Balance ton bar : nouvelle vague de témoignages

Sujet élu le 2 décembre avec 63% des votes | rejoindre les 89 abonné·e·s

Quatre ans après l’effervescence des hashtags #MeToo et #BalanceTonPorc🔗 sur Twitter, c’est au tour de comptes “Balance ton bar” de fleurir sur Instagram. Ce mouvement apparu mi-octobre à Bruxelles🔗 souhaite libérer la parole en publiant des témoignages anonymes de femmes victimes de viols et agressions sexuelles, spécifiquement dans le monde de la nuit. Cette initiative a trouvé un écho localement avec la création d’une nouvelle page “Balance ton bar Grenoble”, obligeant les gérant·e·s à réfléchir à de meilleurs accompagnements de leur clientèle féminine.

Illustration Alice Quistrebert pour L’avertY.

Qu’ils soient récents ou datant de plusieurs années, la trentaine de témoignages locaux font froid dans le dos. Diffusés sous couvert d’anonymat, ils racontent grâce à une succession de panneaux le déroulé d’une soirée anormale, avec le nom du lieu bien visible en titre. Incriminant parfois les videurs, parfois les serveurs, les récits détaillés des victimes font état de leurs vomissements, trous noirs inhabituels, laissant penser à la prise de drogue à leur insu. Principal suspect, l’acide gammahydroxybutyrique, drogue de synthèse🔗 plus connue sous l’appellation GHB. Difficile à différencier d’un état d’ébriété avancé et rapidement dissoute par l’organisme, son injection est invisible dans des verres d’alcool. Elle peut être mortelle à haute dose.

Cliquez sur l’image pour lire la suite du témoignage sur Instagram © Balance_ton_bar_grenoble

Une autre femme raconte sa soirée démarrée au bar pour finalement se retrouver nue dans l’appartement d’un inconnu🔗 à Grenoble après un trou noir. Malgré un dépôt de plainte par la suite, on lui répond que l’enquête est abandonnée et qu’il « va falloir arrêter de courir à la police dès que vous rentrez avec un garçon qui vous plaît pas, sinon on ne va pas s’en sortir nous ».

Les témoignages publiés sur le compte grenoblois concernent principalement des lieux dansants mais aussi des bars plus classiques où les client·e·s viennent simplement boire un verre. Tous n’impliquent pas des violences sexuelles ou des viols. On peut lire le témoignage d’une ancienne employée du Tonneau de Diogène qui s’est faite agresser par son manager, et qui a par la suite perdu son emploi. Il y a aussi au bar Le Champollion des observations faites par une mère de 40 ans au sujet d’un employé qui « fait boire plus que de raisons de très jeunes filles ». Ou encore au bar brasserie Chez Maksim où le barman demande à la cliente de lui « lécher la joue » pour être servie avant de l’insulter de salope devant les clients face à son refus.

Illustration Alice Quistrebert pour L’avertY.

L’anonymat pour libérer la parole

Contactée par la rédaction, l’administratrice de la page Instagram qualifie les personnes qui témoignent de « survivantes ». Elle explique que les témoignages ne sont pas forcément vérifiés : « Mon rôle n’est pas d’être une enquêtrice, donc je ne trie pas vraiment, je vais simplement anonymiser mais je n’estime pas si tel ou tel témoignage vaut la peine d’être publié ou non. Beaucoup de témoignages n’étaient pas en rapport avec Balance ton bar qui a une visée assez claire, cela concerne les violences faites aux personnes dans le milieu de la nuit notamment avec les soumissions chimiques dans des établissements définis. Malheureusement on ne peut pas publier ce qui s’est passé dans telle rue, en rentrant du bar ; il existe d’autres plateformes pour cela et c’est tant mieux. »

L’administratrice anonyme s’est également confiée au média Place Gre’net🔗. Se définissant comme une « militante féministe » elle indique avoir « voulu surfer sur ce mouvement venu de Bruxelles, car, ici aussi, il y avait une forte demande de pouvoir témoigner ».

