📣 « Donc polémiquons plutôt sur l’écriture inclusive »

Suite à un appel du média à réactions à l’actualité d’interdiction de l’écriture inclusive à l’école, Judith, professeure dans un collège, a proposé un nouveau texte de témoignage sur ce qu’elle vit aujourd’hui avec l’Éducation nationale. Elle avait déjà publié une première lettre ouverte à Jean-Michel Blanquer en 2019.

Hier, le ministre de l’Éducation nationale a fait paraître un décret interdisant l’écriture inclusive à l’école. Me voilà officiellement hors-la-loi. Car oui, j’utilise l’écriture inclusive en classe depuis 3 ou 4 ans environ.

Pourquoi donc ? Et bien parce que j’en ai assez de cette langue sexiste où le masculin l’emporte sur le féminin. Donc de la même manière que je dis « bonjour à toutes et à tous », que j’ai remplacé « droits de l’homme » par « droits humains », que j’essaye d’utiliser un maximum de tournures qui ne m’obligent pas à dire le féminin et le masculin (les exploitations agricoles plutôt que les agriculteur·trice·s), que je suis une professeure ou une enseignante, j’utilise l’écriture inclusive en classe.

Comment je fais ? Je l’explique en début d’année quand j’écris un titre où elle va se retrouver et quand j’écris un mot au tableau. Voilà. Libre aux élèves de recopier ou non ainsi. Je leur précise toujours que ce n’est pas obligatoire. Ah si, l’écriture inclusive se retrouvera dans mes cours tapés et mis en ligne. En vrai, elle n’est que peu présente.

Alors quand je lis dans la presse que je mets en péril la scolarité de milliards d’élèves qui ne sauront plus écrire le français, ça me fait doucement rigoler et puis finalement, ça m’énerve. Ce qui m’énerve surtout, c’est l’hypocrisie. Sous prétexte que c’est compliqué pour les dyslexiques (ce que je peux comprendre, mais encore une fois, je ne l’impose pas), on interdit une évolution égalitaire de la langue. Quand on sait le parcours du combattant pour les familles de dyslexiques pour obtenir un rendez-vous et la reconnaissance, quand on sait l’absence de moyens (pas assez d’assistant·e de vie scolaire, pas assez d’ordinateurs, pas de possibilité d’avoir un tiers-temps dans les contrôles réguliers, …) et quand on sait combien l’Éducation nationale se moque des troubles de l’apprentissage et nous laisse nous dépatouiller chaque jour face à ça, écoutez, oui, finalement, je suis en colère.

En colère et en même temps, pas dupe. Pourquoi cette polémique, là, maintenant ? Parce que les autotests arrivent seulement dans les établissements et pas en nombres suffisants. En ce moment, les établissements doivent règlementer l’accès aux autotests avec des personnes prioritaires, puis moins prioritaires, etc. Donc des lycéen·ne·s qui se testent dans 10 jours ? LOL. Non. Cela n’arrivera pas. Parce que la réalité, c’est qu’encore une fois, notre ministère ne protège ni les enfants ni les adultes des établissements. Mais, il ne faut pas le dire. Donc polémiquons plutôt sur l’écriture inclusive, grand péril du monde et de la civilisation. Rappelez-vous que quand on accusait le ministère de la Recherche de laisser tomber les étudiants, pouf ! Une polémique autour des prières dans les couloirs des universités est née au Sénat. Comment des étudiant·e·s qui ne vont pas en cours, dans des universités fermées, peuvent prier dans les couloirs ? Honnêtement, je ne sais toujours pas. Serait-ce un gros mensonge pour cacher les suicides réguliers ? Pensez-vous …

Donc, des personnels et des élèves toujours en danger (de mort doit-on le rappeler, si formes graves et comorbidités), mais le plus important, c’était de me rendre hors-la-loi. Parce que je suis une méchante féministe qui veut l’égalité entre les femmes et les hommes et que les filles se reconnaissent aussi dans les histoires et les espaces que je leur enseigne. Pour qu’elles soient des citoyennes conscientes de leur valeur et non pas, juste « des féminins relégués derrière le masculin ».

