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Le chantier à venir pour une autonomie alimentaire à Grenoble est immense. Au-delà des pratiques citoyennes, ce sont les filières de distribution du producteur au consommateur qui ne sont pas adaptées à une autonomie alimentaire locale de masse. Si la métropole met régulièrement en avant le sujet, c’est surtout pour faire avancer l’idée auprès du public et des professionnels du secteur.
Depuis le confinement, Grenoble Alpes Métropole met en avant sur son site Internet plusieurs articles pratiques “pour manger local” : listes des marchés, des producteurs locaux et même une carte interactive des commerces ouverts post-confinement. L’intention de favoriser l’achat local y est, sans l’ombre d’un doute. Mais dans l’état actuel, il n’y a pas assez de producteurs locaux et l’organisation est à revoir pour rendre locavores tous les métropolitain·e·s. Pour preuve cet extrait du document “stratégie et plan d’actions” de la Métro concernant les actions à mener pour l’environnement sur la période 2020–2030 :
« Certes, il n’est pas envisageable d’imaginer une autonomie alimentaire complète du territoire, même en mobilisant les productions des territoires voisins. Cependant, il est important que les denrées produites sur le territoire y soient consommées et que les capacités de production agricole soient réorientées vers l’approvisionnement du marché local dans le respect d’un principe d’équité producteur / consommateur. » — extrait du Plan Climat Air Énergie Métropolitain (PCAEM).
Ce document, disponible pour tous sur le site de la Métro, propose trois orientations pour progresser sur le sujet : “relocalisons notre alimentation” (page 176), “incitons les acteurs économiques au changement” (page 253) et “rendons les habitants acteurs” (page 227). Une clé du problème concerne la coopération avec les territoires voisins. Déjà depuis 2015 la métropole était en partenariat avec le Grésivaudan, le pays Voironnais, les Parcs naturels régionaux de Chartreuse et du Vercors. En 2019, se sont ajoutés le Trièves et la Ville de Grenoble.
Pour les dix prochaines années, l‘idée est d’animer un “Conseil de l’alimentation inter-territorial” qui veut réunir un maximum d’acteurs du territoire, y compris le Département et la Région. Les enjeux sont identifiés, un pôle agroalimentaire a été créé, le label Is(h)ere, pour encourager l’achat local, inventé en 2018, cependant les indicateurs de résultats identifiés consistent essentiellement à compter le nombre de magasins de producteurs, de marchés de producteurs et d’agriculteurs labellisés. Les deux autres volets souhaitent sensibiliser soit les citoyen·ne·s à l’achat local, soit les entreprises et collectivités pour mettre du local dans la restauration collective.
Quand on sait que l’alimentation est responsable de 22 % de l’empreinte carbone de la métropole, on comprend bien pourquoi ce secteur entre pleinement dans la stratégie de baisse des émissions de gaz à effet de serre du PCAEM (Plan Climat Air Énergie Métropolitain). Pour autant, les budgets prévisionnels proposés ne s’élèvent pour l’instant qu’à 4,5 millions d’euros sur dix ans pour les trois orientations évoquées plus haut. Cela représente 1 % du budget total (448,5 millions d’euros) prévu par la Métropole pour le PCAEM.
Qu’en pensent les citoyen·ne·s ?
Ugo, membre d’Alternatiba Grenoble, a planché sur le sujet il y a quelques temps avec d’autres membres. Pour lui, la démarche pour l’autonomie alimentaire n’en est qu’à un stade “embryonnaire” avec surtout des mises en relations entre territoires et des objectifs peu ambitieux. Il admet que ce document officiel “fait son job d’objectif”, mais sans plus. “La Métropole dépend d’autres territoires, donc elle contractualise”, renchérit-il. Un mini-débat se lance avec les quelques personnes qui écoutent la conversation place Saint-André. Le sujet intéresse et ce n’est pas étonnant car autour d’eux sont affichées, à l’occasion d’un événement, les propositions de la Convention Citoyenne pour le Climat afin de “réduire de 40% les gaz à effet de serre”.
