Missions dépollutions

L’avertY a suivi plusieurs actions citoyennes concernant la pollution de l’Isère suite au vote du sujet mensuel “Eaux troubles” (48% des suffrages le 1er septembre). Un reportage qui met en valeur de belles initiatives et qui donne à réfléchir sur la qualité des eaux de nos rivières. Comme ces citoyen·ne·s n’attendez pas pour passer à l’action en prenant un abonnement de soutien chez votre média participatif grenoblois. #Objectif100

Quel est le rapport entre un siège auto, une poussette, une machine à laver, un vélo, une mobylette et une clarinette ? Réponse : ce sont tous des macro-déchets aperçus dans ou au bord de l’Isère. Certains ont pu être extraits lors de l’opération nettoyage des berges organisée par l’Union de Quartier Île Verte, samedi 14 septembre. D’autres macro-déchets n’ont fait que passer devant les yeux des kayakistes, comme Benjamin, participant à l’opération ce jour-là. Sur la clarinette, il lance cette blague sur un ton doux-amer, “la clarinette n’était pas entière, sinon je l’aurais gardé pour en jouer. C’est l’objet le plus insolite que j’aie pu voir”. Il est venu prêter main forte avec deux autres personnes, tous membres du club Grenoble Alpes Canoë Kayak, ainsi que deux bateaux pour rapatrier les gros déchets par voie fluviale. Le “C2” peut embarquer deux personnes et permettre de récupérer des objets lourds. L’un dirige pendant que l’autre ramasse ce qu’il trouve.

Au même moment, sous le pont qui relie Grenoble à La Tronche, un groupe s’entête à sortir, avec beaucoup de difficulté, un siège auto embourbé dans la vase. Il faut s’y mettre à quatre, cinq ou six ! Les habitants creusent, ou font levier avec pelles et pioches. Une fois le “trésor” déterré, il rejoint le tas de gros déchets à côté de la piste cyclable où un triporteur prend le relais jusqu’à une grande benne. Celle-ci est fournie par la Métro pour l’occasion.

Étape 1 : on extrait le déchet de la vase.
Étape 2 : on rassemble les déchets au point relai, pour être emmenés en triporteur.
Étape 3 : stockage à la grande benne, avant la récupération par la Métro.

Plus tôt, un groupe rapportait avoir découvert une poussette embourbée à 80% et avait déclaré forfait pour cette fois-ci. “C’est la limite de l’action citoyenne, acquiesce Anne Tourmen, organisatrice de cette deuxième édition, on n’a pas de grue, on n’a pas de palan.” Habitante et élue à Saint-Martin-le-Vinoux, elle note cependant une progression avec l’édition de l’année dernière. “La bonne nouvelle c’est qu’il y a beaucoup moins de déchets sur le chemin de Halage, ça va dans le bon sens de prises de conscience du citoyen lambda.” Ce sont des plus petits déchets dits “du quotidien” : mégots, canettes, bouteilles. Preuve en est, le groupe qui est partie sur place a pu revenir plus rapidement pour nettoyer un autre secteur. Cette donnée couplée à la participation en hausse (une quarantaine de participant·e·s, contre trente en 2018) permet à Anne Tourmen d’être optimiste sur la suite, “je crois que là on travaille pour les générations futures. On a tous l’impression d’être utiles.

Les enfants sont aussi de la partie. Les parents en profitent pour faire une balade du samedi matin en prenant le temps de les sensibiliser à la pollution. Stéphanie, habitante du quartier Île Verte a fait le déplacement avec ses trois enfants de 5 ans, 3 ans et 1 an (en poussette). Pour elle, “c’est un projet éducatif intéressant pour que nos enfants deviennent plus sensibles au fait de ne pas polluer”. Au cours de l’interview, ses deux filles aînées sont à la recherche de petits objets avec des pinces en plastiques.

– “Maman, maman !”

– “T’as trouvé un mégot ?”

– “J’ai trouvé plein de mégots.”

– “Il faut que tu ailles voir quelqu’un qui a un sac poubelle.”

Cette opération citoyenne de “surveiller les berges chaque année est une très bonne chose”, explique Stéphanie, “ça va porter ses fruits à long terme”. Tout en précisant que “c’est un travail de fourmi” et que chaque acteur doit faire sa part. Le sentiment de citoyenneté prime : “c’est humain de donner un coup de main citoyen”.

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Armelle est aussi venue en famille, avec Noah, 9 ans. Tronchoise, elle a l’habitude du Quai Jongkind et s’y promène depuis la naissance de son fils. Elle trouve que cette action est aussi “un moment à partager plutôt sympa” avec les autres Grenoblois, Meylanais et Vinoix. Quant à Noah, il est très enthousiaste pour cette opération.

