Une abonnée de L’avertY, professeure dans un collège, a écrit une lettre ouverte au ministre de l’Éducation nationale Jean-Michel Blanquer, dans laquelle elle livre son opinion et son ressenti sur les réformes en cours. D’abord publiée sur Facebook, elle accepte que la lettre soit relayée sur L’avertY.
Monsieur Blanquer,
Je ne sais plus si j’ai déjà pris la plume pour vous parler comme je l’ai fait avec vos prédécesseurs. Mais voilà , il faut à un moment arrêter de penser que vous avez la solution. Les arguments d’autorité “je suis ministre donc j’ai raison” (copié sur monsieur Macron et son “je suis président donc j’ai raison”) ne sont pas possibles. Nos élèves n’y croient pas quand on les essaye (“je suis prof donc j’ai raison”). C’est pénible mais ça nous oblige à asseoir notre autorité sur des arguments solides. Qui les rassurent autant que nous. Donc, disais-je, les arguments d’autorité sont dépassés dans une société qui réfléchit. Qui a accès à l’éducation et aux savoirs.
Mais vos réformes sont bien une attaque envers ces idées d’accès à tou·te·s. Elles ne vont pas avec le néolibéralisme et l’autoritarisme voulus par votre parti et votre gouvernement. Alors quelle est votre recette ?
D’abord, essayer de brosser les profs dans le sens du poil en promettant des augmentations de salaire. Spoiler alert : en nous obligeant à prendre une deuxième heure supplémentaire, ce n’est pas une augmentation de salaire, juste du temps de travail.
Ensuite, des réformes qui font bien libérales comme la réforme du lycée. Sous couvert de permettre aux élèves de choisir entre des options et non plus des cursus (pourquoi pas dans l’idée), il s’agit surtout de sabrer des postes : philo, sciences techniques, langues…
Les premiers choix sont tombĂ©s : les Ă©lèves choisissent maths, physique-chimie et svt. Soit la filière S qui est demandĂ©e par les Ă©coles de Parcoursup qui, cette annĂ©e encore, a broyĂ© des avenirs par centaines. Sauf que, vous l’avez dit, notamment sur France Inter, les maths seront très poussĂ©es. D’un niveau plus Ă©levĂ© que l’actuel. Une bonne partie des Ă©lèves va donc Ă©chouer en maths (contrĂ´le continu) sans avoir les ressources ailleurs pour remonter… et donc n’aura pas son orientation en terminale.Â
Mais l’important est là  : moins de profs.
Il faut aussi rassurer la droite conservatrice : programmes centrés sur “les savoirs fondamentaux”, la dictée plus régulière ou la tenue vestimentaire des profs. De la poudre aux yeux car jamais une tenue ou un drapeau n’a fait autorité. Une autorité ne peut exister qu’avec des gens formés et compétents. Qui seront respectés par les parents, les enfants, les directions et administrations…. et le ministère. Mais bon, ça voudrait dire mettre des moyens, envoyer des profs en formation donc pas devant les élèves (pas très productif et donc libéral-friendly) et écouter ces gens pour faire des réformes. Donc non.
Parce que, Monsieur le ministre, je sais que vous avez deux missions : réduire les coûts et mettre au pas l’Éducation nationale.
Réduire les coûts, ça veut dire sabrer les postes existants, rendre la formation des jeunes profs complexe (master + concours + mémoire + séance filmée avec analyse + partiels…), engager un maximum de contractuel·le·s. Des gens qu’on peut déplacer à l’envie, rarement syndicalisé·e·s, qui se forment sur le tas et dont une part sera détruite par l’Éducation nationale et/ou le métier car pas ou peu préparé·e·s. Et mettre les profs au taf sur leurs vacances qui sont franchement des glandu·e·s et qui n’ont pas besoin de vacances après six semaines devant des élèves. Beaucoup de mes collègues pensent à partir. Pas parce qu’ils en ont assez des élèves mais pour tout le reste…
Pour mettre au pas l’Éducation nationale, et bien finalement, c’est la même chose. Nous empêcher de pouvoir parler librement de l’institution (#PasdeVague) par l’article 1 de la loi. Ce qui est le plus important finalement… Des collègues ont déjà été inquiété·e·s. Faire partir les profs titulaires, celles et ceux qui ont été formé·e·s, qui comprennent les tenants et les aboutissants, qui peuvent se rebeller, qui font grève… Engager des contractuel·le·s corvéables.
Les élèves dans tout ça ? On en parle beaucoup mais au fond, ce n’est pas le cœur de vos réformes. Ils doivent coûter moins cher eux aussi : filières pros plus sélectives car sans assez de place, beaucoup d’élèves par classe (45 sera sûrement bientôt la norme), une élite qui aura accès à maths/sciences, Parcoursup qui empêche un certain nombre d’accéder aux études supérieures…. et qui vont donc grossir les rangs des chômeur·euse·s qui ont juste un bac en poche et qui galèrent…
L’avenir s’annonce bien sombre pour tout le monde. L’Éducation nationale, les enfants, la démocratie.
Alors Monsieur Blanquer, renoncez. Acceptez d’avoir eu tort. À moins que ce ne soit réellement le monde que vous voulez et alors vous nous trouverez. On sera là . Même si vous ne le voulez pas, nous on sera là .
Judith, professeure dans un collège.
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