Marc, lecteur de L’avertY, a repéré cet été une théorie intéressante d’un collègue sur l’écologie. Il l’a partagé par mail à L’avertY pour une plus large diffusion. Son auteur grenoblois, Antoine Crosasso, a accepté qu’elle soit diffusée ici. Sa conclusion va vous étonner.
Pourquoi l’écologie échoue à prendre le pouvoir ?
La pensée écologique telle que nous l’abordons semble se heurter à un mur tenace. Adopter un mode de vie écologique, nous l’abordons aujourd’hui sous l’angle de la privation et de l’ascétisme. Le mensonge du mode de vie écologique que l’on nous présente réside d’ailleurs entre autres choses dans une forme de culpabilité vis-à -vis de notre désir de confort.
Comment pouvons-nous encore aujourd’hui pouvoir prétendre à une vie confortable, c’est-à -dire sans manquer de rien et en faisant le moins d’effort et de labeur possible, alors que ce mode de vie menace la planète et la pérennité de notre espèce ? Si certains sont déjà prêts à franchir le pas vers une existence plus modérée, raisonnable et moins gourmande en ressources, comment expliquer que la vaste majorité de nos sociétés ne parvient pas à passer le cap.
D’ailleurs, même parmi ceux qui font des efforts individuels, les initiatives sont largement hétéroclites. Tel individu se contentera du tri sélectif tandis que tel autre poussera plus loin la démarche. Le mode de vie écologique divise parce que nous ne sommes pas tous prêts à faire des efforts ou les mêmes efforts. Et la culpabilisation des comportements anti-écolo ne suffira pas à bâtir une société entièrement dédiée à la préservation de nos écosystèmes, car nous n’aurions bâti qu’une écologie de façade.
Celle-ci est d’ailleurs déjà en partie présente dans les cercles qualifiés de bobo. L’écologie s’est traduite en mode de pensée et en marqueur social, une façade bien éloignée du projet écologique lui-même, où se côtoient les mangeurs de quinoa et les amis qui vous proposent un café bio, commerce équitable et sans gluten dont la boîte traîne fièrement à côté de leur cafetière. Le constat est amer, l’écologie, absolue nécessité, échoue partout à prendre le pouvoir. Je ferais même le constat que nous ne désirons pas devenir écolo. Pour moi-même, une société ascétique privée de confort et accessoirement de viande rouge n’a rien d’excitant d’autant qu’elle nécessiterait des efforts pour une maigre rétribution en plaisir. Car oui nous sommes aussi des homo economicus prenant des décisions en posant un rapport effort engagé et plaisir retiré.
Si nous ne désirons pas faire des efforts, que nous ne désirons pas nous priver de plaisir, ce qui me semble être d’ailleurs légitime, que désirons-nous ? Davantage de plaisir et un minimum d’effort ? En sommes nous souhaitons une société d’abondance où notre plaisir peut s’accroître d’année en année et nous permettre tantôt de gravir une échelle sociale et tantôt de nous distinguer des autres groupes sociaux par la quantité de plaisir dont nous disposons.
Il n’aura échappé à personne que nous sommes parvenus dans nos sociétés occidentales à cette société d’abondance, de gourmandise, d’obésité aussi parfois. Nous avons pour cela trouvé un outil qui remplit parfaitement son rôle : le capitalisme. N’étant pas une fin en soi mais un moyen d’atteindre la société d’abondance que nous recherchons, le capitalisme a rempli son rôle. Le capitalisme et l’industrialisation nous ont procuré toujours plus de biens et d’objets à consommer comme vecteurs de plaisir.
Attardons-nous alors sur nos besoins. On reconnaît couramment que nous exprimons deux sortes de besoins. Des besoins primaires, fondamentaux comme se nourrir, s’habiller, se loger, etc. Et des besoins secondaires qui accroissent davantage notre plaisir et dans notre société d’abondance servent également à définir notre rang social. Le riche étant celui qui par définition peut répondre à tous ses besoins secondaires y compris les plus fous.