Judith, professeure dans un collège.

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Transports en commun : baisses à conséquences.

Sujet élu le 2 avril avec 43% des votes | rejoindre les 112 abonné·e·s

Ligne de bus C5, une des rares à ne pas avoir été impactée par les baisses récentes de l’offre.

À Grenoble, les témoignages se suivent et se ressemblent. Des transports en commun bondés, le difficile respect de la distanciation sociale aux heures de pointe, des temps d’attente rallongés sur certaines lignes ou encore des périphéries peu desservies, tel est le quotidien des grenoblois·es depuis plusieurs semaines. En cause, les baisses de l’offre des transports dans la métropole en raison de la crise sanitaire.

Le 22 mars 2021, la Tag (Transports de l’Agglomération Grenobloise) a annoncé une nouvelle baisse de l’offre des transports en raison d’une « fréquentation plus faible à certaines heures ». Elle concerne 2 lignes de tram et 13 lignes de bus, ce qui amène l’offre à 78% de sa pleine capacité de fréquentation, d’après le Dauphiné-Libéré.

Les lignes impactées le 22 mars, “infotrafic” Tag.

Par la suite, la Tag a publié sur ses réseaux une « adaptation des horaires » prévue du 6 au 30 avril inclus, en lien avec les annonces gouvernementales. Les horaires de vacances scolaires ont ainsi été étendues sur deux semaines supplémentaires pour des lignes non impactées par la baisse en mars. Comme précisé sur l’infographie ci-dessous, le retour à la normale pour le 30 avril n’est pas garanti, dans le cas de nouvelles mesures gouvernementales.

“Infotrafic” diffusée par la Tag.

Ces deux baisses de l’offre successives impactent l’ensemble des lignes, avec un recours à la réservation renforcé pour les bus « Flexo ». En soirée, seules des navettes sont maintenues pour les soignants. Le tout, non sans déplaire aux grenoblois·es et associations d’usagers.

Une baisse de l’offre des transports « contre-productive »

« Depuis le maintien de la crise sanitaire, le niveau de fréquentation de notre réseau de transports en commun est d’à peu près 50% par rapport à un niveau normal compris entre 90 et 100% », assure Sylvain Laval président du Smmag (Syndicat Mixte des Mobilités de l’Aire Grenobloise), en charge de la gestion des transports dans la métropole. Pourtant, syndicats et associations d’usagers évoquent des taux de fréquentation beaucoup plus hauts. « On est en désaccord, on est bien au-dessus, au moins à 70–75% », contredit Fernando Martins, secrétaire général FO (Force Ouvrière) à la Semitag, le réseau de transports en commun de l’agglomération grenobloise. Même son de cloche pour Emmanuel Colin de Verdière, président de l’association ADTC-Se déplacer autrement. « C’est très difficile à estimer car la fraude a augmenté depuis la crise sanitaire, ce n’est pas la fréquentation réelle », explique-t-il.

https://media.giphy.com/media/RGuf2qhc63v9nUCwok/giphy.gif

Cette baisse de l’offre des transports a eu un impact considérable sur les déplacements des grenoblois·es : c’est pour éviter les difficultés liées aux transports en commun que certains usagers reviendraient à la voiture. « On s’aperçoit que pour les déplacements motorisés on est quasiment revenu au niveau d’avant la crise sanitaire », explique Emmanuel Colin de Verdière. Un revirement pour le moins étonnant alors que la ville de Grenoble a été élue Capitale verte européenne 2022. « Moi je n’ai pas les moyens d’acheter une voiture donc je trouve que la réduction de l’offre des transports est vraiment contre-productive », s’insurge de son côté Marianne, employée sur le campus. « Des personnes risquent de prendre l’habitude d’utiliser un autre moyen de transport plus polluant, plus encombrant », s’inquiète-t-elle.

