Vols de vélos à Grenoble, une fatalité ?

Thème mensuel élu par les internautes le 6 novembre sur L’avertY.

« Tous des voleurs de vélo ces Grenoblois !!! », se disait déjà “guilmo” en 2004 sur un forum spécialisé. Les vols de vélos à Grenoble, ça ne date pas d’hier. Une preuve de plus, cette déclaration trouvée sur un autre forum d’un vol de vélo dans la région en 1994 ! Envoyée en 2008, écrite par un certain “Meg2” :

« Le risque de vol est élevé à Grenoble, mais ne pas rester fataliste : on m’a volé un vélo en 1994. L’antivol, une chaîne pas très épaisse, a été sectionné. Après ce vol, j’ai investi dans un solide antivol en U, et j’attache toujours le cadre à un point fixe, arceau ou poteau. Grâce aux U, j’ai déjà échappé à deux tentatives de vol. Un vol dans ma copropriété où deux vélos de voisins ont été embarqués, et pas le mien. Une autre tentative de vol, de nuit, dans une rue peu fréquentée. Il y avait des traces d’outils agressifs sur mon U. »

Un sujet vieux comme le vélo ? Le dernier chiffre officiel sur les vols de vélos en France concerne l’année 2016. Dans le rapport annuel InseeONDRP, on apprend que 354 000 ménages ont subi un vol ou tentative de vol cette année-là. Cela correspond à 2,3% des ménages équipés d’au moins un vélo. Des chiffres en relative stagnation, depuis une forte hausse en 2013. Le rapport ne s’appuie pas sur les déclarations de vol à la Police Nationale. C’est l’Insee qui va interroger en face-à-face un échantillon représentatif de 16 000 ménages (voir page 6 du document). On estime par ailleurs à plus de 20 millions le nombre de vélos en circulation en France.

Tout comme “Meg2”, les acteurs grenoblois en faveur du développement du vélo vous donneront des bons conseils pour bien attacher le vôtre. À commencer par “l’Association de Développement des Transports en Commun (ADTC) — Se déplacer autrement”, en lien avec la Fédération française des Usagers de la Bicyclette (FUB).

Idéalement, deux cadenas pour un seul vélo, reconnus pour leur résistance face aux voleurs. La FUB propose aux cyclistes de vérifier la fiabilité des antivols sur son site. Chaque cadenas est évalué “deux roues” pour le maximum, “une roue” pour un cadenas intermédiaire, et “aucune roue” signifiant que vous avez été chanceux avec votre antivol jusque-là. Évidemment, la qualité de ces antivols fonctionne avec le prix. Exemple pour les cadenas en “U” étiqueté “deux roues”, ils coûtent au moins 20€, et peuvent aller jusqu’à une centaine d’euros. Alors qu’un autre cadenas en “U” étiqueté “une roue” pourra coûter moins de 10€. Ce type de cadenas est vivement recommandé face aux autres types “boa”, “chaîne” ou “pliant”. Les plus mauvais élèves sont les cadenas par “câbles”. Gros ou petits, seulement 4 cadenas, sur 65 testés, arrivent à obtenir le label “une roue”, pour des prix équivalents aux “U”.

L’astuce ultime de la sécurisation, notamment pour le citoyen @VeloVoleGre sur Twitter, c’est l’utilisation de “deux cadenas de technologies différentes”. De cette manière, un voleur outillé pour un seul type de cadenas sera découragé. Lors de l’interview vidéo réalisée avec L’avertY, @VeloVoleGre proposait même que les fabricants fournissent des cadenas colorés pour être bien identifiés par les voleurs et ainsi mieux les dissuader. Cependant, le voleur se déporte sur les vélos suivants, moins bien cadenassés. C’est donc la concurrence aux meilleurs antivols qui s’installent pour garder son vélo. C’est là toute la limite de la prévention, martelée par les autorités et les associations. Tout vélo peut-être volé, quel que soit le contexte. À l’échelle personnelle, on ne peut que réduire les risques de vols.

L’agglomération grenobloise est-elle plus touchée, qu’une autre ?

En 2017, la FUB a publié un baromètre du ressenti des usagers du vélo dans leur ville. Chaque usager du vélo pouvait répondre à une série de 27 questions, en notant de 1 à 6 chaque point proposé. Au niveau national, 113 009 personnes ont répondu à ces questions, dont plus de 3000 à Grenoble, ce qui en fait une des villes ayant le plus largement participé en proportion par habitant (19/1000 habitants). À noter, qu’on ne peut pas qualifier cette étude de sondage précis, d’où l’appellation “baromètre”. Ceci dit, la méthode pour sonder le ressenti a été la même pour chaque ville.