Cliquez sur l’image pour lire la suite du témoignage sur Instagram © Balance_ton_bar_grenoble

Côté gérant, l’anonymat est aussi de mise pour témoigner sur ce sujet sensible. Comme pour ce témoignage où cette fois-ci il n’y avait pas de GHB, preuve à l’appui : « Une jeune fille est venue nous trouver pensant avoir été droguée dans notre bar. Par chance nos caméras la filment toute la soirée. Elle et ses amis ont bu sept bouteilles d’alcool fort et il s’avère qu’elle a bu dix-sept verres. Elle s’est retrouvée à l’hôpital et a cru avoir été droguée. Si cette personne n’était pas venue nous voir, cela aurait créé des catastrophes sur les réseaux sociaux. »

Les réactions des gérant·e·s

Explicitement accusés d’être complices de ce qui se passe dans leur établissement, des responsables ont tenté de répondre au mouvement, parfois maladroitement. La boîte de nuit Lamartine, proche de la place Victor Hugo a répondu directement en commentaire🔗 sur Instagram suite à plusieurs témoignages, sans convaincre. La Bobine, bar associatif également cité pour un serveur “sexiste et violent”🔗 resté en poste plusieurs mois après les faits, a décidé de répondre par un communiqué de presse le 23 novembre sur son site🔗. S’en est suivi une réponse collective de “quatre des victimes connues de l’agresseur” dans une lettre ouverte mi-décembre, que L’avertY republie en intégralité dans une contribution citoyenne à lire ici🔗.

Pour Irena Chelihi, gérante du Barberousse de Grenoble depuis environ 5 ans, il n’y a pas de fatalité face à ces témoignages. Elle souhaite travailler avec le mouvement Balance ton bar.

« Je ne veux pas, comme c’est la tendance actuellement, qu’on oppose les bars et le mouvement féministe. Je travaille au Barberousse depuis une quinzaine d’années, je suis une féministe convaincue. Je me suis imposée dans un milieu très masculin et les réflexions sexistes tombent tous les jours, je sais ce que c’est. » — Irena Chelihi, gérante du Barberousse Grenoble.

« Mais ce mouvement ne peut pas tout se permettre sous prétexte de vouloir faire avancer les choses », nuance-t-elle. « Derrière, il y a des professionnels avec un permis d’exploitation. Dans notre bar, nous avons 9 caméras sur 37m², nos videurs les guettent, moi également. J’ai, depuis ce mouvement, mis en place une campagne de communication, acheté des protections de verres. Cependant, les clients nous affirment se sentir en sécurité chez nous. Depuis dix ans la politique menée ici est la même : zéro tolérance sur les drogues, un ramassage des verres toutes les dix minutes par les serveurs, qui vérifient au passage si tout le monde va bien. »

Cliquez sur l’image pour lire la suite du témoignage sur Instagram © Balance_ton_bar_grenoble

La Bobine propose aussi désormais des protège-verres et s’inscrit aux Assises de la nuit 2022, organisées par la Ville de Grenoble en réponse à Balance ton bar (voir en fin d’article). L’association a également fait appel à une accompagnatrice de violences sexuelles et sexistes (VSS) afin que le personnel soit formé sur les VSS et qu’une parole se libère entre employé·e·s et bénévoles après les accusations formulées.

Faire face après le choc des révélations

Irena Chelihi avoue cependant avoir été abasourdie par les témoignages. Elle s’est rapprochée d’associations luttant contre les violences sexistes et sexuelles afin de travailler main dans la main : « Je veux créer quelque chose de positif à partir de ce mouvement. Je souhaiterais par exemple regrouper, dans un collectif, les membres de la nuit grenobloise et les associations. Il ne faut pas qu’il y ait d’opposition mais un travail commun. » Elle ajoute : « Ce que nous cherchons dans nos établissements c’est cultiver la convivialité, le partage, la proximité. Nous souhaitons que nos clients passent un bon moment mais nous ne vivons pas dans un monde de bisounours c’est pourquoi la prise de conscience doit être globale. »

Un autre gérant d’un établissement épinglé (qui souhaite rester anonyme) se dit “choqué, voire horrifié” suite à la lecture des témoignages de Balance ton bar Grenoble. “Tu entends toujours des trucs, même avant que je bosse en bar, mais tu as du mal à y croire. Et en fait si, ça existe.” Il aurait souhaité “pouvoir s’excuser” auprès des victimes, “au nom de l’établissement”. “Mal renseigné”, il a ensuite contacté la mairie pour en savoir plus sur le GHB et ses effets.

