Balance ton bar : nouvelle vague de témoignages

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Quatre ans après l’effervescence des hashtags #MeToo et #BalanceTonPorc🔗 sur Twitter, c’est au tour de comptes “Balance ton bar” de fleurir sur Instagram. Ce mouvement apparu mi-octobre à Bruxelles🔗 souhaite libérer la parole en publiant des témoignages anonymes de femmes victimes de viols et agressions sexuelles, spécifiquement dans le monde de la nuit. Cette initiative a trouvé un écho localement avec la création d’une nouvelle page “Balance ton bar Grenoble”, obligeant les gérant·e·s à réfléchir à de meilleurs accompagnements de leur clientèle féminine.

Illustration Alice Quistrebert pour L’avertY.

Qu’ils soient récents ou datant de plusieurs années, la trentaine de témoignages locaux font froid dans le dos. Diffusés sous couvert d’anonymat, ils racontent grâce à une succession de panneaux le déroulé d’une soirée anormale, avec le nom du lieu bien visible en titre. Incriminant parfois les videurs, parfois les serveurs, les récits détaillés des victimes font état de leurs vomissements, trous noirs inhabituels, laissant penser à la prise de drogue à leur insu. Principal suspect, l’acide gammahydroxybutyrique, drogue de synthèse🔗 plus connue sous l’appellation GHB. Difficile à différencier d’un état d’ébriété avancé et rapidement dissoute par l’organisme, son injection est invisible dans des verres d’alcool. Elle peut être mortelle à haute dose.

Cliquez sur l’image pour lire la suite du témoignage sur Instagram © Balance_ton_bar_grenoble

Une autre femme raconte sa soirée démarrée au bar pour finalement se retrouver nue dans l’appartement d’un inconnu🔗 à Grenoble après un trou noir. Malgré un dépôt de plainte par la suite, on lui répond que l’enquête est abandonnée et qu’il « va falloir arrêter de courir à la police dès que vous rentrez avec un garçon qui vous plaît pas, sinon on ne va pas s’en sortir nous ».

Les témoignages publiés sur le compte grenoblois concernent principalement des lieux dansants mais aussi des bars plus classiques où les client·e·s viennent simplement boire un verre. Tous n’impliquent pas des violences sexuelles ou des viols. On peut lire le témoignage d’une ancienne employée du Tonneau de Diogène qui s’est faite agresser par son manager, et qui a par la suite perdu son emploi. Il y a aussi au bar Le Champollion des observations faites par une mère de 40 ans au sujet d’un employé qui « fait boire plus que de raisons de très jeunes filles ». Ou encore au bar brasserie Chez Maksim où le barman demande à la cliente de lui « lécher la joue » pour être servie avant de l’insulter de salope devant les clients face à son refus.

Illustration Alice Quistrebert pour L’avertY.

L’anonymat pour libérer la parole

Contactée par la rédaction, l’administratrice de la page Instagram qualifie les personnes qui témoignent de « survivantes ». Elle explique que les témoignages ne sont pas forcément vérifiés : « Mon rôle n’est pas d’être une enquêtrice, donc je ne trie pas vraiment, je vais simplement anonymiser mais je n’estime pas si tel ou tel témoignage vaut la peine d’être publié ou non. Beaucoup de témoignages n’étaient pas en rapport avec Balance ton bar qui a une visée assez claire, cela concerne les violences faites aux personnes dans le milieu de la nuit notamment avec les soumissions chimiques dans des établissements définis. Malheureusement on ne peut pas publier ce qui s’est passé dans telle rue, en rentrant du bar ; il existe d’autres plateformes pour cela et c’est tant mieux. »

L’administratrice anonyme s’est également confiée au média Place Gre’net🔗. Se définissant comme une « militante féministe » elle indique avoir « voulu surfer sur ce mouvement venu de Bruxelles, car, ici aussi, il y avait une forte demande de pouvoir témoigner ».

Cliquez sur l’image pour lire la suite du témoignage sur Instagram © Balance_ton_bar_grenoble

Côté gérant, l’anonymat est aussi de mise pour témoigner sur ce sujet sensible. Comme pour ce témoignage où cette fois-ci il n’y avait pas de GHB, preuve à l’appui : « Une jeune fille est venue nous trouver pensant avoir été droguée dans notre bar. Par chance nos caméras la filment toute la soirée. Elle et ses amis ont bu sept bouteilles d’alcool fort et il s’avère qu’elle a bu dix-sept verres. Elle s’est retrouvée à l’hôpital et a cru avoir été droguée. Si cette personne n’était pas venue nous voir, cela aurait créé des catastrophes sur les réseaux sociaux. »

Les réactions des gérant·e·s

Explicitement accusés d’être complices de ce qui se passe dans leur établissement, des responsables ont tenté de répondre au mouvement, parfois maladroitement. La boîte de nuit Lamartine, proche de la place Victor Hugo a répondu directement en commentaire🔗 sur Instagram suite à plusieurs témoignages, sans convaincre. La Bobine, bar associatif également cité pour un serveur “sexiste et violent”🔗 resté en poste plusieurs mois après les faits, a décidé de répondre par un communiqué de presse le 23 novembre sur son site🔗. S’en est suivi une réponse collective de “quatre des victimes connues de l’agresseur” dans une lettre ouverte mi-décembre, que L’avertY republie en intégralité dans une contribution citoyenne à lire ici🔗.