Grenoble s’est illustrée en première place de sa catégorie “100 000 à 200 000 habitants”, avec une note globale B “favorable” à la pratique du vélo. Cette lettre correspond aux villes ayant eu une moyenne entre 3,9 et 4,3 sur 6 maximum. Si on regarde la fiche “résumé” proposée par la FUB pour Grenoble, on comprend rapidement quel est le principal frein à la pratique du vélo… les vols de vélos ! À la proposition 26, “les vols de vélos sont rares”, la ville a obtenu une note ressentie de 1,7 sur 6. C’est la note la plus basse dans sa catégorie, où la moyenne affiche 2,4 points. En revanche, pour toutes les autres propositions, Grenoble affiche de très bons résultats. Soit au-dessus de la moyenne, soit dans la moyenne de sa catégorie.

Avec une note globale de 3,91 points, Grenoble est à la limite entre une note B “favorable”, et C “plutôt favorable”. Le communiqué de presse avait d’ailleurs inscrit dans un premier temps Grenoble en “C” sur son podium des villes.

Capture écran issue du communiqué de presse de la FUB.

Côté agglomération, Échirolles et Saint-Martin-d’Hères écopent d’un D “moyen”. Saint-Égrève d’un C “plutôt favorable”. Ces trois villes sont aussi plombées par la question des vols, avec un écart de moyenne de -0,6 point. Les autres villes du baromètre, Fontaine et Meylan, obtiennent aussi un écart de moyenne négatif, mais moins fort (-0,3 point). Il fallait obtenir au moins 50 participations pour être classé dans ce baromètre. Ces seules cinq villes de l’agglomération ont obtenu le quota nécessaire (de 58 à 139 réponses). À Voiron, on trouve enfin une bonne note de ressenti sur les vols, à 3,5 points (+0,6 point au-dessus de la moyenne de sa catégorie).

Les 309 autres villes ne sont pas épargnées pour autant. Ce baromètre considère comme positif une note dépassant 3,5 points. Aucune moyenne de catégories n’arrive à ce seuil positif. Plus les villes sont grandes, plus le ressenti est négatif. On passe de 3,4 points de moyenne pour “moins de 20 000 habitants”, jusqu’à 2,0 points de moyenne pour “plus de 200 000 habitants”. Les vols de vélos ne sont donc pas une spécificité locale, mais pour la plaine grenobloise, c’est bien le point noir de la bonne pratique du vélo. Seules Montpellier et Aubervilliers arrivent à obtenir un ressenti négatif plus fort (1,6). Marseille obtient un ressenti négatif égal à Grenoble (1,7).

Des chiffres locaux qui datent

Contactée par L’avertY, la Police Nationale n’a pas souhaité s’exprimer sur ce sujet. Il sera difficile d’établir l’actualité des vols de vélos à Grenoble en 2018. Cependant, quelques repères et indices peuvent nous éclairer. Tout d’abord, Emmanuel de l’ADTC, nous rapporte une information officieuse.

« J’ai discuté avec une personne qui avait échangé avec la Police récemment, qui lui a indiqué qu’il y avait 30% de vols en moins cette année à Grenoble. »

Comme il le souligne, cela ne peut être considéré pour une vérité brute, car les vols de vélos ne sont pas systématiquement déclarés à la Police. On peut tout autant imaginer qu’il y a moins de vols, qu’on peut dire que les gens se découragent de déclarer leurs vols de vélos. Dans le rapport Insee-ONDRP, cité plus haut, on apprend que dans 70% des cas de vols, les personnes ne déposent pas plainte. Toutefois, ces dernières années, la Police Nationale a mis en place un système de pré-plainte en ligne, qui permet de faciliter les déclarations de vols. Il faut tout de même se rendre à l’Hôtel de Police ensuite, ce qui peut toujours en décourager certains.

En 2015, la Police a communiqué sur 1456 vols de vélos sur la circonscription de sécurité publique de Grenoble (qui comprend aussi La Tronche, Saint-Martin-d’Hères, Échirolles, Fontaine, Gières et Saint-Martin-le-Vinoux). À Montpellier, 1 342 vélos ont été annoncés volés en 2014. Si ces chiffres sont seulement les 30% déclarés, il faut les multiplier par trois pour obtenir une bonne estimation du nombre de vélos volés par an.

Trois quarts des vols déclarés ont lieu à Grenoble même.

Sur les 1456 vols déclarés en 2015, seulement 35 vélos ont été retrouvés (2,4%). La moyenne nationale est de 7% de ménages qui retrouvent leur vélo (2016). Les retrouvailles avec son fidèle deux roues sont d’autant plus rares à Grenoble.

Un autre indice de l’état des vols de vélo à Grenoble se cache chez Métrovélo. Le service de location de Grenoble-Alpes Métropole propose pour tous leurs vélos des cadenas multiples, selon les recommandations de la FUB. On peut sans doute avancer que ce sont les vélos les plus sécurisés en circulation. Sur les 7500 vélos (tous types confondus), L’avertY a appris de source sérieuse, mais non-officielle, que “moins de 300 vélos” ont été volés au dernier décompte annuel. Ainsi Métrovélo n’est pas épargné. Ajouté à cela, une partie du parc est “immobilisé” pour des raisons d’entretien. On peut ainsi affirmer que plus de 4% de leurs vélos en circulation ont été volés.

