Espaces sportifs : où sont les femmes ?

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Selon une enquête réalisée à Genève en 2016🔗, les équipements sportifs et les pratiques sportives subventionnées sont majoritairement préemptés par les hommes. Nous avons voulu vérifier si tel était le cas à Grenoble.

« Un jeudi midi à la mi-novembre : le skate-park et le terrain de basket attenants à la Maison des Associations, rue Berthe de Boissieux, sont déserts. Je sors ma palette d’aquarelle pour commencer à croquer les lieux — le froid invite à faire vite. Au bout d’un moment, un premier, puis deux, puis trois adolescents — des garçons — commencent à investir le terrain de basket. Je les glisse sur ma feuille. » — Alice Quistrebert.

En ce mercredi après-midi de novembre où souffle un vent glacial, peu de monde au skatepark de la Caserne de Bonne : une, deux, trois, quatre, cinq, six planches à peine roulent sur le béton des structures. Pour compter les trottinettes, une seule main suffit : elles sont trois. Quant au nombre de filles qui sont dessus, les poings peuvent rester au chaud dans les poches : zéro. Aucune. Un exemple caricatural ? Peut-être bien. Marginal ? Peut-être pas. Le même décompte une demi-heure plus tard donnera le même résultat. De même que sur le terrain de basket à proximité. Ou au skatepark de la Bifurk ce même jour.

Nous sommes bien au skatepark de la Caserne de Bonne, en plein centre-ville de Grenoble.

Conscient du manque de mixité, l’association du Skatepark de Grenoble implantée à la Bifurk a ainsi instauré la gratuité des sessions pour les filles, tandis que celles-ci coûtent 5 euros chacune pour les garçons. « Elles doivent quand même être adhérentes et payer dix euros à l’année », précise Yoan Delassus, éducateur sportif, interrogé quelques jours plus tard par téléphone. « Nous avons mis ça en place il y a quelques années, car sur mille adhérents, il n’y avait qu’une vingtaine de filles. Y a aussi plusieurs autres actions comme par exemple des créneaux réservés le dimanche. »

Aujourd’hui, les adhérentes représentent 10 à 15% des membres de l’association. Comme Louella Cuvelier, skateuse de 15 ans : « Je fais du skate depuis toute petite. Ce que j’adore dans ce sport, c’est sa vision de la vie, assez différente. Par exemple, quand les gens voient un trottoir, nous on voit un “gap”. Mais c’est vrai qu’il n’y a pas souvent des filles », reconnaît-elle. « Ce serait cool qu’il y en ait plus. Elles ont souvent peur de se lancer. Le skate, c’est un défi que tu te lances à toi-même. Peut-être parce qu’elles se sentent inférieures. Ou parce qu’elles voient qu’il n’y a que des garçons. » Sont-elles mal accueillies ? « Non franchement, c’est tout le contraire. Quand je suis passé en contest🔗 le mois dernier, j’étais un peu fatiguée et je n’arrivais à rien. Et malgré ça, y avait tout le monde qui m’encourageait. »

Des créneaux réservés aux femmes

Le manque de mixité dans le sport et sur les équipements sportifs n’est pas l’apanage du skate : l’enquête réalisée à Genève en 2016 montre que les équipements sportifs sont majoritairement investis par les hommes et que ceux-ci préemptent aussi les activités subventionnées🔗. Pour lutter contre ce constat général, des actions sont menées par la Ville de Grenoble notamment au travers de son service Sport et quartiers. Celui-ci organisait le mercredi 17 novembre dans le Parc Georges Pompidou, à quelques centaines de mètres de la Bifurk, pour “mercredi c’est sport”, des ateliers pour les MJC avec ballons, raquettes, ring gonflable et gants de boxe… Chaque semaine, un parc différent de la ville voit ainsi passer entre une cinquantaine et une centaine d’enfants. « Ici, c’est 50–50 », analyse Cécile, animatrice en charge de la boxe, un sport qui compte pourtant 71% de licenciés hommes🔗. « Il y a autant de garçons que de filles. Tous les sports que nous proposons sont mixtes. »

Si l’initiative auprès des plus jeunes est louable, la pratique a toutefois tendance à se masculiniser avec l’âge🔗. « C’est vrai qu’après, dans les quartiers, il y a plus de gars, surtout pour le foot », constate son collègue Mahrez. « Y a quand même quelques filles. Mais il faut que ce soient des tueuses pour oser aller jouer avec les garçons. » Là encore, les pouvoirs publics peuvent influer : avec des créneaux 100% féminins, par exemple. « Franchement, il y a pas mal de choses aujourd’hui pour les filles dans les quartiers », poursuit Mahrez. « Elles peuvent se faire 3–4 sessions par semaine, entre le foot, la muscu, le cardio🔗. Avant, quand j’étais plus jeune, il n’y avait pas tout ça. » Autre initiative marquante : l’équipe municipale de foot féminin créée en 2015, “une première en France” selon le site de la Ville🔗.