Cliquez sur l’image pour lire la suite du témoignage sur Instagram © Balance_ton_bar_grenoble

La réaction de la ville de Grenoble

Pour répondre à ce mouvement, la Ville de Grenoble a réagi par communiqué mi-novembre et a décidé de renforcer son volet dédié aux femmes dans son programme des “Assises de la nuit” prévues ce premier trimestre 2022, bientôt renommées “Grenoble la nuit”, « afin de bâtir, avec les associations, les usagers et usagères, les réponses adaptées à la vie nocturne. » La phase de diagnostic a été lancée avec « les associations🔗, collectifs féministes et organisateurs de soirée ». Elle sera suivie d’une restitution auprès du public à laquelle seront conviés plus largement les grenoblois·es afin d’établir un “plan de la nuit”. Cette date de restitution n’est pas encore programmée.

Jusqu’ici, des associations sollicitées par la ville de Grenoble proposaient durant la dernière édition de “l’Été Oh ! Parc” des ateliers d’autodéfense dédiés aux femmes. Et depuis 2021, « les policières et policiers municipaux suivent, à leur demande, un cursus supplémentaire » en lien avec les violences sexuelles et sexistes « en plus du socle de formation obligatoire » afin d’accompagner au mieux les victimes.

Le maire, Éric Piolle, a également interpellé dans une lettre ouverte le chef de l’État pour aller plus loin sur ces questions, formulant constats et propositions🔗. Sans attendre que ce thème soit pris à bras le corps par les politiques nationales, les réseaux sociaux continuent d’accueillir et de porter la parole libérée de milliers d’anonymes.

Reportage réalisé par la rédaction de L’avertY
Illustrations Alice Quistrebert

La rédaction de L’avertY au premier trimestre de la saison 2021-2022.

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Espaces sportifs : où sont les femmes ?

Sujet élu le 2 novembre avec 41% des votes | rejoindre les 95 abonné·e·s

Selon une enquête réalisée à Genève en 2016🔗, les équipements sportifs et les pratiques sportives subventionnées sont majoritairement préemptés par les hommes. Nous avons voulu vérifier si tel était le cas à Grenoble.

« Un jeudi midi à la mi-novembre : le skate-park et le terrain de basket attenants à la Maison des Associations, rue Berthe de Boissieux, sont déserts. Je sors ma palette d’aquarelle pour commencer à croquer les lieux — le froid invite à faire vite. Au bout d’un moment, un premier, puis deux, puis trois adolescents — des garçons — commencent à investir le terrain de basket. Je les glisse sur ma feuille. » — Alice Quistrebert.

En ce mercredi après-midi de novembre où souffle un vent glacial, peu de monde au skatepark de la Caserne de Bonne : une, deux, trois, quatre, cinq, six planches à peine roulent sur le béton des structures. Pour compter les trottinettes, une seule main suffit : elles sont trois. Quant au nombre de filles qui sont dessus, les poings peuvent rester au chaud dans les poches : zéro. Aucune. Un exemple caricatural ? Peut-être bien. Marginal ? Peut-être pas. Le même décompte une demi-heure plus tard donnera le même résultat. De même que sur le terrain de basket à proximité. Ou au skatepark de la Bifurk ce même jour.

Nous sommes bien au skatepark de la Caserne de Bonne, en plein centre-ville de Grenoble.