Pourtant cette baisse de l’offre est nécessaire selon Alain*, conducteur à la Semitag : « Aujourd’hui on a du mal à remplir un bus complet. Ce matin si j’ai eu maximum 20 personnes dans le bus c’est bien. C’est vraiment aux heures de pointe qu’il y a du monde mais le problème c’est que faire venir un conducteur sur une voire deux tournées c’est presque impossible ».

Avec le Covid-19, la peur de prendre les transports en commun

Prendre les transports en commun à Grenoble est désormais devenu le parcours du combattant aux heures de pointe si l’on en croit certains témoignages recueillis sur les réseaux sociaux. Certains doivent jouer des coudes pour espérer se faire une place dans une rame, d’autres encore n’ont plus les moyens de rentrer chez eux après le couvre-feu, l’offre se terminant aux alentours de 21h. « Un jour j’ai dû aller à l’hôpital à 19h en transports en commun, j’en suis sortie à 23h, et je suis rentrée à pied… 45 minutes de marche », explique Clémence, employée dans le secteur bancaire. Son témoignage n’est pourtant pas isolé. « La baisse des transports me pénalise réellement parce que j’habite sur le campus, j’en ai vraiment besoin pour mes déplacements. Avec ces horaires j’ai juste le temps d’aller en cours et de revenir. J’ai dû ruser, j’utilise souvent les trottinettes électriques ou des vélos quand il n’y a plus de trams. Ça fait un peu mal à mon portefeuille mais c’est la seule solution que j’ai trouvé », témoigne Karine, étudiante.

Tram E (impacté), un mardi matin vers 11h à l’arrêt Alsace-Lorraine.

D’autres usagers pointent également le non-respect de la distanciation sociale dans les transports. « J’ai la sensation d’être en danger, nous sommes entassés, les fenêtres sont fermées », s’inquiète Tristan, étudiant en alternance. « Nous sommes les uns sur les autres, des gens restent sur le quai parce qu’il n’y a plus de place », témoigne de son côté Jennifer, salariée dans le privé. « Sur la distanciation sociale, à cause de la baisse de fréquence, les usagers craignent de prendre les transports même si c’est désinfecté régulièrement et que le port du masque est respecté », développe Emmanuel Colin de Verdière. Et ce, alors que « les véhicules sont désinfectés tous les soirs, par une société spécialisée. Des barres de maintien aux postes de conduite, tout est désinfecté tous les jours », assure Alain. Un protocole sanitaire qui a un coût : « près de deux millions d’euros par an » selon les dires de Sylvain Laval.

Le coût des abonnements est également au cœur des préoccupations des usagers : 59,90€ par mois ou 599€ à l’année pour les 25–64 ans, tel est le coût d’un abonnement dans la métropole. « Les tarifs sont toujours aussi chers pour moins en moins de service », évoque Tristan. « On réduit les services mais pas les prix. Quand vous allez au ski et que la moitié du domaine est fermé, on fait un prix. Quand on n’a pas la moitié des trams et pas de place, c’est plein tarif », s’émeut Jennifer. La Tag a pourtant annoncé de nouvelles mesures tarifaires pour les usagers dont l’abonnement est toujours en cours de validité au mois de mars 2020. Une offre pouvant aller jusqu’à deux mois offerts selon les abonnements. « Je n’en ai pas vu la couleur », contredit Tristan.

Dessin de Simon Derbier : son travail est à découvrir ici.

« Il est hors de question de supprimer ou de couper une ligne sous prétexte qu’elle est moins fréquentée »

Des temps d’attente allant de 10 à 12 minutes, voire plus sur certaines lignes, c’est également le quotidien des grenoblois·es. Des faits constatés par l’ADTC-Se déplacer autrement. « On a observé un peu partout c’est que si on atteint une fréquence entre 7 et 10 minutes, il y a une forte hausse de la fréquentation. Des lignes Chrono sont passées à 12 minutes en journée et le samedi », précise Emmanuel Colin de Verdière.

