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En menant mon enquête, j’ai eu le sentiment que les personnes que j’interrogeais n’avaient pas le sentiment d’être confinées : elles peuvent encore se déplacer dans l’espace public, grâce à leurs attestations de “confiné dehors” délivrées par des associations caritatives. Elles ne risquent donc pas d’amende comme cela a pu être le cas au début du premier confinement.
Il est vrai que ce second confinement n’en est pas vraiment un : beaucoup de gens bénéficient de dérogations qui les autorisent à sortir librement, l’activité économique est beaucoup moins ralentie et les contrôles d’attestation se raréfient.
Toutefois, il existe toujours une crainte de la police, et certaines personnes potentiellement victimes de discrimination de la part des forces de l’ordre n’osent même plus aller récupérer de la nourriture sur les lieux de distribution, ayant en mémoire les nombreux contrôles durant le premier confinement.
Certains policiers municipaux semblent malheureusement abuser de leurs pouvoirs lors des contrôles d’attestation, comme le montre ce témoignage d’une jeune fille migrante, sortie pour aller à la pharmacie et victime d’un contrôle au faciès car elle avait mis un foulard pour se protéger du froid. Elle s’est faite humilier par des policiers municipaux qui ont cherché à lui faire peur, en finissant par lui déchirer son attestation.
Cela rend les personnes exilées encore plus invisibles de l’espace public en ces périodes de confinement : elles sillonnent la ville sur leurs vélos, leur sac Deliveroo sur le dos. L’uberisation de notre société fait que cette forme d’activité professionnelle dérégulée devient de plus en plus un moyen de travailler au noir pour des personnes demandeuses d’asile n’ayant pas le droit de travailler en France, à l’aide de prête-nom qui leur fournit un compte sur une application de livraison de nourriture, souvent en contrepartie d’un pourcentage des gains.
Un camp dans un parc grenoblois
Des personnes continuent d’être dehors pendant ce nouveau confinement. Je suis allé à la rencontre d’une famille qui a installé un campement de fortune de tentes et de toiles dans un parc de la ville. Originaires de Macédoine, ils parlent à peine français. Je suis avec une personne qui a vécu dans les Balkans et arrive à communiquer avec eux. Ils expliquent que la veille au soir il y a eu de l’orage, ils ont eu froid, de l’eau est rentrée dans leur tente et le vent a emporté leurs affaires. On appelle le 115. Auparavant, ils étaient installés à côté du cinéma Pathé Chavant. Bien visibles dans l’espace public, ils se sont fait expulser par la police.
Aucune solution de relogement n’a été trouvée malgré des soutiens qui ont interpellé la mairie. Je m’inquiète de leur situation, car il y a un an j’avais vu une famille albanaise dans ce même parc être expulsée par la police. Ils me répondent qu’elle passe parfois dans le parc pour interpeller des gens qui fument du haschisch, sans leur causer de problèmes. Ils devraient être tranquilles le temps de la crise sanitaire, normalement pas d’expulsions ou de démantèlement de camp. Pendant ce temps, la musique d’attente du 115 continue. Le confinement ne change rien pour leur situation, ils restent dehors, ils ne sont pas concernés. Des maraudes passent leur apporter de la nourriture, tout comme le Samu social. Mon interprète leur indique les associations caritatives qui sont encore ouvertes durant le confinement dans le quartier. Ils demandent des chaussures à leur taille, ils ne savent pas où s’en procurer. On leur indique la zone de gratuité installée sous un pont tout proche. Ils n’avaient pas osé y aller, pensant que quelqu’un y vivait. On demande aux adolescents présents s’ils vont à l’école, ils expliquent qu’ils ne veulent pas y aller tant qu’ils n’ont pas de logement. Cela fait 26 minutes que l’on est en attente pour le 115, on doit partir avec mon interprète. On réessaiera une autre fois.
Le confinement a entraîné la fermeture de nombreuses structures d’aide et d’associations caritatives, leurs activités pouvant être considérées comme non essentielles. D’autres, qui fonctionnent en grande partie grâce à l’aide de retraités, plus vulnérables au Covid, ont perdu un grand nombre de bénévoles, et ont dû également interrompre leurs actions. Toutefois, des associations comme Point d’eau ou le collectif du Lîeu qui font de l’accueil de personnes SDF et portent des initiatives de solidarité, restent ouvertes.
