Un éclairage zététique

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Avec l’association Observatoire zététique et les cours universitaires ancrés à Grenoble, les témoignages de locaux qui se sont imprégnés de zététique ne sont pas rares. Un univers qui semble bien mystérieux avec un nom qui n’évoque pas grand-chose en français. Et pourtant, derrière le mot zététique se cache une démarche relativement simple.

L’origine du terme “zététique” gravite autour de la philosophie sceptique enseignée par Pyrrhon au IIIème siècle avant J-C. Les sceptiques étaient parfois surnommés “zetetikoi” : ceux qui cherchent. En France, le terme est ravivé par le physicien Henri Broch, qui crée en 1998 le Laboratoire de zététique dans la Faculté des sciences de Nice. « Art du doute », « hygiène préventive du jugement », « pensée critique » ou encore « autodéfense intellectuelle », la zététique est d’abord l’usage d’une méthode d’investigation scientifique pour analyser les phénomènes réputés étranges, paranormaux ou surnaturels. La démarche est simple et rigoureuse : on recherche la source de l’information, on teste à nouveau lorsque cela est possible, on expérimente, on égraine les hypothèses, on analyse les preuves. En clair, on use de l’attirail du scientifique pour produire une analyse rigoureuse afin d’expliquer un phénomène. On pourrait croire alors que les zététiciens sont tout simplement des scientifiques qui s’intéressent aux phénomènes paranormaux.

Mais ce nouveau terme introduit, zététique, contient une nuance non négligeable. En effet, deux recherches peuvent appliquer la même démarche critique mais aboutir à un résultat qui n’aura absolument pas le même impact. L’étude d’un végétal endémique de Madagascar n’aura pas le même retentissement qu’une étude sur l’efficacité de l’homéopathie. Le terme zététique comprend, au-delà de la démarche sceptique, la prise en compte de la charge affective contenue dans les sujets étudiés. La précaution est de rigueur lorsqu’on analyse des phénomènes sur lesquels certaines personnes ont fondé leur existence et le sens de leur vie. En d’autres termes, il s’agit de prendre des pincettes lorsque l’on touche à des sujets sensibles.

Se faire son opinion

La zététique s’attèle sans crainte à tous les sujets qui sortent de l’ordinaire, des légendes urbaines à l’astrologie, en passant par les coupeurs de feu. La finalité des recherches n’est pas un positionnement moral ou prescripteur, une fois le sujet éclairé, c’est à tout un chacun de se faire une opinion. Il ne s’agit pas de dire aux gens quoi faire mais de leur donner toutes les informations nécessaires pour qu’ils puissent faire des choix éclairés. Aujourd’hui la pratique s’est étendue à la vérification d’informations plus ordinaires et communes, et à l’éducation à la pensée critique méthodique. Ce tournant offre de nouveaux objets d’études, et ses outils spécifiques, tels que la rhétorique ou encore la linguistique.

Dessin de Simon Derbier : son travail est à découvrir ici.

Concrètement, que nous apprend la zététique ?

La zététique mobilise un grand nombre d’outils qui permettent de faire fonctionner l’esprit critique. Prenons par exemple un biais cognitif plutôt connu : “l’effet Barnum”. Ce biais emprunte son nom à Phineas Taylor Barnum, célèbre entrepreneur américain connu pour ses freak shows et son cirque éponyme. En période de vache maigre pour ses affaires, Barnum avait mis en place des prestations de “lecture à froid”. Il prétendait pouvoir lire la personnalité de ses spectateurs en les observant. Aussi appelé “effet Forer”, du nom du psychologue qui a percé à jour ce biais cognitif, son utilisation la plus courante est attribuée aux astrologues et aux médiums. Basé sur la validation subjective, il induit toute personne à percevoir une description vague de sa personnalité comme étant juste et spécifique.