Pourtant, le président du Smmag assure avoir adapté le réseau de transports aux réalités de la fréquentation. « Les choses ont été regardées au cas par cas, en fonction des niveaux de fréquentations et des absolues nécessité. Il est hors de question de supprimer ou de couper une ligne sous prétexte qu’elle est moins fréquentée, il y a la nécessité de maintenir des services minimums sur un certain nombre de territoires », explique Sylvain Laval.

« Nous avons considéré que les heures de pointe ne devaient pas être impactées, le niveau de service est le même qu’en situation normale et même en situation normale il est parfois tendu. Les grandes lignes fortes du réseau sont également les moins touchées. Quand on se rend compte que c’est un peu chargé, on n’hésite pas à renforcer par l’ajout d’une rame de bus ou de tram » — Sylvain Laval, président du Smmag.

Une baisse de l’offre en raison des difficultés financières de la Semitag et du Smmag ?

En janvier dernier, le syndicat Force Ouvrière s’inquiétait d’une baisse de l’offre qui s’inscrirait dans la durée en raison des difficultés financières que connaît la Semitag, des recettes basées exclusivement sur la vente de titres de transports et les subventions du Smmag. Dans un courrier adressé au président du Smmag, les représentants évoquaient une baisse de l’offre qui selon eux « sera durable dans le seul et unique but d’éponger les déficits liés à la crise sanitaire ». Ils réclament également le maintien « d’une offre maximale et régulière, quoi qu’il en coûte ».

En réponse à ces inquiétudes, une rencontre était organisée le 28 janvier dernier entre les syndicats de la Semitag (FO, SAPS-UNSA, CFE-CGC, Solidaires, CGT) et le président du Smmag. Dans un communiqué, les syndicats expliquent que « le président du Smmag [nous] a assuré la pérennité des emplois existants ainsi que sa volonté d’un passage en SPL (Société publique locale) de la Semitag pour le mois de septembre 2021. Sur le niveau de l’offre après crise, on nous a assuré qu’elle sera à son maximum ».

Ligne 21 (impactée) au col de Comboire à Claix, l’adaptation aux heures de pointe n’existe plus.

Une offre à son maximum après la crise sanitaire, c’est ce qu’a confirmé Sylvain Laval à L’avertY. « Tout cela est conjoncturel, nous nous adaptons en permanence. Dès que nous constatons un niveau de fréquentation qui réaugmente, nous réajusterons l’offre à la hausse, et de la même manière lorsque les contraintes sanitaires évoluent de manière plus positive en desserrant les choses, nous adapterons notre niveau d’offre », assure-t-il.

« On nous a demandé de faire des efforts jusqu’au mois de juin parce que la baisse de l’offre est ponctuelle, elle ne va pas durer dans le temps », poursuit Fernando Martins. Même son de cloche du côté de l’ADTC-Se déplacer autrement :

« On est a priori la seule métropole de France où l’offre est réduite en journée. On a indiqué qu’il serait inacceptable que cette baisse de l’offre soit pérenne, le Smmag a indiqué qu’il remettrait une offre à 100%. On sera très attentif à ce sujet. », Emmanuel Colin de Verdière, président de l’ADTC-Se déplacer autrement.

Quid des salariés de la Semitag ?

Les salariés de la Semitag sont également les victimes collatérales de la crise sanitaire. « Tout le réseau vit au rythme des annonces gouvernementales, les conditions de travail de tous se sont dégradées à cause de la crise », s’émeut Fernando Martins. Syndicats et salariés de la Semitag ont négocié le chômage partiel à 100%, le salaire de base est ainsi maintenu. « Cependant nous avons une part variable, basée sur des primes et les agents qui sont titulaires sur des roulements de nuit perdent des sommes importantes mensuellement allant de 400 à 500 euros », évoque le Syndicat du Transport, section syndicale créée il y a quelques semaines à la Semitag.

Cycliste (non impacté) laissant passer le tram B.

