“Les jeunes mobilisés pour le climat” est un sujet proposé par une abonnée. Il a été retenu à 53% lors du vote final du 30 avril et 1er mai 2019. Après Nuit debout et les gilets jaunes, les jeunes seront-ils la nouvelle force citoyenne des prochaines années ?
« Notre biosphère est sacrifiée pour que des personnes riches dans des pays comme le mien puissent vivre dans le luxe. […] En 2078, je fêterai mes 75 ans. Si j’ai des enfants peut-être qu’ils passeront la journée avec moi. Peut-être qu’ils me demanderont de parler de vous. Peut-être qu’ils me demanderont pourquoi vous n’avez rien fait alors qu’il était encore temps d’agir. Vous dites que vous aimez vos enfants par dessus tout et pourtant vous volez leur futur devant leurs yeux… »
Ces mots sont ceux de Greta Thunberg, jeune suédoise de 16 ans, lors d’un discours prononcé à la COP24 le 12 décembre 2018 à Katowice en Pologne. Un discours fondateur qui va permettre, grâce à sa diffusion sur Instagram, de mobiliser de nombreux jeunes à travers le monde. À Grenoble, du smartphone à la mobilisation en collectif, il n’y a qu’un pas. Sous la bannière Fridays for future, collégiens, lycéens et étudiants s’organisent pour leur nouveau combat, celui de la défense du climat face aux pollutions et au réchauffement climatique. Leur première action visible dans la presse sera la manifestation mondiale du 15 mars dernier. D’après France 3 Alpes, elle a regroupé 3000 manifestant·e·s sur Grenoble. Un cortège parmi les 2000 autres à travers la planète.
En quête d'interviews de jeunes mobilisés pour le climat. #Grenoble #FridaysForFuture #MarchePourLeClimat https://t.co/Q7BkG6OgTl
— 📰 𝗟'𝗔𝗩𝗘𝗥𝗧𝗬 (@LavertYgrenoble) May 24, 2019
L’éveil d’une génération
“Je me disais que c’était impossible qu’il y ait une manifestation à Grenoble”, témoigne Bastien Beretta, en seconde au Lycée du Grésivaudan à Meylan. Mobilisé une semaine avant le 15 mars, il s’est impliqué dans l’organisation du mouvement, grâce à la plateforme Discord qui regroupe une trentaine d’actifs locaux et 200 sympathisants. Maryem Taib, nouvelle arrivante sur Grenoble en septembre en troisième au collège Vercors, s’est engagée dans ce groupe “dès que j’ai su” qu’il existait. Contrairement au Lycée du Grésivaudan, elle trouve “très dur de mobiliser les autres” et dénonce l’inaction des établissements scolaires, “on ne nous parle pas d’environnement, on apprend des principes qui ne sont pas humanitaires”. En écho à ces propos, Stéphane Mayer, également en seconde au Lycée du Grésivaudan, estime apprendre beaucoup de choses depuis qu’il est dans le mouvement Fridays for future. En dehors des discussions web, le groupe se réunit dans la vraie vie, quasiment chaque vendredi après-midi devant la mairie de Grenoble ou Place de Verdun, “de 13h à 17h, selon la météo”.
Le groupe cherche aussi à organiser d’autres actions plus directes, comme le 4 mai dernier pour une action de désobéissance civile dans un hypermarché afin de dénoncer la surconsommation. Les participants ont rempli des caddies de certaines marques comme “Coca-cola, Ferrero, Colgate”, puis ont manifesté auprès des clients du magasin. Malgré une protestation des vigiles, l’action s’est déroulée sans interpellation. Les policiers appelés pour l’occasion n’ont posé que quelques questions, sans donner suite. Bastien explique aussi le rôle des deux majeurs du groupe Extinction Rebellion “pour expliquer et calmer le jeu”.
Parents et professeurs à la traîne
Les jeunes rencontrés dans ce mouvement grenoblois pour le climat se sont mobilisés par eux-mêmes, sur les réseaux sociaux, entre ami·e·s ou frères et sœurs. S’il y a bien des prédispositions dans les familles sur la sensibilisation au tri des déchets, sur la pratique du vélo, les parents ne sont pas des fervents militants dans la grande majorité. Pour Bastien, son père est un “écolo normal”, avec une seule manifestation récente sur les services publics à son actif. Ethel, étudiante interviewée en manifestation le 24 mai, explique que “en théorie, mes parents sont d’accord qu’il faut faire des choses pour que ça change, mais en pratique c’est plutôt moi qui pousse”.