Des Brigades de solidarité
Le Lîeu, le Centre social autogéré du 38, le Réseau Éducation Sans Frontières (RESF), la ZAR Berriat (“Zone à Rêver”, dans les locaux de Cap Berriat) et de nombreuses autres initiatives individuelles, ont lancé dès le début de ce second confinement l’initiative des Brigades de Solidarité Populaire. Ce mouvement, initié en Italie lors du premier confinement, a permis la création de réseaux d’entraides citoyens qui se sont organisés pour pallier les insuffisances des pouvoirs publics. À Grenoble, les Brigades s’étaient constituées à la fin du premier confinement à la Villeneuve avec pour but de départ d’aider les personnes du quartier.
Au sein des Brigades, le travail est réparti en équipes :
• Récupération de nourriture, principalement des invendus de marchés et de supermarchés.
• Cuisine de ces produits si besoin.
• Distribution dans des camps ou à des personnes en situation de précarité identifiées, ou bien lors de maraudes.
Ils cherchent maintenant à faire des points de distributions fixes les dimanches midi d’abord au Lîeu, puis au marché de l’Abbaye où ils ont eu l’autorisation d’occuper l’espace public.
Je me suis rendu dans les locaux qu’ils utilisent pour cuisiner, c’est l’effervescence. Autour du plan de travail, les personnes présentes s’activent. Un cuisinier professionnel mis au chômage technique et qui souhaite mettre son temps au service des plus démunis est venu donner un coup de main. Des habitués de cantines populaires spécialistes de la transformation de produits de récup’ viennent renforcer l’équipe. Tous ensemble, ils passent là un moment de convivialité utile. Ils sont là pour s’occuper activement, faire du lien social pendant cette période de confinement, pour avoir un engagement solidaire, mais aussi politique. Le modèle d’organisation tend à être horizontal : toutes les personnes qui cuisinent se mettent d’accord sur ce qu’elles vont préparer en fonction des arrivages de la récup’ et de leurs envies. Chacun vaque à sa tâche sans que personne ne coordonne tout. Un peu déboussolant pour ceux et celles qui sont là pour la première fois. Ils ne savent pas encore vraiment comment s’intégrer au groupe, tandis que le chef informel tente de s’effacer petit à petit une fois que tout le monde a pris ses marques dans la grande cuisine mise à disposition. À la fin de la journée, sauce tomate, soupe, compote et gratins sont bel et bien cuits, prêts à être distribués dans les bocaux en verre que les membres des Brigades ont récupéré à l’aide d’un appel sur les réseaux sociaux.
Les Brigades ne sont pas les seules initiatives autonomes qui distribuent de la nourriture aux personnes les plus démunies. C’est aussi la volonté du mouvement #PourEux qui s’est lancé à Grenoble depuis ce reconfinement : des bénévoles qui vont distribuer à vélo des plats préparés aux personnes qui en ont besoin, sur un modèle de Deliveroo. #PourEux s’était mis en place dans d’autres villes en France depuis le précédent confinement.
Parallèlement à ces initiatives collectives, les pouvoirs publics ont remis en place des distributions de nourriture, notamment via l’association Magdalena, comme durant le premier confinement. Sur le parvis de la Basilique du Sacré-Cœur, des plats chauds sont offerts tous les soirs, dans la continuité de leur distribution hebdomadaire pour les personnes SDF. Leur action caritative comporte une forte dimension religieuse : la distribution débute par une prière et des chants d’Ave Maria et les membres expriment leurs “intentions”, avant de partager la nourriture livrée par la cuisine collective de la ville de Grenoble à un public d’habitués et de familles démunies du voisinage.
Migrants… ou SDF
Pour aller au contact des personnes à la rue, j’ai pris part à une maraude dans le centre-ville. Un groupe de bénévoles arpente les avenues, leurs caddies remplis de boissons chaudes, viennoiseries, sandwichs faits maison et produits d’hygiène. Arrivé au carrefour d’Alsace-Lorraine, à première vue il n’y a aucun SDF visible, mais je me rends compte que toutes les personnes assises à côté de l’arrêt de tram viennent vers nous. Ce ne sont pas des passants, simplement des invisibles qui traînent là. On avance dans l’avenue, on rencontre un groupe de zonards, bien plus visibles cette fois-ci, des bières à la main. Pendant que nous distribuons nos victuailles, une des personnes nous alpague, nous décrit la recette de la soupe au Cantal, nous pose des devinettes “Monsieur, Madame”. Il était SDF mais a désormais un logement. Il continue de zoner, toujours au même endroit, devant La Poste. Le confinement ne l’a pas fait rentrer chez lui. Au début, c’est même la police qui lui a permis d’avoir une attestation pour “rester dehors 24h/24”. Maintenant, il l’a du Secours Catholique.