Conscient du manque de mixité, l’association du Skatepark de Grenoble implantée à la Bifurk a ainsi instauré la gratuité des sessions pour les filles, tandis que celles-ci coûtent 5 euros chacune pour les garçons. « Elles doivent quand même être adhérentes et payer dix euros à l’année », précise Yoan Delassus, éducateur sportif, interrogé quelques jours plus tard par téléphone. « Nous avons mis ça en place il y a quelques années, car sur mille adhérents, il n’y avait qu’une vingtaine de filles. Y a aussi plusieurs autres actions comme par exemple des créneaux réservés le dimanche. »

Aujourd’hui, les adhérentes représentent 10 à 15% des membres de l’association. Comme Louella Cuvelier, skateuse de 15 ans : « Je fais du skate depuis toute petite. Ce que j’adore dans ce sport, c’est sa vision de la vie, assez différente. Par exemple, quand les gens voient un trottoir, nous on voit un “gap”. Mais c’est vrai qu’il n’y a pas souvent des filles », reconnaît-elle. « Ce serait cool qu’il y en ait plus. Elles ont souvent peur de se lancer. Le skate, c’est un défi que tu te lances à toi-même. Peut-être parce qu’elles se sentent inférieures. Ou parce qu’elles voient qu’il n’y a que des garçons. » Sont-elles mal accueillies ? « Non franchement, c’est tout le contraire. Quand je suis passé en contest🔗 le mois dernier, j’étais un peu fatiguée et je n’arrivais à rien. Et malgré ça, y avait tout le monde qui m’encourageait. »

Des créneaux réservés aux femmes

Le manque de mixité dans le sport et sur les équipements sportifs n’est pas l’apanage du skate : l’enquête réalisée à Genève en 2016 montre que les équipements sportifs sont majoritairement investis par les hommes et que ceux-ci préemptent aussi les activités subventionnées🔗. Pour lutter contre ce constat général, des actions sont menées par la Ville de Grenoble notamment au travers de son service Sport et quartiers. Celui-ci organisait le mercredi 17 novembre dans le Parc Georges Pompidou, à quelques centaines de mètres de la Bifurk, pour “mercredi c’est sport”, des ateliers pour les MJC avec ballons, raquettes, ring gonflable et gants de boxe… Chaque semaine, un parc différent de la ville voit ainsi passer entre une cinquantaine et une centaine d’enfants. « Ici, c’est 50–50 », analyse Cécile, animatrice en charge de la boxe, un sport qui compte pourtant 71% de licenciés hommes🔗. « Il y a autant de garçons que de filles. Tous les sports que nous proposons sont mixtes. »

Si l’initiative auprès des plus jeunes est louable, la pratique a toutefois tendance à se masculiniser avec l’âge🔗. « C’est vrai qu’après, dans les quartiers, il y a plus de gars, surtout pour le foot », constate son collègue Mahrez. « Y a quand même quelques filles. Mais il faut que ce soient des tueuses pour oser aller jouer avec les garçons. » Là encore, les pouvoirs publics peuvent influer : avec des créneaux 100% féminins, par exemple. « Franchement, il y a pas mal de choses aujourd’hui pour les filles dans les quartiers », poursuit Mahrez. « Elles peuvent se faire 3–4 sessions par semaine, entre le foot, la muscu, le cardio🔗. Avant, quand j’étais plus jeune, il n’y avait pas tout ça. » Autre initiative marquante : l’équipe municipale de foot féminin créée en 2015, “une première en France” selon le site de la Ville🔗.

Sur le site de la Ville de Grenoble, l’illustration pour la page “terrains multisports” ne met pas franchement la pratique féminine à l’honneur (capture d’écran, DR pour la photo).

La volonté politique de faire progresser la pratique féminine est ainsi affichée au plus haut. « Nous voulons arriver à toucher plus de femmes pour qu’elles pratiquent des activités physiques », assure Céline Mennetrier, adjointe déléguée aux Sports de la Ville de Grenoble. « Car les femmes, même celles qui travaillent, consacrent plus de temps aux tâches ménagères que les hommes, et moins de temps pour faire du sport. » Les derniers chiffres de l’Insee (datant de 2010🔗) sont à ce titre éloquents : malgré une très légère réduction des différences depuis 1999, 3h30 sont consacrées par jour au travaux domestiques pour seulement 7 minutes de sport côté féminin contre respectivement 2h et 14 minutes, côté masculin.

