#0 « Faire un voyage à vélo, qu’est-ce que ça peut apporter ? »

Tout plaquer. Faire le tour du monde. C’est un peu le rêve de chacun, non ? Pour Olivier, c’est un défi : 7000 km à vélo, du Nord (Norvège) au Sud (Malte) de l’Europe. Ce Grenoblois de 31 ans a quitté son travail de photographe-pilote de drones fin mars pour partir “l’esprit libre”, sans contraintes retour, à la découverte de cette partie d’Europe qu’il ne connaît pas. L’avertY a réalisé une interview avant son départ.

Olivier au départ fictif de son voyage à vélo à travers l’Europe (dans son jardin).

Pourquoi avoir quitté ton job ?

Pour me consacrer pleinement à ce projet. Ça faisait un moment que je n’avais pas eu de grandes vacances, et je tournais un peu en rond dans mon boulot. J’étais photographe-pilote de drones. Je faisais de la photo depuis longtemps pour moi, comme une passion, et j’ai eu l’opportunité d’en faire mon métier il y a un an et demi. C’était un peu l’objectif d’arriver à faire ça. J’ai vu que ce boulot-là ne me plaisait pas forcément sur tous les aspects, mais le fait de faire de la photo, c’est quelque chose qui me motive, qui me plaît. Là-dessus, au moins, c’est sûr. Ce qui m’embêtait un peu dans ce boulot, c’est que je faisais des photos sur des trucs qui ne me passionnaient pas plus que ça.

Là, l’idée du voyage, c’est que je puisse faire des photos de tout ce que je vais découvrir : de paysages, de personnes que je vais rencontrer, de trucs peut-être insolites. Continuer à faire de la photo, mais vraiment pour moi. Mettre en valeur des choses qui me plaisent, qui m’intéressent.

D’autre part, je n’ai pas trop de contraintes familiales, ce qui fait que c’était l’occasion de faire un grand break, de pouvoir prendre du temps pour moi, monter mon projet, d’en profiter, de ne pas avoir de contraintes de dates retours par exemple. Je pars vraiment avec l’esprit libre, consacré uniquement à ça.

Olivier embarque son Canon EOS 70D, avec deux objectifs (focale 17–55 mm + 70–200 mm, ouvertures f/2.8)

D’où vient cette envie de voyage à vélo ?

Je fais beaucoup de vélo pour me déplacer en ville, depuis que je suis tout petit. Faire du vélo, c’est quelque chose qui me plaît, et qui ne me fait pas peur non plus par rapport à tout ce qui est question mécanique. Je sais bricoler un vélo, réparer une crevaison. L’idée de faire un voyage à vélo me trottait dans la tête depuis longtemps, parce que j’avais entendu des gens en parler. J’avais lu des articles là-dessus, vu des films. Je me disais “ah ouais, ça à l’air chouette”. J’en fais au jour le jour, mais en faire sur le long terme, qu’est-ce que ça change ? Qu’est-ce que ça peut apporter ? C’était l’idée de me lancer un défi, de me dire, est-ce que je suis capable de faire ça ?

Le vélo d’Olivier dans le moindre détail.

Au mois de mai, l’année dernière, on a fait une semaine de vélo avec des copains. Pour moi, c’était mon premier voyage à vélo. On a fait Paris-Le Mont-Saint-Michel [ndlr : environ 330 km]. C’était pour moi, l’occasion de découvrir ce que c’était le voyage à vélo, de le vivre sur un temps assez court. De voir ce qui pouvait se passer. Comment on vivait au quotidien, en se déplaçant tous les jours. Et puis ça m’a bien plu. Je me suis dit, j’ai envie d’essayer un peu plus, plus qu’une semaine.

Quand même, 7000 km à vélo, c’est énorme !