Si les trois citoyennes tirées au sort en Isère n’ont pas travaillé dans la commission “Se nourrir”, c’est le cas d’Alain, retraité de 61 ans, brondillant (habitant à Bron, agglomération de Lyon). Pour lui, la difficulté de manger local vient aussi de devoir payer plus cher en achetant directement aux maraîchers. Il déplore qu’il y ait “tellement de choses à dépenser aujourd’hui” et considère “qu’avant on pouvait mettre un peu plus d’argent dans la nourriture” pour “une consommation de qualité”. Connaisseur de la région grenobloise, il confirme aussi qu’il n’y aura pas assez de producteurs locaux si on se limite à la métropole. Il aimerait aussi éviter les déviances comme dans ce reportage de France 2 à Rennes où des serres restent allumées jusqu’à 3h du matin, bouleversant la biodiversité locale.
Même ton sur la potentielle autonomie alimentaire grenobloise pour Lorène, membre d’Alternatiba Grenoble et du collectif Métro, “consciente qu’aujourd’hui c’est impossible sur le territoire”. La solidarité avec les territoires voisins semble pour elle la solution à court terme, allant dans le sens du document produit par Grenoble Alpes Métropole. Pour Ugo, il faudrait un “remembrement” des filières de distribution. Les changements de destinataires ne sont pas si simples. Illustration avec Yann, primeur dans la région, qui a continué à travailler pendant le confinement :
« Ma clientèle était composée de 90 % de restaurants/traiteurs et 10 % de particuliers via des “paniers de fruits et légumes”. Le confinement a strictement inversé ces chiffres et m’a donné un boulot de dingue, car beaucoup plus compliqué. Je suis passé de 25 paniers par semaine à plus de 100 ! Post confinement, j’ai retrouvé mes pros et gardé une cinquantaine de paniers. »
Une projection d’autonomie à Rennes
Trois promotions d’étudiants spécialisés en “Agriculture Durable et Développement Territorial” ont planché entre 2010 et 2013 sur le potentiel d’une autonomie alimentaire pour la métropole de Rennes. Si les tailles de l’aire urbaine et de la ville centrale sont respectivement de 40 000 et 60 000 habitants supplémentaires, cette projection apporte des enseignements intéressants pour la métropole grenobloise. L’objectif de l’étude était de déterminer le périmètre nécessaire pour “nourrir tous les habitants […] à partir des seules ressources alimentaires du territoire local”. En prenant de nombreuses hypothèses comme la réduction du gâchis alimentaire, la réduction de la part de calories animales et plusieurs partis pris comme l’agriculture biologique et produits de saison, les étudiants ont calculé une zone de 22 km de rayon centrée sur Rennes pour une autonomie complète (la métropole fait 14 km de rayon). Dans ce “scénario autonomie”, il faut tout de même consacrer à l’agriculture “30 % des forêts”, “40 % des surfaces en jardins publics et privés”, “46 % des surfaces en espaces verts urbains” et “60 % des toits plats”. On peut alors s’imaginer une ville totalement dédiée à l’agriculture où les potagers de rue sont devenus la norme plutôt que l’exception.
Pour Grenoble, même en gardant ces indicateurs, la projection est encore plus difficile. Grenoble Alpes Métropole calcule une surface agricole actuelle de 15% de son territoire, contre 55% de Surface agricole utile pour Rennes Métropole. Par ailleurs une étude de Utopies, publiée en mai 2017, montre que Rennes entre dans le top 10 des aires urbaines les plus autonomes actuellement. Grenoble est 66ème sur les 100 aires urbaines testées, en dessous de la moyenne nationale.
Dans la région, c’est Valence qui s’en sort le mieux pour le moment avec la deuxième place au classement et une autonomie de… 6,43 %. Il faut atteindre 100 % pour considérer l’aire urbaine comme autonome. Oui, il y a encore beaucoup de travail pour acquérir une autonomie alimentaire dans les grandes villes.
Ludovic Chataing, journaliste web pour L’avertY.
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