Pour rééquilibrer la balance, la municipalité a fait notamment le choix de réserver certains créneaux aux femmes exclusivement. « Hommes et femmes ne sont pas sur un pied d’égalité », défend Chloé Le Bret, conseillère municipale déléguée à l’égalité des droits. « Si on veut arriver à la mixité, alors on est obligé de faire un peu d’exclusif pour pouvoir arriver à de l’inclusif. En faisant en sorte que les femmes se saisissent de ces créneaux, on va permettre d’avoir une pratique en mixité. »

« Les femmes sont absentes des terrains pour des questions d’horaires, de contraintes, mais aussi parce que c’est toujours hyper dur pour une femme d’aller dans des espaces sportifs. Parce qu’il y a le regard de l’autre, le regard masculin. C’est pourquoi nous avons fait le choix pour l’instant de cette exclusivité. […] Le sport est un outil d’émancipation, un outil collectif qui va aussi permettre de se retrouver entre femmes. » — Chloé Le Bret, conseillère municipale déléguée à l’égalité des droits.

D’autres dispositifs sont également mis en place dans ce sens : comme la pratique “maman enfant” qui offre la possibilité aux mères de faire du sport sans avoir le souci de la garde de leur(s) bambin(s). Ou tout simplement des horaires étendus pour la pratique sportive avec, par exemple, des piscines municipales ouvrant à partir de 7h et jusqu’à 21h40.

Promouvoir les modèles féminins dans le sport

En outre, les acteurs du monde sportif local sont mis à contribution : renouvelées le 12 juillet dernier🔗, les conventions signées avec les clubs professionnels (Brûleurs de loups, Grenoble foot 38 et le FC Grenoble rugby) incluent la promotion des pratiques féminines à la fois dans les activités sportives mais aussi dans l’encadrement administratif. Les subventions accordées aux structures peuvent aussi être un levier puissant.

« Pour les clubs amateurs, la subvention est accordée à 30% au projet et à 70% sur des critères mathématiques, dont la part de pratique féminine », indique Céline Mennetrier. « Cela doit devenir pour tous un objectif », abonde Chloé Le Bret. « Le changement de mentalité vient doucement, et clairement, nous pouvons jouer dessus. » D’où la volonté aussi de promouvoir les sports “alternatifs” comme l’Ultimate🔗, sorte de gagne-terrain avec un frisbee qui se joue en équipe et de manière mixte.

Extrait de la délibération n°21 adoptée au cours du conseil municipal de Grenoble du 12 juillet 2021.

Enfin, la pratique passe par une médiatisation des modèles féminins de sportives. La halle de tennis de Grenoble🔗 qui n’avait pas de nom jusqu’à présent devrait ainsi prendre prochainement celui d’Alice Milliat, pionnière du sport au féminin🔗. Et de nouveaux événements sportifs internationaux, comme le match France-Italie en rugby le 27 mars, dans le cadre du tournoi des six nations🔗, devraient se jouer au stade des Alpes. Rappelons qu’en 2019, il avait accueilli cinq matchs de la coupe du monde féminine de football, dont un quart de finale. « Ça avait clairement eu un effet dans la pratique ! », se souvient Mahrez au service Sport et quartiers.

Pour aller plus loin sur ce thème, deux épisodes du podcast “Les Couilles sur la table”:
Pourquoi le sport reste encore un truc de mecs🔗
Des villes viriles🔗

Reportage et photographies Florian Espalieu
Illustration Alice Quistrebert
Graphiques Ludovic Chataing

De gauche à droite, Alice Quistrebert (illustratrice), Florian Espalieu (journaliste), Ludovic Chataing (fondateur).

La petite équipe rédactionnelle de L’avertY est constituée pour ce premier trimestre de la saison 4 du journaliste Florian Espalieu🔗, déjà familier des mensuels sur le média. Ses reportages de terrain sont accompagnés par des illustrations à l’aquarelle d’Alice Quistrebert (aka Alice Raconte🔗). Ludovic Chataing🔗 complète la rédaction en tant que fondateur du média, web-journaliste de formation, en charge de l’édition et de la diffusion.

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Accueil des « gens du voyage » : il est temps de changer d’aires

Sujet élu le 2 octobre avec 44% des votes | rejoindre les 98 abonné·e·s

Les « aires » pour les « gens du voyage » n’ont généralement « d’accueil » que le nom. Qu’en est-il dans l’agglomération grenobloise ? Reportage sur celle du Rondeau qui a ouvert l’été dernier.