J’avais bien envie de faire “un trajet complet” : partir d’une limite et d’aller à une autre limite, traverser l’Europe, partir d’une mer et aller à une autre mer. C’est quelque chose qui me parle. J’ai l’impression de vraiment faire un truc complet, et de ne pas faire un bout d’un trajet, ou de m’arrêter au milieu. Au début, j’avais visé le point le plus au Sud et le point le plus au Nord de l’Europe. Dans ma tête, c’était Gibraltar qui était le point le plus au Sud. Et puis en explorant un peu ce qui s’était déjà fait, en explorant des itinéraires, en parlant avec des personnes qui avaient déjà fait ces choses-là, je suis tombé sur les itinéraires EuroVelo. Ce sont des itinéraires, aménagés ou en cours d’aménagement, qui traversent l’Europe un peu dans tous les sens. J’ai vu qu’il y en avait un qui partait du cap Nord et qui descendait plein Sud, jusqu’à Malte [ndlr : EuroVelo 7]. Je me suis dit, c’est peut-être aussi bien de suivre un itinéraire déjà tracé complètement, et puis ce qui m’intéressait c’était qu’il me faisait passer par des pays que je ne connaissais pas bien, pas forcément très loin, mais que je n’avais pas beaucoup visité. Un itinéraire qui me permettait donc de découvrir des choses nouvelles. Alors que si je passais par Gibraltar, je repassais par la France, par des coins un peu plus connus.

L’itinéraire va peut-être encore un peu évoluer. Je vais le prendre tel qu’il existe actuellement. Je ne prends pas de carte, je pars avec mon téléphone. J’ai téléchargé les cartes et j’ai le trajet GPS de l’itinéraire. Selon les pays, je vais trouver des cartes, mais c’est plus ou moins bien aménagé. Je vais surtout me baser sur le GPS, et aussi avec les petits panneaux EuroVelo. Dans les pays où c’est bien tracé, tu peux suivre les panneaux quasiment sans carte.

Finie la carte papier, la carte numérique est chargée dans le smartphone d’Olivier.

Je vais traverser dans cet ordre, la Norvège, la Finlande, la Suède, le Danemark, l’Allemagne, la République Tchèque, l’Autriche, l’Italie et Malte. Même si j’ai déjà pas mal voyagé, je connais peu la République Tchèque, l’Allemagne de l’Est. Berlin, je ne connais pas du tout. Ce sont plus des portions de pays, car la Norvège, la Suède, je suis un peu allé dans le Sud. Le fait d’aller tout au Nord, je pense que ça va être un peu différent. Je suis allé au Nord de l’Italie, à Turin, Florence, mais tout ce qui est le Sud de l’Italie, Rome, Naples, je ne connais pas du tout. Je voulais partir en n’étant pas trop loin. Dans des pays relativement proches culturellement. On n’est pas totalement dépaysé, ça rassure un petit peu. De se dire, j’essaye le voyage à vélo, mais je vais dans des lieux où je trouverais du matériel. J’arriverais à communiquer avec les gens sans trop de problèmes. C’est très facile de circuler dans ces pays. Je n’aurais pas de soucis de passeport, je sais que je pourrais passer à la frontière sans problème. Ça facilite la préparation administrative, on va dire. J’ai envie de voyager, mais il n’y a pas besoin d’aller très loin pour découvrir de nouvelles choses. Ce sont des pays relativement proches de la France, mais il y a encore plein de choses que je connais pas et ça va être l’occasion d’aller découvrir tout ça.

J’ai aussi prévu de m’arrêter dans les grandes villes, les capitales que je n’ai jamais visité : Berlin, Prague, Rome. L’idée n’est pas de faire une semaine. Plutôt faire le touriste un peu rapide, 2 ou 3 jours. Prendre le temps de faire une petite pause aussi pour récupérer. J’en ferais peut-être d’autres à d’autres moments si je suis crevé, s’il pleut beaucoup par exemple.

Comme je n’ai pas vraiment de contraintes de temps, j’ai estimé que le voyage me prendrait 4 mois, mais c’est très grossier comme estimation. Une fois que j’aurais démarré, que j’aurais fait quelques jours, semaines, j’aurais une idée un peu plus précise du nombre de kilomètres que je pourrais rouler par jour. Avec les copains, on faisait 80 km par jour en moyenne. Là, je me suis dit 70 km par jour, avec des jours où je roulerais plus et des jours où je ferais des pauses. Ça me parait raisonnable. C’est ça qui m’a donné le calcul : pour 7000 km, ça fait un peu près 100 jours. Un peu plus de 3 mois.

Comment t’es-tu préparé au voyage ?