Du côté de l’arrêt de tram Hubert Dubedout, un jeune homme fait la manche devant le Monoprix avec ses deux chiots au beau pelage de berger australien. Son besoin ? Des gants et un bonnet, car l’hiver arrive. Heureusement, il en reste dans le stock de la maraude. Le confinement le “fait chier”, il ne peut plus rien faire, juste rester chez sa copine qui l’héberge. Il n’a pas eu de contrôle depuis le début du confinement, la police l’avait juste “fait chier” pour qu’il porte le masque. Une gêne pour lui qui est asthmatique, il en a marre de le porter tout le temps.
À la fin de la maraude, le groupe constate qu’il y a beaucoup moins de personnes SDF présentes que d’habitude dans le centre-ville de Grenoble. De même, la place Grenette ou la gare sont vides ce matin.
Des zones de gratuité
Si les initiatives de solidarité locales semblent avoir su répondre à temps et de manière efficace à la question alimentaire, d’autres problèmes subsistent pour les plus démunis. Par exemple, il leur est difficile d’acquérir des vêtements chauds : les ressourceries telles que Ulisse ou La Ressource, ainsi que les zones de gratuités comme celles de Cap Berriat ou du 38, ont dû être fermées au public n’étant pas “essentielles”. Comme solution d’urgence, minime mais solidaire, une Zone de gratuité en plein air a été installée sous le pont du boulevard Foch, à côté de l’autoroute à vélo. Un caddie, deux barres de fer, et ils installent un portant de fortune pour y installer des vêtements. Ce n’est pas la première fois que des gens déposent à cet endroit des denrées alimentaires ou des vêtements. Cette Zone de gratuité apparaît, disparaît et réapparaît au gré des “nettoyages” de la SNCF, ou d’un voisin chagrin de voir tant de “bazar de fortune” dans l’espace public. Il s’agit d’une initiative menée par un groupe d’individus autonomes qui, même si elle a pour vocation d’aider les plus démunis, ne plaît pas à tous.
Subvenir aux besoins essentiels du quotidien ne comble pas le fait que certaines personnes soient à la rue ou mal logées. La majorité des camps sont insalubres, les conditions d’hygiène lamentables. Qu’en est-il du logement à Grenoble ? Les personnes SDF sont les victimes en première ligne des intempéries, ont-elles été relogées où sont-elles toujours à la rue, juste encore plus cachées qu’avant ?
Des solutions de logement dans la Métro
L’association Droit Au Logement, le DAL, a réussi à obtenir de la part de la préfecture de l’Isère un engagement à ce qu’aucune expulsion locative n’ait lieu cet hiver. De son côté, la ville de Grenoble a annoncé l’encadrement des loyers et la mise en place d’un plan d’hébergement de 700 places. Plus de la moitié de ces places d’hébergement ont déjà été octroyées lors du premier confinement. Les personnes qui avaient reçu un logement à cette époque ont pu y rester. Elles n’ont pas été mises à la rue pendant l’été. L’association Droit Au Logement qui établit un suivi des personnes à la rue ou en logements insalubres n’a vu cependant aucun changement dans leurs situations au début de ce nouveau confinement. Pire encore : une famille avec 7 enfants hébergée à l’hôtel dans le cadre du dispositif d’hébergement d’urgence a été expulsée le 12 novembre en période d’urgence sanitaire. Bien que le tribunal administratif ait décrété l’illégalité de cette expulsion le 16 novembre, aucune solution ne lui a été proposée à ce jour (27 novembre).
Pourtant, les préfets de région ont reçu une lettre de la Ministre du logement avec comme directive le logement des personnes SDF. L’État ne respecte pas sa mission de fournir un logement décent. La mairie de Grenoble a mis en place une structure expérimentale d’équipe juridique mobile servant à accompagner les personnes en situation de mal logement. Cette équipe les aide dans leurs démarches pour réclamer leur droit à un logement opposable ou un hébergement opposable. Bilan assez terne pour l’instant : même lorsque la justice demande à l’État de remplir ses obligations, il ne le fait toujours pas, et va même jusqu’à débouter toutes les personnes demandeuses d’asile qui en font la demande.
Les pouvoirs locaux n’hésitent pas à rappeler que l’État ne respecte pas ses obligations, mais ont-ils eux-mêmes exploré toutes leurs possibilités d’action ? D’après le DAL, 600 des 17 000 logements vides appartiennent aux pouvoirs publics. L’association appelle donc à leur réquisition en cette période de crise sanitaire et sociale.