En 1948, Bertram Forer teste ce biais sur ses étudiants, il leur fait remplir un test de personnalité, et prétend dresser un profil personnalisé de chacun à partir des résultats du test. Pour cela il leur remet un texte censé contenir leur analyse personnalisée et leur demande de noter la pertinence de l’analyse sur une échelle de 0 à 5. La moyenne est de 4,26. Pourtant les étudiants s’étaient tous vus attribuer le même texte, sans le savoir. Les prestations qui induisent l’effet Forer mobilisent souvent des phrases assez vagues pour que nous puissions y attacher des réalités qui nous sont propres ou auxquelles nous désirons correspondre. Le texte produit par Forer affirmait par exemple : « Vous avez besoin d’être aimé et admiré, et pourtant vous êtes critique avec vous-même », ou encore, « vous avez un potentiel considérable que vous n’avez pas encore utilisé à votre avantage. »

Kévin, Rony et Aude s’emparent de la zététique

Parmi les ressources de la zététique on retrouve également des principes structurants, tels que la charge de la preuve. Kévin a suivi des cours de zététique en licence de psychologie à Grenoble. La charge de la preuve est l’un des principes qu’il a retenu :

« Si j’avance qu’un dragon se trouve dans mon garage et qu’en plus, ce dragon est invisible, je ne peux pas vous mettre au défi de me prouver le contraire. C’est à moi de vous apporter les preuves qu’un dragon invisible vit dans mon garage. » — Kévin

En clair, la charge de la preuve incombe à celui qui avance un fait qui sort de l’ordinaire.

Rony est commerçant ambulant, il vend des bijoux sur les marchés. Après le bac, son activité saisonnière lui permet de voyager régulièrement à travers le monde. Déconnecté de l’actualité française, il découvre avec un peu de retard les vidéos de l’essayiste d’extrême droite Alain Soral. Intrigué par l’aspect manipulatoire de son discours, il cherche à se renseigner sur le sujet et tombe sur un article du Cortecs ( Collectif de recherche transdisciplinaire esprit critique & science). Plus tard, une expérience traumatisante lors d’une sortie de plongée le mène à s’interroger sur la mort. Après avoir égrainé toutes sortes d’hypothèses mystiques sur Youtube, il renoue avec la pensée critique via “les sceptiques du Québec”, une association qui promeut la pensée critique et la rigueur scientifique appliquées aux sujets paranormaux.

« Cette découverte est un moment charnière de ma vie. Je découvre une démarche différente, il ne s’agit pas de faire du monde ce qu’on désire qu’il soit, mais de chercher à le voir tel qu’il est. » — Rony

Aude est grenobloise, elle a découvert la zététique il y a 15 ans, alors étudiante en information-communication. Elle commence à lire du contenu publié par l’Observatoire zététique. Aujourd’hui encore, la démarche zététique l’accompagne dans son activité professionnelle puisqu’elle travaille dans le domaine de l’éducation à l’information. Lors de ses premières expériences au contact de personnes qui s’intéressent aux contenus critiques, elle remarque chez certains une forme de mépris pour les pseudo-sciences et les médecines alternatives. Selon elle, il est important de tenir compte du fait que le processus de remise en question est souvent douloureux.

Remettre en question nos pratiques, particulièrement dans le domaine du soin, peut être un processus déstabilisant, notamment quand il s’agit de pratiques familiales. Selon Aude, analyser le fonctionnement des médecines alternatives et déterminer leur efficacité est une démarche importante, cependant il faut tenir compte de toute la dimension humaine du soin à la personne. « Les consultations de médecine générale sont souvent expéditives, alors qu’il est d’usage en homéopathie, par exemple, de prendre entre 30 et 45 minutes avec le patient », il se sent alors peut-être plus écouté, et cela a son importance dans le soin.

Les chaînes qui font référence

Depuis quelques années, on trouve du contenu zététique sur les réseaux sociaux, notamment sur Youtube. Parmi les plus regardées, on trouve la chaîne “Hygiène mentale” qui comptabilise près de 350 000 abonnés. C’est sur cette chaîne que le vidéaste Christophe Michel, membre de l’Observatoire zététique (association basée à Grenoble), partage des outils d’autodéfense intellectuelle, le plus souvent sous forme d’animations commentées par sa voix off.