Il a d’abord fallu que je trouve un vélo adapté que je n’avais pas. Un vélo un peu robuste, paré à rouler longtemps, avec du matériel qui tienne bien, qui soit solide. Pour ça, j’ai rencontré un ami d’ami, qui lance sa société d’assemblage de vélo. Il m’a fourni un vélo d’occasion qu’il avait. Il me l’a laissé en prêt plusieurs semaines pour que je puisse le tester, voir si j’étais bien dessus. C’est avec ce vélo-là que je pars. Il m’a modifié deux, trois petites pièces techniques pour que ça corresponde à mes besoins. Après niveau matériel, il y a tout ce qui va être utile au quotidien pendant mon voyage : la tente, le duvet, le matelas, le réchaud, la popote, les vêtements de pluie… Tout ça, je l’avais déjà en partie, mais qui n’était pas forcément adapté au voyage long terme, un peu gros, un peu lourd ou les deux. Pour la plupart, j’ai décidé de racheter du matériel plus adapté, plus compact, plus léger. Je pourrais plus facilement le rentrer dans les sacoches. Deux sacoches à l’avant, deux à l’arrière et une sur le guidon. Tout rentre.

Les sacoches rouges s’accrochent sur les barres autour des roues avant et arrière.
Le duvet ultra-compact au repos à gauche et prêt-à-ranger dans la sacoche à droite.

En mai de cette année, on a refait un peu près 1000 km pour 12 jours de vélo avec les copains, entre Lausanne et la Méditerranée (en suivant la ViaRhôna). L’occasion de tester tout le matériel, en conditions réelles. Tout allait bien, il n’y avait pas de soucis. J’ai vraiment senti que le vélo en particulier, je pouvais compter dessus. Je sentais qu’il allait être robuste, qu’il allait tenir la route.

Tu as fait le choix de ne pas prendre l’avion pour aller au cap Nord, pourquoi ?

Je n’avais pas envie de prendre l’avion, d’une part pour des raisons écologiques, parce que ça consomme beaucoup de carburant. D’autre part, je me disais que si j’y allais en avion, j’avais un peu l’impression de me faire poser au point de départ. De me plonger dans le voyage de manière un peu abrupte. Alors qu’en choisissant d’y aller en combinant d’autres moyens de transport, train, bateau et bus, ça va me prendre cinq ou six jours pour y aller. Et du coup, je vais me mettre progressivement dans l’état d’esprit du voyage. Dans la préparation, ça m’a pris un peu de temps de trouver des moyens de transport dans lesquelles je pouvais transporter mon vélo, sans avoir à tout démonter. Donc j’ai trouvé un train, puis un bateau, puis un train à nouveau, plus des bus pour finir. Après, il faut que je trouve les bons enchaînements pour que ça me prenne pas trop de temps non plus. Je peux partir un peu quand je veux. Je n’ai pas de billets. J’ai repéré les horaires, les trajets faisables, mais je n’ai pas réservé encore. À Oslo, j’aurais une journée entière là-bas. Je prends le train jusqu’au Nord de l’Allemagne.

Tu n’as trouvé personne avec qui voyager ?

J’avais envie de partir tout seul, de construire moi-même mon projet de A à Z. De pouvoir aller à mon rythme aussi, quand je pédale, quand j’ai envie de m’arrêter. J’ai vu qu’à plusieurs, y en a qui on envie de rouler beaucoup, y en a qui ont envie de profiter de s’arrêter. Ce n’est pas forcément toujours facile de se mettre d’accord à chaque fois. Sur une durée un peu plus longue, je n’avais pas envie d’expliquer chaque jour qu’est-ce qu’on fait, où est-ce qu’on va. Y aller à l’instinct.

Propos recueillis par Ludovic Chataing

Olivier est finalement parti de Grenoble le 25 juin, et a donné son premier coup de pédale le 30. L’avertY suivra à distance l’odyssée à vélo d’Olivier à travers l’Europe. Ce sera l’opportunité pour lui de transmettre ses photos, d’expliquer ce qui l’a marqué, ce qu’il a vécu dans son voyage. Une opportunité de parler Europe à moins d’un an des élections européennes, loin de l’actualité chaude et des sondages. Vous pouvez aussi suivre son blog personnel.

Le chargeur solaire, outil indispensable qui permettra à Olivier d’envoyer ses photos via son smartphone.