« Ce beau matin d’automne, il fait un froid sec. Entre les caravanes l’air sent bon la lessive de linge propre. Je m’installe pour dessiner et je suis immédiatement frappée par le bruit : les voitures de la rocade, les engins du chantier qui se trouve juste derrière l’aire, le grondement du train qui fait trembler le sol quand il passe et… les aboiements de Noisette, une vieille chienne enrouée, visiblement pas contente que je m’assoie sur “son” bout de pelouse. » – Alice Quistrebert

L’emplacement est assez peu hospitalier. Pas facile à trouver non plus, puisque coincé dans un triangle🔗 formé par les quatre voies du cours de la Libération, les rails de trains et la rocade au Sud. Pour faire échos aux panneaux jaunes des travaux du Rondeau, quelques lettres de cette même couleur sur un mur en béton matérialisent le lieu : Aire d’accueil gens du voyage. Passées les grilles et le préfabriqué à l’entrée, une trentaine de caravanes blanches sont disposées en grappes sur le goudron bien noir datant de juillet dernier. Les murs en béton gris qui délimitent l’espace sont aussi totalement neufs. Leur hauteur d’une paire de mètres de haut peine à stopper le bruit incessant qui vient de tous côtés.

Un mur gris de deux mètres et un bandeau jaune, vous êtes à l’entrée de l’aire du Rondeau.

Les Voyageurs goûtent en général peu le terme administratif de « Gens du voyage » qui leur est attribué. Une dénomination qui fait sourire Mandy, 35 ans, arrivée au Rondeau avec sa famille deux semaines auparavant et qui doit repartir dans les prochains jours : « On nous appelle partout comme ça, alors on l’utilise aussi parfois. » Derrière l’étiquette générique se cache pourtant une constellation de communautés : Kalés, Gitans, Sintés, Roms, Yéniches ou autres populations ainsi nommées en raison de leur mode de vie itinérant. Bien que “Gadjo”, nom donné par les Voyageurs aux « gens du sur place », pour reprendre le bon mot de William Acker dans le livre « Où sont les “gens du voyage ?”🔗 » (Editions du commun, 2021), je m’efforcerai ici de limiter les qualificatifs administratifs à leur périmètre : les dénominations officielles. Dans les autres cas, le terme “Voyageurs” sera préféré.

De telles considérations n’empêchent pas la demi-douzaine d’enfants un peu plus loin de s’amuser avec un ballon de foot sur l’asphalte du Rondeau, comme imperméables au brouhaha ambiant. « Nous sommes habitués », répond en haussant les épaules Jérôme, 44 ans, dont la caravane se situe à quelques mètres. « Les terrains où on nous envoie sont toujours à côté des autoroutes, de chemins de fer ou de déchetteries. » Pour autant, le quadragénaire apprécie les aménagements du site.

« C’est propre. Nous avons des cabinets et des douches pour chaque parcelle. Il y a même des arbres : c’est très bien, c’est rare. Après, c’est sûr que c’est une aire pour l’hiver, pas pour l’été. Là, avec le bitume, on cuit. » – Jérôme, résident à l’aire du Rondeau.

Lui et sa famille sont venus il y a quelques semaines et resteront un peu plus d’un mois. L’aire du Rondeau est dite “permanente”, mais le séjour ne peut y excéder trois mois : les occupants payent l’eau et l’électricité, auquel s’ajoute un tarif journalier de 2,5 euros par emplacement pendant les 70 premiers jours, qui passe à 5 euros pendant les 30 suivants. En outre, un délai de trois mois est exigé entre chaque passage.

L’aire du Rondeau se situe entre deux lignes de chemin de fer et la Rocade.