La chaîne “La tronche en biais” [ndlr : basée à Nancy] contribue également à la diffusion d’outils de zététique, dans des vidéos plus mises en scène. On y trouve des interviews, des vidéos de vulgarisation, des vlogs et depuis peu les émissions de La tronche en biais sous forme de podcasts.

Il existe également beaucoup de créateurs qui proposent des outils de pensée critique mais qui ne se revendiquent pas zététiciens comme “Defakator”, “Aude WTFake”ou “Cyrus North”. Un grand nombre de sujets et de formats s’offrent à nous, et les réseaux sociaux peuvent être un excellent moyen de diffuser du savoir. Cependant, comme toute diffusion d’un savoir via les réseaux sociaux, la zététique ne fait pas exception et connaît quelques électrons libres dont le discours n’est pas toujours représentatif du mouvement global.

« Le cerveau est une machine à se tromper »

Pour Richard Monvoisin, l’humilité doit être au cœur de la démarche zététique. Il dispense l’un des seuls cours en France de “zététique & autodéfense intellectuelle” à l’Université Grenoble Alpes. Il pratique la zététique depuis 25 ans et l’enseigne depuis près de 15 ans. Il met l’accent sur la rigueur et l’honnêteté intellectuelle que requiert la démarche zététique :

« L’esprit critique ne doit pas s’arrêter à notre confort. Il n’y a pas de raison de s’attaquer aux croyances des autres et d’épargner nos propres croyances. » — Richard Monvoisin.

Son discours sur la démarche critique ne laisse pas de place à l’arrogance ni au mépris. Au contraire, la démarche se veut libératrice et accessible à tous. C’est d’ailleurs ce qu’il tient à transmettre à ses étudiants : « Je commence toujours mon cours en rappelant patiemment aux étudiants qu’avant d’apprendre la démarche critique, je suis moi-même tombé dans toutes sortes de croyances improbables parmi lesquelles j’ai essayé d’hypnotiser mon chat. » Ce premier pilier peut sembler être une plaisanterie mais il est primordial pour le cours, il déconstruit quelque part le rapport d’autorité entre le professeur et l’étudiant et pose le postulat que nulle croyance ne mérite d’être méprisée. En montrant des illusions d’optiques ou des biais cognitifs, comme l’effet Barnum (dont nous parlions plus tôt), il montre aux étudiants que notre cerveau n’est pas fiable : « Le cerveau est une machine à se tromper. Ce n’est ni de leur faute ni de la mienne, mais l’important c’est d’être conscient de ce que cela implique. » Enfin, il introduit des notions d’épistémologie, à savoir l’étude de la constitution des connaissances en utilisant différents outils, tels que la charge de la preuve, le rasoir d’Occam ou encore le critère de Popper. Autant d’outils qui structurent le savoir.

Ce cours transdisciplinaire est une particularité grenobloise, quelques membres du Cortecs en dispensent dans d’autres universités mais ce n’est pas encore d’usage. « Mon rêve en prenant la suite d’Henri Broch était d’introduire dans toutes les universités des cours d’autodéfense intellectuelle. Pour l’instant ce n’est pas le cas, car il y a des résistances au niveau institutionnel. Entre autres, on nous dit que ce type d’enseignement existe déjà ou qu’il faut éviter de déconstruire le rapport à l’autorité », explique Richard Monvoisin. En attendant que ce rêve se réalise, les étudiants grenoblois peuvent profiter de ce cours et tous les autres peuvent consulter les ressources existantes en ligne. La zététique est un savoir partagé et accessible à tous, encore faut-il prendre le temps de la découvrir.

Reportage de Myriam Surat
Dessin de presse de Simon Derbier

J’ai raté un lien ?

48 photos incroyables de Freaks de cirque au début du XXe siècle — Buzzfeed
Petit recueil de 25 moisissures argumentatives pour concours…— Cortecs
C’est quoi un VLOG ? — FlorianOnAir
Chaîne Youtube Defakator
Chaîne Youtube Aude WTFake
Chaîne Youtube Cyrus North
Zététique, le making off — Conseils aux enseignant-es — Hauteurs UGA
Critère de Popper et réfutabilité d’une théorie — Cortecs

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