Mieux connaître l’ennemi du cycliste

Face à ces constats de vols, jamais agréables, reste la solution de bien connaître les pratiques des voleurs, afin de mieux les contrer. Si vous ne devez retenir que quelques statistiques, retenez que 60% des vols se font de jour, et qu’ils interviennent majoritairement au printemps et en été. En novembre, vous êtes beaucoup plus tranquille. Ce qui laisse à penser que les voleurs suivent aussi la pratique des utilisateurs. Grenoble, grande ville de vélos, connaît beaucoup de vols ? Somme toute logique. Les confrontations ne sont (heureusement) pas fréquentes, seulement 5% des victimes voient le voleur.

Dans l’enquête relayée par Velook, on peut découvrir plusieurs profils de voleurs : les emprunteurs, les acquéreurs, les apprentis, les professionnels, les drogués et les receleurs. Chaque profil possède sa fiche technique sur ses motivations et ses fréquences de vols. Si les professionnels sont peu nombreux sur l’ensemble des voleurs, ils sont très actifs, préfèrent les vélos de grande valeur, dans les lieux touristiques. Pour ceux-là, aucun cadenas ne leur résiste. Si vous utilisez un cadenas trop maigre, ou que vous le laissez sans attache devant un magasin, vous serez peut-être victime d’un emprunteur ou d’un apprenti. Enfin, vous pouvez être receleur sans le savoir en achetant un vélo d’occasion sans facture. Vous contribuez ainsi au cercle vicieux des vols de vélos.

Mettre toutes les chances de son côté

Les citoyens rencontrés lors des interviews vidéos ne veulent pas céder à la fatalité des vols de vélos. Si les solutions ne sont pas miraculeuses, les bonnes pratiques se transmettent. L’une d’elle, encore méconnue, est le marquage de son vélo. Il en existe de plusieurs types, mais un seul est officiellement relié aux fichiers de la Police Nationale : le marquage Bicycode. Cela consiste à faire graver un code unique à 12 caractères, sur le cadre du vélo.

Le jour où vous êtes victime du vol, vous le signalez sur le site dédié, et lors de votre plainte à la Police. La base de données est mise à jour. Votre voleur va peut-être tenter de le revendre. Si le potentiel acheteur voit ce code, il pourra directement vérifier depuis son smartphone, dans la base, si le vélo est considéré volé, ou non.

Vous pouvez essayer ce code sur le site dédié.

En Isère, il n’existe que 3 lieux de marquage Bicycode. À Grenoble, Métrovélo le propose pour 5€. Tandis que Dayak, entreprise privée, le propose à 19€. Contactée par téléphone, l’entreprise explique qu’il a fallu acheter la machine, assez coûteuse, sans aucune aide particulière de l’État. D’où la grande différence de tarif. Vous ne pourrez pas faire graver votre vélo d’occasion si vous n’avez pas une facture d’achat (au moins du cadre, s’il s’agit d’un vélo recomposé). Et comme 50% de cyclistes victimes d’un vol préfèrent se tourner vers un vélo d’occasion, il y a fort à parier que bon nombre ne possèdent pas de facture. Cela pose la question du devenir de ces vélos d’occasions sans facture. Condamnés à la revente illégale ? Le marquage doit donc être envisagé au moment de l’achat du vélo. Au Danemark, il a fait ses preuves avec 40% de chance de retrouver son vélo, d’après la FUB.

Mais que pourrait faire la police ?

Si on peut comprendre que le travail des policiers n’est pas tourné uniquement vers les cyclistes, rien n’empêche de partager quelques idées constructives de leurs collègues à l’étranger. À Bruxelles, des vélos-appâts sont à l’expérimentation. Le principe est simple : déposer quelques vélos, modestement attachés, dans les endroits réputés sensibles, avec un GPS caché dans le vélo. L’effet peut-être à la fois dissuasif, à condition de bien communiquer l’existence de ces vélos truqués, mais aussi permettre de retrouver le voleur. Les voleurs du type “emprunteur” ou “apprenti” réfléchiront sans doute à deux fois avant de passer à l’acte. Au Canada, à Winnipeg, on teste aussi ce procédé, en ajoutant près des parkings vélos des autocollants “Est-ce un vélo-appât ?” (article en Anglais).

Grenoble s’essayera t-elle à cette technique, elle aussi ? En attendant, le vélo s’accroche à ce qu’il peut. Face aux vols, certains se tournent vers la location de Métrovélo, mais on voit aussi de plus en plus de trottinettes, de skates, de monoroue, d’overboards, qui ont l’avantage d’être transportables partout, à la main.

Ludovic Chataing, journaliste pour L’avertY.
Site web : www.laverty.fr


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