Pour protéger les conducteurs, l’avant des véhicules leur est désormais réservé. Pourtant, cela reste difficile au quotidien. « Ce n’est pas facile quand vous arrivez dans un véhicule, qu’il fait très chaud, donc vous êtes dans un bocal vitre à gauche, sur le côté, ce n’est pas facile de devoir conduire avec le masque », explique Alain. « Les restrictions sont difficiles pour tout le monde, le port du masque durant un service complet n’est pas toujours facile mais nous nous efforçons de fournir au maximum un service de qualité », développe de son côté le Syndicat du Transport.

« Le vrai enjeu de société est d’expliquer que les transports en commun restent essentiels, que ce n’est pas un lieu particulier de risques de contamination ou de clusters. Comme partout, il faut être vigilant, respecter les gestes barrières, porter un masque », conclut le président du Smmag. Associations, syndicats et usagers s’accordent aujourd’hui sur la nécessité de retrouver un service à son maximum pour le bien-être de tous.

Reportage Tania Kaddour-Sekiou
Photographies Ludovic Chataing
Dessin de presse Simon Derbier

*Le prénom a été modifié.

J’ai raté un lien ?

ADTC-Se déplacer autrement — site de l’association.
Tag : un peu moins de transports en commun à partir de ce lundi 22 mars – Le Dauphiné-Libéré.
Covid-19 : mesures tarifaires pour les abonnés TAG – Tag.fr
Covid-19 : face à la crise, la Semitag va-t-elle réduire son offre de transports dans la métropole de Grenoble ? – France 3 Auvergne Rhône-Alpes
L’histoire de la Sémitag – site de la Sémitag.
Qu’est-ce que le SMMAG ?– Le Grésivaudan, communauté de communes.

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Une autre vie pour Neyrpic

Sujet élu le 2 mars avec 48% des votes | rejoindre les 110 abonné·e·s

Dessin de la halle Ectra de Neyrpic par Aurore Braconnier (aquarelle et stylo feutre).

L’idée émerge en 2019 dans un bar grenoblois. Une quinzaine de circassiens sont réunis pour parler d’un futur lieu d’entraînement, notamment pour les disciplines aériennes. Trapèze volant, danse verticale, tissu aérien, Grenoble manque clairement d’un endroit pour s’entraîner. Dans l’idéal il faudrait un lieu avec de la hauteur et au loyer très abordable, voire carrément gratuit.

« Et pourquoi pas les friches industrielles de Neyrpic ? », lance l’un des circassiens présent à la réunion, « elles sont inutilisées depuis des années et question hauteur, il y a de quoi faire.» Axel parle d’une ancienne usine abandonnée représentant 43.000 mètres carrés bordant l’avenue Gabriel Péri, située entre le campus de Saint-Martin-d’Hères et l’École polytechnique. Un lieu qui a fait couler beaucoup d’encre depuis qu’une promesse de vente a été signée entre la ville de Saint-Martin-d’Hères et un promoteur privé, Apsys, en 2008. Ce dernier veut faire de Neyrpic une immense galerie commerciale, ce qui, en novlangue, se traduit par « pôle de vie » ou « centre-ville » : de multiples enseignes dédiées à la mode, au bien-être, la décoration et aux loisirs, juste à côté d’une avenue déjà bien commerçante, polluée et régulièrement embouteillée

Neyrpic en mars 2021.

Des recours contre le projet ont été déposés entre 2011 et 2018. L’instruction étant close, l’affaire devrait être jugée dans l’année. En attendant, on se pose la question : quelles sont les alternatives à ce centre commercial ?