De tels lieux sont généralement confiés par les collectivités à des prestataires privés, non sans certains abus comme le révélait Libération en 2013🔗 ou Mediapart au printemps dernier🔗. Deux enquêtes qui ne citent pas l’entreprise ACGV services, en charge des aires de l’agglomération grenobloise et de « plus de 140 terrains dédiés à l’accueil des Gens du Voyage pour une trentaine de clients répartis sur le territoire national » selon son site. Le chiffre d’affaires de la société s’élève à presque 5 millions d’euros en 2019🔗. Toujours en 2019, la Métropole lui verse près de 740 000 euros🔗 pour la gestion des deux aires d’accueil dites “permanentes” de Grenoble Esmonin (44 places) et de Vizille (25 places), mais aussi pour 29 terrains dits “sédentaires” (près de 200 places). Cette somme représente une partie majeure du budget de la Métro alloué à l’accueil des Gens du voyage. L’enveloppe totale, proche du million d’euros, représente une très faible partie des 429,5 millions d’euros de fonctionnement de la Métro (dont le budget total s’élève à 786,5 millions d’euros). L’investissement dans de nouvelles aires fait aussi partie de ses attributions : aujourd’hui, l’agglomération grenobloise compte 3 aires d’accueil “permanentes” (avec celle du Rondeau et ses 32 places créées l’été dernier), 31 terrains “sédentaires” et 4 dits “provisoires”.

« C’est une mission qui n’est pas simple », reconnaît Dominique Scheiblin, conseillère municipale d’Eybens et “déléguée aux gens du voyageà la Métro depuis 2020. « Ce sont quatre personnes qui travaillent à temps plein et qui sont rattachées à la politique de l’habitat, mais le service est également très lié avec le foncier et l’économique. » Pour les 19 communes de plus de 5000 habitants, contraintes par la loi Besson du 5 juillet 2000 de prévoir des emplacements pour les Voyageurs, l’intercommunalité a l’obligation de mettre à disposition des aires d’accueil. « Nous sommes désormais en règle sur ce point », assure l’élue.

« Notre priorité est maintenant de reloger les personnes situées sur des secteurs à risques naturels comme aux Vouillants à Seyssinet, ou à Domène où elles sont en zone inondable. Ce sont des protocoles extrêmement lourds à mettre en place. Et cela représente près de la moitié des terrains de sédentarisation. » – Dominique Scheiblin, conseillère métropolitaine déléguée aux gens du voyage.

L’aire de grand passage se fait attendre

À l’entrée du terrain du Fontanil-Cornillon, le panneau de l’enquête publique… datant d’octobre 2017. La livraison n’est pas prévue avant 2023.

Un autre chantier à prévoir est celui de l’aire de grand passage : cette obligation légale n’est pour l’heure pas respectée par la Métro. Le terrain identifié pour accueillir jusqu’à 200 caravanes sur des courtes durées (une à deux semaines), notamment pour les pèlerinages pendant l’été, est situé à cheval sur les communes du Fontanil-Cornillon et de Saint-Égrève, et à quelques mètres de l’autoroute. Dans le « Schéma départemental d’accueil et d’habitat des gens du voyage🔗 » établi en 2018 et qui se projette jusqu’en 2024, il était question de “l’horizon 2019”, sauf que… « Le terrain est actuellement occupé par des carriers : ils n’acceptent de bouger que si on leur donne un autre terrain », rapporte Dominique Scheiblin. « En 2022, l’aire ne sera pas encore livrée. Nous espérons que ce sera bon pour 2023. »

« Ça fait cinq ans que ça dure et ça ne se fera jamais car elle est très mal placée, entre l’autoroute et l’Isère », tempête Milo Delage, citoyen itinérant et membre de la commission départementale et nationale. « Nous avons toujours les mêmes discours. Dans le concret, ça n’avance pas. En novembre, nous allons encore voir le préfet et ce sera encore le même blabla. »

Pour l’heure, le terrain pressenti pour accueillir l’aire de grand passage est utilisée par des carriers.

Si le représentant des Voyageurs s’emporte, c’est parce qu’il juge la situation « catastrophique » sur l’Isère, pour dépasser les frontières de l’agglomération grenobloise.

« Neuf aires étaient prévues il y a douze ans. À peine la moitié existent actuellement : celle de Moirans n’est pas faite de façon pérenne, celle de Beaucroissant est à l’abandon, celle de La Verpillière se situe à côté d’une déchetterie… » – Milo Delage, citoyen itinérant.