Sur le site de la Ville de Grenoble, l’illustration pour la page “terrains multisports” ne met pas franchement la pratique féminine à l’honneur (capture d’écran, DR pour la photo).

La volonté politique de faire progresser la pratique féminine est ainsi affichée au plus haut. « Nous voulons arriver à toucher plus de femmes pour qu’elles pratiquent des activités physiques », assure Céline Mennetrier, adjointe déléguée aux Sports de la Ville de Grenoble. « Car les femmes, même celles qui travaillent, consacrent plus de temps aux tâches ménagères que les hommes, et moins de temps pour faire du sport. » Les derniers chiffres de l’Insee (datant de 2010🔗) sont à ce titre éloquents : malgré une très légère réduction des différences depuis 1999, 3h30 sont consacrées par jour au travaux domestiques pour seulement 7 minutes de sport côté féminin contre respectivement 2h et 14 minutes, côté masculin.

Pour rééquilibrer la balance, la municipalité a fait notamment le choix de réserver certains créneaux aux femmes exclusivement. « Hommes et femmes ne sont pas sur un pied d’égalité », défend Chloé Le Bret, conseillère municipale déléguée à l’égalité des droits. « Si on veut arriver à la mixité, alors on est obligé de faire un peu d’exclusif pour pouvoir arriver à de l’inclusif. En faisant en sorte que les femmes se saisissent de ces créneaux, on va permettre d’avoir une pratique en mixité. »

« Les femmes sont absentes des terrains pour des questions d’horaires, de contraintes, mais aussi parce que c’est toujours hyper dur pour une femme d’aller dans des espaces sportifs. Parce qu’il y a le regard de l’autre, le regard masculin. C’est pourquoi nous avons fait le choix pour l’instant de cette exclusivité. […] Le sport est un outil d’émancipation, un outil collectif qui va aussi permettre de se retrouver entre femmes. » — Chloé Le Bret, conseillère municipale déléguée à l’égalité des droits.

D’autres dispositifs sont également mis en place dans ce sens : comme la pratique “maman enfant” qui offre la possibilité aux mères de faire du sport sans avoir le souci de la garde de leur(s) bambin(s). Ou tout simplement des horaires étendus pour la pratique sportive avec, par exemple, des piscines municipales ouvrant à partir de 7h et jusqu’à 21h40.

Promouvoir les modèles féminins dans le sport

En outre, les acteurs du monde sportif local sont mis à contribution : renouvelées le 12 juillet dernier🔗, les conventions signées avec les clubs professionnels (Brûleurs de loups, Grenoble foot 38 et le FC Grenoble rugby) incluent la promotion des pratiques féminines à la fois dans les activités sportives mais aussi dans l’encadrement administratif. Les subventions accordées aux structures peuvent aussi être un levier puissant.

« Pour les clubs amateurs, la subvention est accordée à 30% au projet et à 70% sur des critères mathématiques, dont la part de pratique féminine », indique Céline Mennetrier. « Cela doit devenir pour tous un objectif », abonde Chloé Le Bret. « Le changement de mentalité vient doucement, et clairement, nous pouvons jouer dessus. » D’où la volonté aussi de promouvoir les sports “alternatifs” comme l’Ultimate🔗, sorte de gagne-terrain avec un frisbee qui se joue en équipe et de manière mixte.

Extrait de la délibération n°21 adoptée au cours du conseil municipal de Grenoble du 12 juillet 2021.

Enfin, la pratique passe par une médiatisation des modèles féminins de sportives. La halle de tennis de Grenoble🔗 qui n’avait pas de nom jusqu’à présent devrait ainsi prendre prochainement celui d’Alice Milliat, pionnière du sport au féminin🔗. Et de nouveaux événements sportifs internationaux, comme le match France-Italie en rugby le 27 mars, dans le cadre du tournoi des six nations🔗, devraient se jouer au stade des Alpes. Rappelons qu’en 2019, il avait accueilli cinq matchs de la coupe du monde féminine de football, dont un quart de finale. « Ça avait clairement eu un effet dans la pratique ! », se souvient Mahrez au service Sport et quartiers.

Pour aller plus loin sur ce thème, deux épisodes du podcast “Les Couilles sur la table”:
Pourquoi le sport reste encore un truc de mecs🔗
Des villes viriles🔗

Reportage et photographies Florian Espalieu
Illustration Alice Quistrebert
Graphiques Ludovic Chataing

De gauche à droite, Alice Quistrebert (illustratrice), Florian Espalieu (journaliste), Ludovic Chataing (fondateur).

La petite équipe rédactionnelle de L’avertY est constituée pour ce premier trimestre de la saison 4 du journaliste Florian Espalieu🔗, déjà familier des mensuels sur le média. Ses reportages de terrain sont accompagnés par des illustrations à l’aquarelle d’Alice Quistrebert (aka Alice Raconte🔗). Ludovic Chataing🔗 complète la rédaction en tant que fondateur du média, web-journaliste de formation, en charge de l’édition et de la diffusion.

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