L’âme ouvrière de Saint-Martin-d’Hères

Joyeuse coïncidence, il se trouve qu’Axel n’est pas seulement circassien, il a aussi suivi des études d’architecte et a obtenu son diplôme en 2016. Or, pour son mémoire de fin d’études, il a travaillé sur le projet Neyrpic. Voici comment il voyait l’avenir de ces friches : un centre de cirque couplé à une auberge de jeunesse. Ben oui, il n’existe qu’une seule auberge de jeunesse à Grenoble et celle-ci se situe à… Échirolles, soit loin du centre et des universités, nous dit-il. Bien sûr, le terrain est vaste et les idées ne manquent pas pour ce lieu. « On nous impose un énorme projet inutile sans aucune consultation des habitants », regrette François-Rémy Mazy, porte-parole de l’association Alternatiba [NDLR : des enquêtes ont été menées mais considérées comme orientées ou sans aucune publicité pour y participer].

« Les alternatives doivent relever d’une démarche citoyenne et participative. Le projet peut inclure une dimension économique sans pour autant le donner à un promoteur faisant partie des plus grandes fortunes de France. »

François-Rémy Mazy, porte-parole d’Alternatiba.

L’association Neyrpic autrement a elle aussi réfléchi à des projets, recueillant les idées auprès d’étudiants, du campus de Saint-Martin-d’Hères notamment. En plus d’utiliser la grande hauteur des halles pour des activités artistiques ou sportives, certains proposent de transformer cet espace en centre de formation professionnelle de cordistes et centre de ressources sur la montagne en proposant des cartes, des expos, etc. L’idée serait d’inciter les touristes en partance pour les massifs à faire une pause dans l’agglomération pour trouver de l’info sur la montagne, découvrir le patrimoine industriel et l’avancée des recherches au musée.

Façade Ouest d’un des bâtiments restants à Neyrpic.

Une autre idée consiste à développer un musée industriel en deux parties : la première consacrée à l’industrie lourde dans l’esprit du Musée des Arts et Métiers, la deuxième serait dédiée à l’histoire des industries alimentaires de Grenoble (Lustucru, Cémoi, Brun). À côté, l’espace accueillerait des associations. Cela rejoint un peu l’idée de Philippe Charlot du parti La République En Marche (LREM) qui assure avoir toujours défendu une co-construction avec la population. « Nous avions pensé, pour garder la mémoire de ce site, faire un musée sur l’histoire ouvrière de Saint-Martin-d’Hères, une ville à l’origine ouvrière à bastion fort du Parti communiste », nous dit-il au téléphone.

Un pôle de vie, un vrai !

Dans la même veine que Monsieur Charlot, d’autres politiques aimeraient réfléchir avec les Martinérois·e·s à des alternatives à Neyrpic. « Aujourd’hui, en dehors de l’Heure bleue, du domaine universitaire et d’Ikea, les gens ne viennent pas à Saint-Martin-d’Hères. C’est donc l’occasion de créer un pôle de vie », explique Marie Coiffard, 35 ans, élue Europe Écologie-Les Verts et enseignante à l’Université Grenoble Alpes (UGA), opposée à la forme et l’envergure du projet.

« 24 000 mètres carrés de surface commerciale, ce n’est pas ce que les gens attendent, surtout dans la situation sanitaire actuelle. Le type d’aménagement pose aussi problème : le promoteur prévoit un grand multiplex cinématographique alors qu’on ignore encore comment les cinémas vont se remettre de la crise. Et puis, donner tout le site à un promoteur privé empêche le droit de regard de la ville. Pourquoi se déposséder d’un espace commun ? »

Marie Coiffard, élue municipale Europe Écologie-Les Verts.

Quand on lui demande si elle a réfléchi à d’autres projets, elle répond que oui, bien sûr, même si elle n’a pas autant de moyens que la mairie. « Pour nous il faut que la ville reste partie prenante du projet. Il faudrait un mix d’activités avec un pôle culture comme des cinémas à taille humaine intégrant le Mon ciné, le cinéma d’arts et d’essai de Saint-Martin-d’Hères, ce qui leur donnerait de meilleurs locaux. Et puis des tiers lieux avec des salles de cours, des salles pour des associations, de séminaires. Enseignante à l’UGA, je vois bien à quel point on manque de salles. Enfin un centre avec des commerces de proximité, où on valoriserait des circuits courts, des commerces d’artisans, des commerces éphémères. Pas une vague de surf en tous cas. Sur ses plaquettes, le promoteur dit qu’il espère faire venir des personnes du Grésivaudan. Quel dommage de ne pas profiter de la conscience actuelle pour changer les habitudes de consommation ! Neyrpic pourrait devenir un super endroit mais pour le moment le projet est tellement pharaonique qu’il ne se fait pas. »

Qu’en dites-vous Monsieur Queiros ?