Pour Irena Chelihi, gérante du Barberousse de Grenoble depuis environ 5 ans, il n’y a pas de fatalité face à ces témoignages. Elle souhaite travailler avec le mouvement Balance ton bar.

« Je ne veux pas, comme c’est la tendance actuellement, qu’on oppose les bars et le mouvement féministe. Je travaille au Barberousse depuis une quinzaine d’années, je suis une féministe convaincue. Je me suis imposée dans un milieu très masculin et les réflexions sexistes tombent tous les jours, je sais ce que c’est. » — Irena Chelihi, gérante du Barberousse Grenoble.

« Mais ce mouvement ne peut pas tout se permettre sous prétexte de vouloir faire avancer les choses », nuance-t-elle. « Derrière, il y a des professionnels avec un permis d’exploitation. Dans notre bar, nous avons 9 caméras sur 37m², nos videurs les guettent, moi également. J’ai, depuis ce mouvement, mis en place une campagne de communication, acheté des protections de verres. Cependant, les clients nous affirment se sentir en sécurité chez nous. Depuis dix ans la politique menée ici est la même : zéro tolérance sur les drogues, un ramassage des verres toutes les dix minutes par les serveurs, qui vérifient au passage si tout le monde va bien. »

Cliquez sur l’image pour lire la suite du témoignage sur Instagram © Balance_ton_bar_grenoble

La Bobine propose aussi désormais des protège-verres et s’inscrit aux Assises de la nuit 2022, organisées par la Ville de Grenoble en réponse à Balance ton bar (voir en fin d’article). L’association a également fait appel à une accompagnatrice de violences sexuelles et sexistes (VSS) afin que le personnel soit formé sur les VSS et qu’une parole se libère entre employé·e·s et bénévoles après les accusations formulées.

Faire face après le choc des révélations

Irena Chelihi avoue cependant avoir été abasourdie par les témoignages. Elle s’est rapprochée d’associations luttant contre les violences sexistes et sexuelles afin de travailler main dans la main : « Je veux créer quelque chose de positif à partir de ce mouvement. Je souhaiterais par exemple regrouper, dans un collectif, les membres de la nuit grenobloise et les associations. Il ne faut pas qu’il y ait d’opposition mais un travail commun. » Elle ajoute : « Ce que nous cherchons dans nos établissements c’est cultiver la convivialité, le partage, la proximité. Nous souhaitons que nos clients passent un bon moment mais nous ne vivons pas dans un monde de bisounours c’est pourquoi la prise de conscience doit être globale. »

Un autre gérant d’un établissement épinglé (qui souhaite rester anonyme) se dit “choqué, voire horrifié” suite à la lecture des témoignages de Balance ton bar Grenoble. “Tu entends toujours des trucs, même avant que je bosse en bar, mais tu as du mal à y croire. Et en fait si, ça existe.” Il aurait souhaité “pouvoir s’excuser” auprès des victimes, “au nom de l’établissement”. “Mal renseigné”, il a ensuite contacté la mairie pour en savoir plus sur le GHB et ses effets.

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La réaction de la ville de Grenoble

Pour répondre à ce mouvement, la Ville de Grenoble a réagi par communiqué mi-novembre et a décidé de renforcer son volet dédié aux femmes dans son programme des “Assises de la nuit” prévues ce premier trimestre 2022, bientôt renommées “Grenoble la nuit”, « afin de bâtir, avec les associations, les usagers et usagères, les réponses adaptées à la vie nocturne. » La phase de diagnostic a été lancée avec « les associations🔗, collectifs féministes et organisateurs de soirée ». Elle sera suivie d’une restitution auprès du public à laquelle seront conviés plus largement les grenoblois·es afin d’établir un “plan de la nuit”. Cette date de restitution n’est pas encore programmée.

Jusqu’ici, des associations sollicitées par la ville de Grenoble proposaient durant la dernière édition de “l’Été Oh ! Parc” des ateliers d’autodéfense dédiés aux femmes. Et depuis 2021, « les policières et policiers municipaux suivent, à leur demande, un cursus supplémentaire » en lien avec les violences sexuelles et sexistes « en plus du socle de formation obligatoire » afin d’accompagner au mieux les victimes.

Le maire, Éric Piolle, a également interpellé dans une lettre ouverte le chef de l’État pour aller plus loin sur ces questions, formulant constats et propositions🔗. Sans attendre que ce thème soit pris à bras le corps par les politiques nationales, les réseaux sociaux continuent d’accueillir et de porter la parole libérée de milliers d’anonymes.

Reportage réalisé par la rédaction de L’avertY
Illustrations Alice Quistrebert

La rédaction de L’avertY au premier trimestre de la saison 2021-2022.

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Auteur/autrice : Rédaction de L'avertY

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