Les institutions qui s’occupent du logement dans la métropole sont gérées par des conseillers municipaux de la ville de Grenoble. Par exemple, l’organe qui gère les bâtiments vides de l’ensemble des villes de la métropole est l’Établissement Public Foncier Local du Dauphiné (EPFL), présidé par Christine Garnier jusqu’à mi-octobre (NDLR : une nouvelle élection interne a élu le maire de Sassenage Christian Coigné), toujours conseillère municipale d’Éric Piolle. L’EPFL gère de nombreux bâtiments, le temps qu’ils soient vidés, à des fins spéculatives pour des projets d’urbanisme ou le temps que toutes les maisons d’une parcelle de terrain finissent par être vendues. Ces bâtiments présents dans toute la Métro sont protégés par une entreprise de sécurité. Ces derniers temps, toute tentative d’occupation est expulsée directement et violemment par la police sans entrer en procédure classique comme ce fut le cas le 20 janvier dernier.
Actuellement, le DAL préconise l’occupation de bâtiments vides. Une des seules solutions efficaces pour réclamer le relogement de personnes actuellement à la rue face au silence des pouvoirs publics. Prenons comme exemple le 6 rue Jay, dans le centre-ville de Grenoble. À l’origine, ce bâtiment était squatté par des personnes sans logement. Soutenues par le DAL, elles se sont constituées en association et la mairie a fini par accepter de signer une convention avec eux sur trois ans reconductibles, les autorisant ainsi à y habiter. Cependant, ce lieu devient de plus en plus insalubre et aucune solution de relogement n’a été trouvée. Ce processus de mise à disposition de logement vide pour des personnes à la rue par le biais de conventions démarre timidement dans l’agglomération grenobloise. L’association “le Tremplin”, montée par des personnes de la rue, a pu ainsi obtenir une maison conventionnée avec la mairie de Grenoble dans le quartier de l’Abbaye fin 2017 pour permettre l’hébergement de personnes SDF et leur permettre leur réinsertion. Mais l’expérience a fini par tourner court suite à de trop nombreux problèmes à l’intérieur de cette maison et la convention fut rompue. Le bâtiment semble être de nouveau occupé depuis peu de temps, le projet récupéré par des travailleurs sociaux, alors que les fenêtres sont encore murées.
D’anciens habitants du squat des anciens locaux du syndicat Solidaires à la Bruyère ont pu eux aussi bénéficier d’une convention d’occupation d’un bâtiment vide appartenant à la mairie. Le squat ayant été détruit dans un incendie, les personnes ont d’abord été relogées dans un gymnase, certaines ont pu avoir droit à une place dans un Centre d’Accueil de Demandeurs d’Asile, et pour une partie des autres un relogement a pu être obtenu. Victoire en demi-teinte, car il n’a pas concerné tout le monde, et certaines personnes ont été contraintes de retourner à la rue.
Ce relogement en accord avec les pouvoirs locaux est une solution pour pallier les déficiences de l’État, mais n’est possible que pour des groupes déjà organisés, et pas des personnes isolées en situation de détresse personnelle. Tout cela se joue aussi selon les affinités entre les associations de soutien et des collectifs avec les pouvoirs locaux. De plus, l’idée d’occuper un logement vide est parfois dissuasif pour les personnes exilées qui veulent éviter à tout prix toute rencontre avec la police. Sans l’aide des collectifs de soutien, cela est souvent impossible. Peut-être vont-ils se réveiller cet hiver ?
DES SOLUTIONS
Si vous croisez le chemin d’une personne sans logement ou dans un logement insalubre vous pouvez :
• Contacter le 115 qui est la plateforme qui centralise l’hébergement d’urgence (de préférence dans la matinée, en fin d’après-midi la ligne est saturée par les appels des différentes maraudes.)
• Contacter l’association du Droit Au Logement
E-mail : droitaulogement@gresille.org | Téléphone : 06 41 30 55 18
• Demander le soutien de l’équipe Juridique Mobile
E-mail : ejm@grenoble.fr | Téléphone : 04 76 48 66 28
Reportage et photos de Bertrand Urier
Dessin de presse de Simon Derbier
J’ai raté un lien ?
Le témoignage d’une jeune femme migrante — CRIC Grenoble
Enquête : faux livreurs et vrais migrants — Radio Parleur
Site pratique Solidarité Grenoble — Ville de Grenoble
Site national #PourEux — Pour Eux, le mouvement
L’encadrement des loyers sur la métropole — France 3 Auvergne Rhône-Alpes
Vidéo de l’incendie du squat de La Bruyère — Twitter @berurier_
Magouilles à l’EPFL du Dauphiné — ADES
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