Chez Stéphane, il a fallu négocier auprès des parents sa participation à la grève pour le climat. Son petit frère Gabriel, en 6ème, n’a pas pu obtenir le même droit. Il peut seulement participer symboliquement aux actions en portant un brassard vert au collège. “Il s’engage à son échelle.” Dans les établissements, il n’y a pas de réponse globale face aux actions grévistes. Le professeur de physique de Stéphane se contente de rester neutre face aux choix de la grève. Celui de mathématiques de Maryem va plutôt l’inciter à réfléchir sur un article qui fait passer le message qu’il ne suffit “pas de se plaindre, mais qu’il faut proposer autre chose”. Au Lycée du Grésivaudan, la proviseur ne veut pas d’affichage dans son établissement pour annoncer les grèves et actions. Les élèves contournent l’interdiction par les réseaux sociaux, ou en posant des “messages secrets” dans les toilettes notamment, seul espace réservé aux élèves. Maryem pense que les adultes ont une grande part de responsabilité dans le réchauffement climatique, “est-ce qu’ils vont parler de ça avec leurs enfants ?”. Bastien ajoute, “venez sauver le monde, c’est pas que les jeunes, c’est tout le monde”.
Plus chauds que le climat
La dernière grande manifestation mondiale pour le climat s’est déroulée vendredi après-midi à Grenoble entre 14h00 et 16h30. À l’approche des examens de fin d’année, la mobilisation dans la rue s’est comptée en quelques centaines de personnes, avec ses slogans, pancartes et banderoles. “Vous êtes à court d’excuses, nous sommes à court de slogans” est tirée du discours de Greta Thunberg. Un autre plus violent, comme “ils coupent les arbres, on coupera les têtes”. Ou encore le très mignon, “désolé maman, je sèche comme la planète”, tenu par une fille d’environ 10 ans.
Dans la rue, les passants s’arrêtent pour voir arriver le cortège. Contrairement aux défilés usés des syndicats, celui-ci dénote avec des jeunes qui passent par les trottoirs et qui scandent “et 1, et 2, et 3 degrés, c’est un crime contre l’humanité”, ou le désormais historique, “on est plus chauds, plus chauds, plus chauds que le climat”. Sur des grands carrefours, les jeunes s’arrêtent, s’assoient pour ensuite lancer un clapping collectif. De quoi galvaniser la foule, joyeuse et déterminée. Dans ce cortège grenoblois, de nombreuses jeunes femmes sont présentes. En procédant à des interviews au hasard, le micro de L’avertY n’a rencontré qu’une seule fois un jeune homme, pour cinq jeunes femmes. Certaines vont jusqu’à bloquer des voitures avec leur panneau, brandi avec détermination. Ce qui vaudra quelques altercations sans histoires, gérées en partie par des adultes à l’arrière du cortège, ou par un policier qui est allé à leur rencontre.
L’arrivée est tout aussi structurée, avec un dépôt de fleurs et de pancartes en hommage aux futures victimes du réchauffement climatique, accompagné d’une minute de silence. Le discours de Robin Jullian, 16 ans et membre actif de Fridays for future Grenoble vient clore l’après-midi, avec quelques petites annonces supplémentaires. À deux jours de l’élection européenne française, il lance un appel au vote :
« Il paraît que beaucoup souhaitent s’abstenir. Ce que nous vous demandons, c’est d’aller voter, car nous les jeunes nous n’avons aucune voix, alors que ces élections nous concernent. Ne pas voter, c’est accepter la confiscation de la démocratie. »
Un appel au vote qui sera entendu en France et Allemagne, avec un boost pour les partis étiquetés écologie. D’après l’enquête Ipsos/Sopra, Europe Écologie-Les Verts a capté 25% des votes des 18–24 ans, et 28% chez les 25–34 ans. Pour l’institut Harris Interactive, la tendance est également visible mais en plus faible proportion. John, 22 ans, étudiant en Master Information et Communication pense que “voter est un devoir”, avec cette réflexion paradoxale “si voter servirait, ça serait interdit”. Ce gilet jaune des premiers week-ends aura trouvé une action plus pérenne dans ce groupe local pour le climat. Une semaine d’actions est déjà en préparation à partir du 23 septembre. De quoi faire perdurer le mouvement sur le long terme ?
Ludovic Chataing, journaliste web pour L’avertY.