“Hier, j’ai fait de la science, on a parlé du tri. Mon papa est très écolo, il ramasse les déchets dans la rue”. — Noah, 9 ans.

Un peu plus près de l’eau

Autre lieu, même rivière, Quai Perrière. L’inauguration du projet du budget participatif 2017 “Un pas vers l’eau” bat son plein. L’espace en contrebas de la route a été aménagé avec des mobiliers en bois pour permettre de s’allonger au bord de l’Isère et de profiter de la fraîcheur du lieu. Les barrières qui décourageaient à s’installer sur les gradins en pierre ne sont plus, et le tout-venant peut désormais se rapprocher de l’eau.

Début septembre, l’Isère est au plus bas. Plusieurs déchets sont visibles sur la plage de Grenoble, essentiellement des bouteilles en verre. Thierry Closquinet est là avec trois acolytes du club Aviron Grenoblois, Ondra, Arya et Justine. Tous s’apprêtent à faire une petite démonstration pour la fête. Mais avant ça, une opération nettoyage de la plage s’improvise. “Quand je vois ça, j’arrive pas à me retenir”, témoigne Thierry. Ramasser les déchets est devenu une habitude, “à vélo je ramasse des canettes tous les jours”. Il va même signaler à la mairie des espaces pollués, comme à la bastille. Sur ce cas-là, la mairie avait répondu par mail qu’il s’agissait d’un chemin privé, en dehors de leur champ d’action.

De gauche à droite : Ondra, Thierry et Arya du club Aviron Grenoblois.

En termes de solutions, il imagine des panneaux éducatifs pour sensibiliser les passants à ne pas jeter dans l’eau, mais bien dans les poubelles, présentes à quelques dizaines de mètres seulement. C’était d’ailleurs une dimension du projet “Un pas vers l’eau”, installer des poubelles pour éviter toute pollution. Lors de l’inauguration, quelques poubelles sont accrochées aux barrières mais encore éloignées des gradins en pierre. Hélène, une citoyenne à l’initiative du projet, avait imaginé des dessins de pas au sol pour guider plus facilement vers les poubelles. Les porteurs de projet n’ont pas su dire pourquoi ça n’avait finalement pas été mis en place.

Qui doit s’occuper des déchets dans l’eau ?

Ondra du club Aviron Grenoblois témoignait avoir vu deux carcasses de voiture entre le pont d’Oxford et celui du train à l’occasion d’un lâcher de barrage. Dans ces moments-là, l’eau baisse drastiquement un cours instant. Ces déchets qui dorment dans l’Isère ne peuvent être enlevés simplement par les citoyens. Certaines vidéos montrent tout de même des pêches à l’aimant qui permettent de ressortir des gros objets de l’eau.

En France, la législation passe par les SDAGE (Schémas Directeurs d’Aménagement et de Gestion des Eaux) qui permettent l’entretien des rivières. Il y en a dans chaque région, puis localement des SAGE (Schémas d’Aménagement et de Gestion des Eaux) et aussi des contrats de rivières. C’est la préfecture (l’État) qui établit les arrêtés pour chaque rivière. Pour mieux comprendre, voici une vidéo pédagogique sur la politique de l’eau en France.

Par ailleurs, la qualité des eaux des rivières est observée et évaluée. On observe ainsi un état écologique et un état chimique pour chaque masse d’eau. Sur les 44 masses d’eaux présentes dans un rayon de 20 km autour de Grenoble, 38 sont en bon état chimique en 2009 et 40 en 2015. Pour l’état écologique la tendance est presque stable, avec une légère dégradation pour cet échantillon. Cela s’observe par une dégradation progressive de la notation des masses d’eaux. Celles notées “très bon” (3 en 2009, 1 seule en 2015) deviennent “bon”, tandis qu’il y a plus de masses d’eaux notées “médiocre” (1 en 2009, 4 en 2015). La majorité des masses d’eaux sont tout de même en état écologique “bon” (23 en 2009, 24 en 2015), ce qui permet d’obtenir une proportion de masse d’eaux en bon état au dessus de la moyenne nationale (56,8 %, contre 44,8 % sur les 10 706 masses en France).

Plus particulièrement, le Drac a réussi à obtenir un état chimique bon en 2015, mais pas l’Isère, qui fait partie des quelques masses d’eau encore en mauvais état chimique. Sur l’état écologique, il y a une bonne progression positive sur la période 2009–2015 (voir légende).

Légende : 1. Mauvais / 2. Médiocre / 3. Moyen / 4. Bon / 5. Très bon

Les macro-déchets dans les rivières restent tout de même “un problème au quotidien quand on navigue sur l’Isère avec des classes de jeunes” termine Benjamin (le découvreur de clarinette). Il ne note pas d’amélioration d’une année sur l’autre, même s’il concède que “les poubelles, on en trouve presque un peu moins en ce moment”. Les barres en métal peuvent aussi blesser ou endommager les embarcations lorsqu’elles sont bloquées dans la vase.