Dès lors, dans notre société d’abondance une valeur s’est imposée : la valeur d’un individu se mesure à sa capacité à accumuler des objets et donc des plaisirs. Votre valeur individuelle étant dictée par état, vous souhaiterez accumuler toujours plus d’objets pour gravir les échelons ou vous démarquer de vos semblables pour construire votre identité. En effet, s’il existe un besoin de rivalité entre les hommes, c’est bien pour construire une identité.
Thorstein Veblen résumait cet état dans nos sociétés d’abondance comme suit : “On aura beau distribuer avec largesse, égalité et justice, jamais aucun accroissement de la richesse sociale n’approchera du point de rassasiement, tant il est vrai que le désir de tout un chacun est de l’emporter sur tous les autres.”
Construire son identité, être unique, relève donc de la rivalité avec l’autre. Se pose alors le paradigme suivant : nous désirons vivre dans une société d’abondance, pas seulement pour notre confort mais également pour construire notre identité en accroissant notre valeur individuelle par rapport à nos semblables.
Nous en venons alors à croiser enfin le chemin de l’écologie. Si nous accumulons tous plus d’objets pour nous définir et mesurer notre valeur individuelle, notre corne d’abondance basée sur des ressources finies, limitées et rares, va finir par se percer. Les ressources vont manquer aboutissant à l’état d’urgence climatique que nous connaissons aujourd’hui. “Changeons de paradigme”, criera alors quelqu’un au fond de la salle. L’intéressé recevra alors un vif revers du plat de la main accompagné d’un cinglant : “On est pas là pour proposer des utopies troglodytes.”
En revanche, changer la ressource nécessaire à la continuité de ce paradigme semble une solution nettement plus séduisante. Quelle ressource existe sur Terre en quantité illimitée, accessible partout et pour tous ? Vous voyez venir ma réponse : l’intelligence. L’intelligence est non seulement une ressource illimitée, mais elle présente également l’avantage de ne générer que des échanges à somme positive. Expliquons. Dans un échange économique traditionnel, lorsque je cède un bien (ou de la monnaie) contre un autre, je gagne le bénéfice d’un bien au détriment d’un autre, l’échange est nul.
En matière d’intelligence, l’équation est différente. Lorsque je partage mon savoir avec un autre individu et que celui-ci fait de même, nous ressortons tous deux de l’échange avec notre propre savoir, celui de notre partenaire et nous nous sommes même enrichi d’une synthèse des deux. Dès lors, si nous devenons capables de changer notre société pour que la valeur d’un individu se mesure à son intelligence plutôt qu’aux biens accumulés, alors nos besoins en objets vont de facto diminuer.
Il serait faux de penser que nous ne pouvons plus vivre dans une société d’abondance parce que les ressources sont limitées. Si nous avons moins de besoins matériels à assouvir, nous n’aurons pas l’impression d’être des ascètes et nous penseront donc que nous vivons toujours dans une société d’abondance, tant matérielle qu’intellectuelle. L’abondance sera une abondance d’intelligence et nous développerons davantage de liens sociaux, de clientélisme intellectuel avec nos semblables car nous seront gagnants dans tous nos échanges.
Pour conclure sur une note pleine d’espoir, je vous dirais que cette société de l’abondance intellectuelle n’est pas si éloignée. Car notre désir de savoir, et notre désir d’être reconnu comme intelligent par nos semblables est bien ancré. Le pas à franchir pour faire de l’intelligence la valeur de mesure d’un individu est donc toute proche. Pour s’en rendre compte il suffit de signifier très sérieusement à quelqu’un, “tu es très très con”. Il y a de fortes chances pour que vous déclenchiez une vive émotion chez cet interlocuteur tant il désirait secrètement que vous le considériez comme intelligent.
Vous l’aurez compris, pour devenir écolo cessez d’acheter du quinoa et commencez par dire à vos proches qu’ils sont cons. Vous pouvez aussi reconnaître leur intelligence ou leur savoir, cela devrait les encourager à continuer dans la même direction.
Je vous invite donc très sérieusement à développer votre intelligence et surtout à rester attentif à toute personne qui vous fera comprendre que vous êtes con.
Antoine Crosasso, grenoblois.
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