a Georges, 65 ans. À sa table, ils sont quatre hommes. En face de lui, je reconnais et salue à nouveau Christophe, rencontré avec Johanna la semaine précédente, mais aussi lors du Noël de la rue, organisé au Jardin de Ville par l’association Vinci. Georges est beaucoup plus méfiant, et moins à l’aise que les autres personnes que j’ai rencontrées dans le restaurant. Même ici, il se méfie de possibles vols. Il voulait bien raconter son histoire, mais préférait le faire en privé. Dehors, le soleil brille. À la suite du repas, nous nous installons sur les grandes marches du musée de Grenoble. Pour lui, ce sont des sentiments d’injustice et de trahison qui ont rythmé sa vie depuis 28 ans. À cette époque, il travaillait pour l’entreprise Seb. Son histoire n’est pas très claire, mais deux choses sont sûres : il a perdu son travail et a divorcé. Il ne s’est pas senti soutenu par sa famille. Il m’expliquait que son frère venait le “harceler”, sans plus de détails. Depuis, il vit principalement seul. Encore récemment, il habitait dans son logement du Nord-Isère, entre Vienne et Bourgoin-Jallieu. Un procès en appel l’a amené jusqu’à Grenoble. Est-ce qu’on l’a expulsé de son logement pour non-paiement de loyers ? Quelle est la condamnation formulée par la justice ? Les informations restent incomplètes lors de notre discussion. J’apprends tout de même que son avocat commis d’office n’avait tenu que 15 jours avant de se rétracter. La fracture avec la société est bien là. Georges n’a plus confiance dans les institutions. Il garde quand même une volonté de justice très forte, continue d’écrire à la préfecture, au Département, à la Région. Même face à l’absence de réponses, “je ne lâcherai jamais”, dit-il. Pour lui, c’est ça ou la mort.

Dans la rue depuis 4 mois, il passe par le réseau de bibliothèques pour écrire ses lettres. Un combat qui lui coûte un peu d’argent. Le reste du temps, Georges se cultive en allant à des expositions culturelles. Il part en montagne aussi pour s’aérer l’esprit. Il connaît bien les accueils de jour de Grenoble, et peut manger trois repas par jour. Sa petite astuce ? Le petit-déjeuner du Secours Catholique est plus copieux que celui proposé par Accueil SDF à la Maison des Habitants (MDH) Centre Ville de Grenoble (dit “Vieux Temple”). Il ne fait pas la manche mais revend des tickets restaurants. Il n’en a utilisé pour lui qu’en été, lorsque les accueils de jour ont fermé. Comme avec Johanna, la discussion est difficile à rompre.

René, habitué du repas de Noël du restaurant Le 5, entouré par deux bénévoles.

Paroles d’ancien·ne·s

Des projets de vie parmi les sans domicile fixe, il y en a plus qu’on ne croit. Diego, lui aussi présent au repas annuel du 5, veut aller vivre en Auvergne. Son idéal de vie, c’est le style “cow-boy”. Avec son look, chapeau et cuir, barbichette blanche, on ne peut pas se tromper. Une personne de la table lui lance “et tu as garé ton cheval dehors ?”. Non, mais il est passionné de moto. Il sait conduire des tracteurs. Il se projette bien pour travailler dans une ferme. Là encore, il semble que ce soit un problème avec sa femme qui ait bouleversé sa vie. Pour Kamel, ex-SDF rencontré au Noël de la rue du Jardin de Ville, son projet à l’époque était très clair : travailler en France pour “changer d’air”. Pourquoi en France ? Parce qu’il parlait déjà français. Ce Belge de naissance s’est d’abord dirigé à Marseille, avant de migrer à Grenoble, un mois plus tard. Un ami lui a certifié que ce serait plus facile ici. Alors qu’il pouvait bénéficier d’une place en foyer à Marseille, Kamel n’obtient rien du numéro d’hébergement d’urgence, le 115, et se retrouve à dormir sous tente à Grenoble. Tout en continuant à chercher du travail. C’est grâce au financement d’une habilitation électrique par Pôle Emploi qu’il trouve du travail en intérim. Mais ça ne suffit pas pour trouver un logement stable.

“Je travaillais, je dormais dehors. Et ça, c’était le plus dur. Pour se laver, pour manger, c’est compliqué. Je me lavais dans les fontaines. Quand on termine de travailler, on ne sait pas où aller.” — Kamel

Le système social et associatif de Grenoble n’a pas prévu d’accueils adaptés pour les personnes qui travaillent le soir jusqu’à 19h ou 20h. Accepté au Centre d’Accueil Intercommunal à Grenoble le 18 septembre 2017, on lui propose tout de même de lui garder des repas le soir. Kamel préfère se débrouiller seul et manger dehors. “Je ne veux pas profiter du système. C’est ma personnalité à moi, je suis comme ça.” Entre-temps, il passe une autre formation avec Pôle Emploi, en fibre optique, et se fait embaucher en CDI dans la foulée. Il passe tout de même 9 mois dans le centre d’hébergement d’urgence, et accepte le premier logement qu’on lui propose. Aujourd’hui, il est bénévole pour l’association Vinci, qui va à la rencontre des personnes à la rue toute l’année.

“On m’a aidé, j’ai envie d’aider les autres. Vu la misère qu’il y a, si je peux donner du mien, je donne du mien.” — Kamel

Après plusieurs mois ou plusieurs années dans la rue, Isabelle et Messaouda ont, elles aussi, quitté la rue. Présentes lors de l’Assemblée Générale du Parlons-en à Cap Berriat samedi 15 décembre, elles témoignent en interviews vidéo de leur histoire, et plus largement, de la vie à la rue aujourd’hui.