Pour être complet, il faut ajouter celles de Villefontaine et de Crolles, aux tailles largement insuffisantes🔗. En conséquence, les stationnements illicites se multiplient : « Depuis 2 ans, le préfet ne fait plus de mise en demeure, plus d’expulsion car les communes ne sont pas en règle. Mais cela monte les sédentaires contre nous. C’est politique cette histoire. » D’autres départements jouent effectivement mieux le jeu : « Dans les Alpes, la Savoie est le bon élève avec trois aires de grand passage à Chambéry, Albertville et Aix-les-Bains, et celle d’Albertville est exemplaire. »

Face aux discriminations

Au-delà du combat pour simplement faire respecter la réglementation existante, d’autres Voyageurs pointent l’aspect systémique des discriminations qui sont exercées contre eux. Ainsi, après l’incendie de l’usine Lubrizol de Rouen, à côté de laquelle se situait le camp de Petit Quevilly, le juriste William Acker a commencé à recenser l’ensemble des emplacements sur le territoire national et les nuisances à proximité. Bilan : sur 1355 lieux, seuls 257 ne sont ni isolés, ni pollués, 546 sont soit l’un soit l’autre, 509 sont les deux à la fois et 43 se situent même à proximité d’un site Seveso🔗. Il en a sorti en avril dernier un inventaire critique des aires d’accueil. La base de données en étant issue a été mise en ligne sous forme de carte interactive🔗 par Philippe Rivière.

Découvrez les sites isérois qui y sont référencés grâce à la carte ci-dessous.

Pour Nara Ritz, coordinateur de l’observatoire des droits des citoyens itinérants (ODCI), il est temps de « changer de narratif » : « Une aire, c’est joli comme nom, mais nos aires d’accueil n’ont rien d’accueillant ! Au Rondeau, le cabinet d’architecte se targue d’avoir fait quelque chose de bien, mais il y a des murs de partout : c’est ce que j’appelle un urbanisme répressif. Ce ne sont pas des aires d’accueil, mais des camps. […] Si les gens lambdas — les gadjés — voient de la saleté, trouvent que c’est dégueulasse, c’est parce que l’on ne prend pas le temps de leur expliquer qu’on ne s’occupe pas de nos poubelles. »

En septembre, l’ODCI a sorti un rapport intitulé « L’exclusion sans fin, le droit au logement des Voyageurs🔗 » avec cinq recommandations :

  1. « Adopter des mesures facilitant le mode de vie itinérant ».
  2. Garantir le droit au logement des habitants de résidences mobiles.
  3. En finir avec la criminalisation des Voyageur·euse·s.
  4. Assurer un meilleur accès au droit commun (droits économiques, sociaux et culturels).
  5. Rendre effectif le droit à la participation des Voyageur·euse·s.

Celles-ci ont été en partie reprises en octobre dans un autre rapport, celui de la Défenseure des droits🔗 : « “Gens du voyage” : lever les entraves aux droits ».

« Pourtant, quand les choses sont faites intelligemment, avec les gens, ça se passe bien », poursuit Nara Ritz. « Mais je ne peux pas vous dire où… Les maires n’ont pas d’intérêt à ce que ça se sache. Sinon, tout le monde leur tombe dessus : leurs électeurs car 80 % des gens sont contre les Voyageurs, les élus des communes voisines qui pâtissent de la comparaison, et les Voyageurs aussi car cela fait un appel d’air et les emplacements sont toujours pleins. »

Reportage, carte interactive et photographies Florian Espalieu
Illustration Alice Quistrebert

De gauche à droite, Alice Quistrebert (illustratrice), Florian Espalieu (journaliste), Ludovic Chataing (fondateur).

La petite équipe rédactionnelle de L’avertY est constituée pour ce premier trimestre de la saison 4 du journaliste Florian Espalieu🔗, déjà familier des mensuels sur le média. Ses reportages de terrain sont accompagnés par des illustrations à l’aquarelle d’Alice Quistrebert (aka Alice Raconte🔗). Ludovic Chataing🔗 complète la rédaction en tant que fondateur du média, web-journaliste de formation, en charge de l’édition et de la diffusion.

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