📣 « Au-delà des soucis de chacun, j’y sens une forme certaine de plaisir à vivre ensemble »

De Shanghai à Paris, de Paris à Grenoble et de Grenoble à Saint-Égrève, chaque ville est divisible en quartier. On habite d’abord son quartier avant sa ville. Le quartier est une extension de son domicile. On est tous « d’un quartier » — tranquille, ou bruyant, paisible ou « trop vivant ». On le vante ou on le critique. On l’aime ou, à l’extrême, on le fuit.

Ainsi, comme tout le monde, j’ai mon quartier. Et j’ai de la chance, il est plutôt sympa, mon quartier. Il a même ses sous-quartiers. Pas des quartiers moins bien, des mini-quartiers aux séparations bien claires, mais pourtant très aisément franchissables.

Je vis dans ce quartier depuis vingt ans. Il est « écolo» ! Entouré de verdure, ramifié en petits chemins plus ou moins champêtres, comme en rues très passantes, selon les sous-quartiers que je citais plus haut, mais toujours assez unis. Et même si beaucoup de familles en vingt ans ont pu bouger, il lui reste l’unité de sa structure et celle de quelques « piliers » qui en font le parfait soutènement.

De mon quartier (qui avait encore, il y a peu, son association), distrayant parce que varié dans son habitat aux populations mélangées, où s’y promener « change les idées », je reviens à ma rue, là où j’ai mon « chez moi ». Et de ce chez moi, je vois passer les autres, qui sortent de « chez eux », ou y reviennent. Devant chez moi, c’est le chemin — la rue, plutôt — qui mène le plus de gens, de chez eux à l’arrêt du tramway, au point où l’on quitte le quartier. Et de cet arrêt de tramway, on contemple le quartier à son entrée ouest. Sa gaieté urbanistique laisse l’idée qu’on aura bien du plaisir à y revenir le soir. Si ce quartier est très mélangé, il l’est aussi dans les différents âges de sa population où la jeunesse côtoie les aînés, où tous les âges de la vie cheminent dans une cohabitation sereine. Au-delà des soucis de chacun, j’y sens une forme globale certaine de plaisir à vivre ensemble, hormis les rares misanthropes, pour rester dans le vrai de vrai de la vie d’un quartier.

Pour conclure, de ce grand village qu’est mon quartier, je dirais qu’il est le quartier de la vie, auquel seul manquerait un petit marché qui en ferait un vrai village. Et si le Monde Gronde, le petit nôtre, avec ses montagnes tout autour, ne le laisse pas y faire un de ses quartiers. La paix soit du quartier.

Les chemins de RéciCourt

RéciCourt (pseudo), bibliotechnicien et jeune sexagénaire, habite dans le quartier de Rochepleine à Saint-Égrève. Il a rencontré L’avertY lors du Rendez-vous de l’image organisé chaque année par la Maison de l’Image. Après quelques échanges, il a rapidement accepté de proposer une contribution écrite. Un exercice qu’il apprécie tout particulièrement.

Cette contribution vous a parlé ? Vous a fait réfléchir ? Partagez votre réflexion ou vos remarques sur la plate-forme Discord de L’avertY pour prolonger le sujet.

Vous aussi vous pouvez envoyer votre contribution personnelle à notre journaliste à l’adresse e-mail : ludovic.chataing@laverty.fr.

📣 « Les députés suivent le mouvement oubliant qu’ils représentent leurs concitoyens »

Dominique Barberye est citoyen grenoblois. Avec plus de 25 000 messages sur Twitter, il a l’habitude des débats en ligne. C’est un des “twittos” connus de l’agglomération. Il a pensé à L’avertY pour partager son point de vue sur un amendement concernant le nutri-score, proposé à l’Assemblée Nationale par le député grenoblois Olivier Véran.

La démocratie malade des lobbies

Vous l’avez peut-être croisé sur un emballage alimentaire. Appelé aussi « système 5 couleurs », nutri-score est un code d’étiquetage classant les produits de A à E, et du vert au rouge, et établi en fonction de leur valeur nutritionnelle. L’objectif est que les consommateurs orientent leurs choix vers des produits plus sains et ainsi participer à la lutte contre les maladies cardiovasculaires, l’obésité et le diabète.