Commerces de proximité et de produits locaux, pôle culturel en rassemblant l’école de musique et de danse avec une vraie salle de spectacles, restaurant tenu par des personnes handicapées, les divers projets semblent se rejoindre sur cet objectif : amener de la culture et de la vie à Saint-Martin-d’Hères. Nous aimerions discuter de toutes ces idées avec le maire David Queiros. Celui-ci nous donne rendez-vous avec son directeur de cabinet, un certain Nicolas Lavergne, qui, d’emblée, tient à connaître une chose : l’angle de l’article.

Nous tentons de lui poser quelques questions sur le projet actuel comme le nombre d’enseignes présentes ou le nombre de personnes touchées par la zone de chalandise. « Tout ce que je sais, c’est que cela mobilisera 2500 emplois pour la construction du projet et 800 à 1000 pour faire tourner Neyrpic », nous répond-il fièrement. Un audit C02 a-t-il eu lieu? « On peut supposer que oui », dit-il avant d’avouer lui-même qu’il n’a aucune garantie. Pour justifier ses réponses, pour le moins floues, il invoque sa récente prise de poste : depuis à peine deux mois seulement.

On se demande alors pourquoi Monsieur Queiros nous a envoyé vers cet interlocuteur et on réalise vite qu’il ne sert que de filtre à notre demande d’interview. Dommage. On avait tant de questions à lui poser, comme son avis sur la pollution des sols du site et le fait que le promoteur envisage de laisser cette poussière toxique « sous le tapis » de béton, ce qui revient à filer le problème aux générations futures. On aurait aussi aimé l’interroger sur la pertinence d’un centre commercial gigantesque alors que le réchauffement climatique se fait de plus en plus ressentir et que la crise du Covid met le monde à l’arrêt. « On ne peut pas refaire le match », dit laconiquement le directeur du cabinet.

« Sur le plan politique, cette question a été en grande partie répondue par les élections : élu à 53%, on peut considérer que les Martinérois ont soutenu ce projet en renouvelant leur confiance. »

Nicolas Lavergne, directeur de cabinet de David Queiros.

Rappelons que le taux de participation à ce vote était de 30,63% seulement. Mais admettons. Pour autant, les Martinérois sont-ils au courant de l’ampleur du projet ? Pour Nicolas Lavergne, c’est une évidence : « On est quand même d’accord que sur un projet de 20 ans, les Martinérois le connaissent… » Et le directeur du cabinet de conclure laconiquement : « Bon a priori vous avez une certaine orientation…»

Une lutte interminable

Pour la mairie, les Martinérois sont donc bien au courant du projet Neyrpic et le soutiennent en grande majorité. Pour en avoir le cœur net, nous nous rendons sur place et interrogeons des passants pris au hasard. Êtes-vous de Saint-Martin-d’Hères ? « Je viens de m’installer », me dit Thomas, une trentaine d’années. « Mais j’ai étudié à Polytechnique situé juste à côté ». On lui demande ce que ces friches sont. Il semble totalement ignorant du projet.

« Un centre commercial ? Je ne suis pas contre un peu de shopping mais je me demande s’il y a réellement besoin d’un centre ici ? On a déjà le Casino juste à côté et d’autres boutiques pour les vêtements. Et puis, l’avenue est déjà trop fréquentée par les voitures. Personnellement, je préférerais un musée ou un centre sportif. »

Thomas, Martinérois.