Avec et sans RSA

Une autre personne rencontrée à l’espace de débats Parlons-en me racontait qu’on pouvait assez bien vivre à la rue avec un RSA. Sans loyer, et sans consommation de drogue ou alcool, il n’y a plus beaucoup de frais. Comme exemple, cet intermittent de la rue me raconte qu’il a pu s’acheter un groupe électrogène d’occasion à 100€. Christophe, cité précédemment, vit lui aussi grâce au RSA. C’est par La Poste qu’il peut retirer son argent. Il y a environ deux mois, il a pu faire sa nouvelle carte d’identité. Cette annonce sonne comme un soulagement. Il m’explique qu’il peut ainsi retirer de l’argent à La Poste à Grenoble en présentant sa carte. Autrement, il doit retourner à Chambéry, là où il a fait sa démarche de RSA. Pour lui, Chambéry “ce n’est plus pareil” depuis que la police lui a demandé de quitter le parc où il dormait régulièrement. Originaire de Bourges, il vit à la rue depuis ses 18 ans. Coiffé d’une casquette, plusieurs dents en moins, très souriant, il m’affirme avoir 42 ans, alors qu’on lui en donnerait 30, au plus. Au repas organisé par le restaurateur Pierre Pavy, il explique que les personnes de la rue se connaissent toutes. Il suffit de deux ou trois mois pour savoir comment fonctionne chaque groupe. Sur les trois rencontres avec lui, il buvait à deux reprises une canette de bière 8.6.

Les étrangers, eux, n’ont pas droit au RSA. Actuellement, deux familles vivent sous tente et abri de fortune sous le pont du train, proche de l’arrêt de tram Saint-Bruno à Grenoble. J’ai l’occasion de discuter avec Lucciano, 26 ans, lors de la maraude avec Help SDF Grenoble. Parmi la quinzaine de personnes présentes pour manger quelques viennoiseries, ou prendre une boisson chaude, c’est le seul qui parle un peu français. C’est lui qui m’apprend que la première famille est macédonienne, et la sienne albanaise, arrivée sur place début décembre. Les deux groupes vivent côte à côte, mais sont bien distincts. Deux garçons de moins de 10 ans sont présents. Une illustration du témoignage de Nicole Pellerin, secrétaire de l’association Vinci, qui dénombre entre 250 et 300 enfants rencontrés dans les maraudes chaque mois à Grenoble.

“Je n’ose pas imaginer le chiffre dans la France entière. Ce sont des enfants parfois scolarisés, mais qui malgré tout restent à la rue. Ce qui nous révolte d’autant plus, car cela veut dire qu’ils ont été identifiés par leur mairie, qu’ils sont connus sur le plan scolaire. En tant que bénévole, quelle que soit la maturité qu’on ait dans les maraudes, c’est quelque chose de très difficile à vivre que de laisser un enfant dans la rue”. — Nicole Pellerin.

Le même soir, je croise Jules, Camerounais. Il faisait partie d’un groupe plus grand en journée, mais le soir, chacun se met en quête d’un logement en solitaire. Pour cette nuit, il va essayer de trouver un compatriote qui pourra l’héberger.


Comment réagir, agir ?

En participant aux maraudes, son regard sur la précarité peut changer. En groupe, il y a deux approches à Grenoble. Celle, plus structurée, de l’association Vinci — Samu social de Grenoble avec une réunion d’accueil, et des équipes de trois personnes fixes. Il suffit de les contacter via leur site web. Celle, plus débrouillarde, du collectif Help SDF Grenoble, géré via le réseau social Facebook. La prise de contact peut-être plus hasardeuse, mais des équipes tournent presque chaque soir en semaine. Les membres du collectif s’organisent ensuite par conversation de groupe sur l’application Messenger. Les initiatives des membres permettent de récupérer des dons. À l’image de cette collecte de vêtements réalisée dans une école aux Avenières dans le Nord-Isère. L’école n’avait pas réfléchi à quelle association transmettre les dons. Une bénévole du collectif a récupéré et stocké chez elle les dons, et les redistribue sur Grenoble dès que possible. De manière générale, les structures cherchent régulièrement de nouveaux bénévoles.

Une autre approche, plus directe encore, est mise en avant par l’association Entourage. À son échelle individuelle, elle explique les gestes simples que l’on peut faire lorsqu’on croise un sans-domicile dans la rue.

En plus de ces vidéos ludiques, l’association a développé une application web pour proposer des actions citoyennes auprès des précaires de l’agglomération grenobloise. L’application fonctionne aussi dans l’autre sens. Les précaires peuvent aussi demander des services. C’était le cas de David à Grenoble, qui avait besoin de faire garder ses chiens. Actuellement, le réseau Entourage cherche un nouveau souffle localement, et tente de recruter des bénévoles “ambassadeurs”, aux rôles distincts : animateurs, amplificateurs et modérateurs. Faire vivre la solidarité à travers le numérique n’est pas encore gagné. Il existe aussi depuis 2017 le site Solidarités-Grenoble de la Ville de Grenoble, qui permet déjà de recenser de nombreux points d’accueil.

De l’aide à double sens ?

“Les gens nous apportent des choses. Il faut faire pour comprendre. Vous allez rencontrer des gens dans la rue, vous allez voir leur misère, mais dans leur misère ils vont vous apporter quelque chose qui va vous faire du bien.” — Kamel

“Un sentiment… extraordinaire ? Fabuleux ? Il n’y a pas de mot.” — Nicole Pellerin, à propos des maraudes.

“Il faut ouvrir son cœur”- Isabelle du Parlons-en.

Des liens pour aller plus loin

Reportage proposé par Ludovic Chataing, journaliste pour L’avertY.
Site web : www.laverty.fr


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