Le nutri-score est facultatif. L’industrie agroalimentaire a développé un lobbying intense auprès de l’Union Européenne pour que ce type de systèmes renforçant l’information des consommateurs ne puisse lui être imposé. Quand le gouvernement français a souhaité mettre en place le nutri-score, l’industrie agroalimentaire a combattu ce système permettant aux consommateurs d’acheter en connaissance de cause.

« Les industriels développent d’autres codes pour ne pas pénaliser leurs produits les plus désastreux »

Le lobby agro-alimentaire a donc réussi à faire en sorte qu’une telle réglementation ne soit pas obligatoire et a tenté de faire capoter la réglementation française. Mais finalement, et pour une fois, l’industrie a dû reculer et nutri-score existe. Cependant, il est toujours facultatif. Les industriels développent d’autres codes pour le concurrencer et ne pas pénaliser leurs produits les plus désastreux pour la santé de leurs clients.

Olivier Véran (ex-PS, désormais En Marche), député de l’Isère, qui a déjà porté des propositions de loi liées à l’alimentation, a souhaité étendre le domaine d’application du nutri-score à la publicité pour les produits alimentaires. Vous pouvez lire son amendement ici. Cet amendement, présenté dans le cadre de l’examen du projet de loi pour l’équilibre des relations commerciales dans le secteur agricole et alimentaire, et une alimentation saine et durable, vise à imposer aux industriels de faire figurer sur les supports publicitaires le nutri-score des produits mentionnés. La subtilité c’est que comme on n’intervient plus sur l’emballage, le nutri-score peut être obligatoire, et non plus facultatif.

« Dans le nouveau monde, c’est comme dans l’ancien, tout s’achète »

Olivier Véran, qui n’est quand-même pas un révolutionnaire, propose que les industriels qui voudraient échapper à cette obligation pourront payer 5% du coût de la publicité. Pour traduire, si un industriel vend un produit vraiment très mauvais pour la santé et qu’il ne veut pas que ça se voit, il paie et les consommateurs n’en sauront rien. Aussi incroyable que cela puisse paraître, un député qui prétend s’inquiéter de la santé de ses concitoyens a eu l’idée de prévoir une dérogation par l’argent à une mesure de santé publique… Dans le nouveau monde, c’est comme dans l’ancien, tout s’achète, même le droit d’empoisonner ses clients. Malgré ce dernier point consternant, Olivier Véran était tout content de sa proposition et a fait le tour des médias (Le Parisien, BFM TV).

« Olivier Véran n’ose pas le dire mais l’argument du ministre est absolument nul »

Le 19 avril, l’amendement a été discuté devant la Commission des affaires économiques de l’Assemblée Nationale. La retranscription des débats est édifiante. Après qu’Olivier Véran a rappelé l’objet de son amendement, Jean-Baptiste Moreau (le rapporteur de la loi) puis Stéphane Travert (ministre de l’agriculture et de l’alimentation) prennent la parole pour combattre cet amendement. Le premier se retranche derrière l’avis des services du ministère en invoquant le risque que « la démarche d’expérimentation [du nutri-score] puisse être contrariée par l’obligation » proposée par Olivier Véran. Le second indique que « voter ces amendements reviendrait à faire « tomber » tout le nutri-Score. Le rapporteur et le ministre demandent au député de retirer son amendement et de le retravailler avec le gouvernement. Olivier Véran n’obtempère pas et précise : « Vous anticipez même, monsieur le ministre, la possibilité d’une sanction de la Cour de Justice de l’Union Européenne (CJUE) qui irait jusqu’à empêcher — vous avez dit que l’adoption de l’amendement ferait « tomber » tout nutri-score — des marques d’apposer volontairement un logo sur leurs emballages. […] L’Europe nous a empêchés de modifier le packaging des produits alimentaires mais l’Europe ne dit rien concernant le droit de la publicité et encore moins en matière de santé publique. […] Le passage par la publicité qui, encore une fois, est conforme au droit européen, contrairement à la régulation de l’emballage, permet précisément d’aller de l’avant en matière de santé publique. » Olivier Véran n’ose pas le dire mais l’argument du ministre est absolument nul. Les lobbies ont obtenu de l’Union Européenne que le nutri-score ne soit pas obligatoire sur les emballages, mais la question du nutri-score dans la publicité n’est absolument pas tranchée. Le ministre ne changera pas d’avis : « Intégrer le nutri-score dans la publicité, comme le prévoit l’amendement, le rend de fait obligatoire alors, je le répète, que nous souhaitons nous en tenir à une démarche volontaire. »