Deux autres jeunes hommes se promènent. Eux aussi ont étudié à Polytechnique il y a quelques années et ne sont pas au courant du projet. « Nous aurions tellement aimé profiter d’un espace vert. Cela plairait beaucoup aussi aux étudiants du campus, de profiter de la pause du midi pour déjeuner dans un parc. La grande place, c’est trop grand, trop moche. Et puis, ce genre de commerce appartient à un autre temps, ce n’est en aucun cas l’avenir ».

Dessin de Simon Derbier : son travail est à découvrir ici.

À côté, deux ami·e·s profitent du soleil pour déjeuner au pied de cet endroit surréaliste. La jeune fille s’entraîne au centre Espace vertical à l’intérieur des friches. Le jeune homme fait de la highline dans les locaux déserts, de manière clandestine. « Depuis que je suis au CP j’entends parler de ce projet mais qui reste à l’abandon. En primaire nous avions même visité les lieux et il y avait des choses intéressantes à l’intérieur comme un vieux carrousel ». Il semble bien au courant. Pourtant, quand nous lui parlons du centre commercial, il paraît tomber des nues. « Pourquoi un centre commercial ? Ce serait tellement mieux un grand espace de cirque ou un lieu culturel. Après tout, Grenoble n’est-elle pas censée être la capitale verte 2022 ? »

En attendant le jugement du dernier recours qui devrait arriver bientôt, le lieu aurait pu servir à beaucoup de personnes depuis toutes ces années qu’il est laissé à l’abandon.

« Dans beaucoup de villes, les anciennes friches industrielles servent de lieu pour accueillir des projets éphémères ou des résidences d’artiste », déplore Élisabeth Letz, co-présidente de l’association Neyrpic autrement. « Là, tout est à l’abandon depuis des années en attendant la manne du promoteur. Ils ont fait partir des associations comme le club de foot portugais, la 2CV Club délire, des chefs d’entreprises. Le promoteur l’a dit lui-même, il n’est pas philanthrope. Qu’une mairie communiste défende bec et ongles un projet comme celui-ci juste pour que le promoteur gagne de l’argent, c’est complètement fou. Moi j’ai été élu pendant 8 ans, et je sais bien qu’on a beau proposer des alternatives, on est toujours envoyé sur les roses, eux seuls savent ce qui est bien pour les gens ».

Cela fait environ treize ans qu’elle se bagarre sur ce sujet notamment pour sensibiliser les personnes concernées sur la question. « J’aimerais bien que tout cela se termine. Cela commence à être long ».

Dans les épisodes précédents…
– 1899 à 1967 : industrie électrique et hydraulique
– 2008 : signature d’une promesse de vente entre le propriétaire et le promoteur de centres commerciaux Apsys
– Juillet 2011 : autorisation commerciale est donnée à Apsys pour sa demande de permis de construire
– 2011 à 2018 : des recours sont déposés
– Mai 2017 : le promoteur demande un deuxième permis de construire car il jugeait le premier projet obsolète et pure folie (selon ses mots)
– 19 décembre 2019 : Les recours du premier permis de construire ayant été rejetés, le promoteur annonce l’achat du terrain (bien qu’on ne retrouve aucune trace de cette vente au service de la propriété foncière)
– Février 2020 : quelques travaux de démolition de la Halle
– 8 avril 2021 : cinq Martinérois ayant porté des recours sont convoqués au Palais de justice de Grenoble à 13h, suite à une plainte déposée par Apsys. Alternatiba se mobilise pour les soutenir.

Reportage et dessin de couverture Aurore Braconnier
Dessin de presse Simon Derbier

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Définition de circassien — Larousse.
Podcast “La novlangue, instrument de destruction intellectuelle” — France Culture.
Pollution des rues en temps réel — Plume Labs.
Mémoire d’architecte d’Axel en PDF, en partie sur Neyrpic — ArchiRès
Une vague de surf à Neyrpic ? Mêmes les surfers sont très critiques ! — Neyrpic Autrement.
Municipales 2020 avec L’avertY.
Définition de highline — Wikipédia.
Les 7 mensonges du Maire de SMH
 — Neyrpic Autrement

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