« l’industrie agroalimentaire est à l’œuvre en coulisse et parle par la bouche du ministre »

Dans cette dernière phrase, on peut légitimement se poser la question. Qui est ce « nous » qui souhaite s’en tenir à une démarche volontaire ? Qui a donc soufflé au ministre cet argument idiot de la mise en péril du nutri-score facultatif sur les emballages s’il devenait obligatoire dans la publicité ? Clairement, encore une fois l’industrie agroalimentaire est à l’œuvre en coulisse et parle par la bouche du ministre. Point de complotisme ici. Le combat permanent et avoué de l’industrie agroalimentaire contre toutes les mesures contraignantes permettant une meilleure information des consommateurs, combiné à l’histoire du nutri-score, démontrent que se joue ici une nouvelle bataille d’une guerre déjà longue. Pour que le récit soit complet, précisons que Olivier Véran a maintenu son amendement et qu’il a été rejeté par les députés LREM… Cette fois, pas de conférence de presse. Le seul média qui a couvert l’info de manière un peu développée est placegrenet.fr.

« Ce dossier est symptomatique du pouvoir des lobbies dans le processus législatif »

L’amendement aura encore sa chance en séance publique et ça se passe cette semaine. Nul doute que depuis le passage en Commission, bien des députés ont reçu un bel argumentaire leur expliquant qu’imposer le nutri-score dans la publicité ce serait prendre le risque de voir tout le dispositif sanctionné par l’Union Européenne et que ce serait bien dommage… Mieux, un autre lobby s’est mis en action. Le Canard enchainé a, en effet, révélé que les patrons de chaînes de télé ont écrit au gouvernement pour s’opposer à cet amendement. Ils disent craindre une baisse conséquente de leurs recettes publicitaires si le logo indiquant les produits alimentaires les plus nocifs venait à être imposé à la télé. Les recettes publicitaires sont plus importantes que la santé des Français. Ce dossier est symptomatique du pouvoir des lobbies dans le processus législatif. Les lobbies ont portes ouvertes dans les ministères et à la Commission européenne et échangent quotidiennement avec les services. Les députés sont abreuvés de courriers, notes, rapports émanant d’organismes en tous genres, les « informant » des enjeux des lois qu’ils vont voter.

https://youtu.be/S58vs2dsRXw

Face à des sujets parfois complexes, les députés sont démunis et suivent le mouvement… oubliant qu’ils représentent leurs concitoyens et que défendre leurs intérêts est leur mission. Il faudra suivre avec attention la suite des aventures d’Olivier Véran au pays du lobby agroalimentaire et désormais du lobby audiovisuel. Le député développe cependant une stratégie plutôt maline. Il médiatise son combat ce qui évite un enterrement en catimini. Il a également réussi à convaincre quelques dizaines de députés LREM de cosigner son amendement avant le passage en séance publique. Il a donc réussi à ouvrir un front au sein même de son groupe parlementaire ce qui est essentiel dans la mesure où les députés LREM sont priés de voter comme un seul homme une fois que le groupe a décidé d’une position. Seule une stratégie hyper agressive comme celle-ci peut venir à bout du travail de sape des lobbies.

Si l’amendement est finalement voté, il ne faudra pas oublier qu’il a prévu une porte de sortie pour les industriels sous la forme d’une pénalité symbolique de 5% du coût de la publicité… Ce point pourrait être le truc malin pour faire passer cette mesure symbolique et sûrement populaire tout en prenant le risque de sa non-application dans les faits…

Dominique Barberye

Cette contribution vous a parlé ? Vous a fait réfléchir ? Partagez votre réflexion ou vos remarques sur la plate-forme Discord de L’avertY pour prolonger le sujet.

Vous aussi vous pouvez envoyer votre contribution personnelle à notre journaliste à l’adresse e-mail : ludovic.chataing@laverty.fr.