Le 21 septembre dernier a eu lieu la journée mondiale de nettoyage (World Clean Up) avec sept actions organisées sur l’agglomération. Des citoyennes et citoyens n’attendent pas pour agir et ramasser des déchets, alors laissons leur le mot de la fin.

“Venez nombreux l’année prochaine à nettoyer les berges de l’Isère.” — Stéphanie

“Qu’on se balade un jour le long de l’Isère sans avoir besoin de ramasser les déchets. On profitera juste de la nature” — Armelle

“Qu’on soit en famille pour bien partager l’écologie.” — Noah

“Souvent en tant que bon Français, on est assez rapides à râler. Toute la question c’est est-ce qu’on est actif ou est-ce qu’on râle ?” — Benjamin

“Une bonne initiative à faire plus souvent.” — Anne

Ludovic Chataing, journaliste web pour L’avertY.

Liens intéressants pour aller plus loin :
le rapport très complet de l’ADEME sur les macro-déchets, écrit en 2012.
la cartographie d’Eau France pour consulter l’état des rivières de sa région.
l’article #AlertePollution de France Info sur les trottinettes électriques qui terminent à l’eau.


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📣 « Je vous invite à développer votre intelligence »

Marc, lecteur de L’avertY, a repéré cet été une théorie intéressante d’un collègue sur l’écologie. Il l’a partagé par mail à L’avertY pour une plus large diffusion. Son auteur grenoblois, Antoine Crosasso, a accepté qu’elle soit diffusée ici. Sa conclusion va vous étonner.

Pourquoi l’écologie échoue à prendre le pouvoir ?

La pensée écologique telle que nous l’abordons semble se heurter à un mur tenace. Adopter un mode de vie écologique, nous l’abordons aujourd’hui sous l’angle de la privation et de l’ascétisme. Le mensonge du mode de vie écologique que l’on nous présente réside d’ailleurs entre autres choses dans une forme de culpabilité vis-à-vis de notre désir de confort.

Comment pouvons-nous encore aujourd’hui pouvoir prétendre à une vie confortable, c’est-à-dire sans manquer de rien et en faisant le moins d’effort et de labeur possible, alors que ce mode de vie menace la planète et la pérennité de notre espèce ? Si certains sont déjà prêts à franchir le pas vers une existence plus modérée, raisonnable et moins gourmande en ressources, comment expliquer que la vaste majorité de nos sociétés ne parvient pas à passer le cap.

D’ailleurs, même parmi ceux qui font des efforts individuels, les initiatives sont largement hétéroclites. Tel individu se contentera du tri sélectif tandis que tel autre poussera plus loin la démarche. Le mode de vie écologique divise parce que nous ne sommes pas tous prêts à faire des efforts ou les mêmes efforts. Et la culpabilisation des comportements anti-écolo ne suffira pas à bâtir une société entièrement dédiée à la préservation de nos écosystèmes, car nous n’aurions bâti qu’une écologie de façade.

Celle-ci est d’ailleurs déjà en partie présente dans les cercles qualifiés de bobo. L’écologie s’est traduite en mode de pensée et en marqueur social, une façade bien éloignée du projet écologique lui-même, où se côtoient les mangeurs de quinoa et les amis qui vous proposent un café bio, commerce équitable et sans gluten dont la boîte traîne fièrement à côté de leur cafetière. Le constat est amer, l’écologie, absolue nécessité, échoue partout à prendre le pouvoir. Je ferais même le constat que nous ne désirons pas devenir écolo. Pour moi-même, une société ascétique privée de confort et accessoirement de viande rouge n’a rien d’excitant d’autant qu’elle nécessiterait des efforts pour une maigre rétribution en plaisir. Car oui nous sommes aussi des homo economicus prenant des décisions en posant un rapport effort engagé et plaisir retiré.

Si nous ne désirons pas faire des efforts, que nous ne désirons pas nous priver de plaisir, ce qui me semble être d’ailleurs légitime, que désirons-nous ? Davantage de plaisir et un minimum d’effort ? En sommes nous souhaitons une société d’abondance où notre plaisir peut s’accroître d’année en année et nous permettre tantôt de gravir une échelle sociale et tantôt de nous distinguer des autres groupes sociaux par la quantité de plaisir dont nous disposons.

Il n’aura échappé à personne que nous sommes parvenus dans nos sociétés occidentales à cette société d’abondance, de gourmandise, d’obésité aussi parfois. Nous avons pour cela trouvé un outil qui remplit parfaitement son rôle : le capitalisme. N’étant pas une fin en soi mais un moyen d’atteindre la société d’abondance que nous recherchons, le capitalisme a rempli son rôle. Le capitalisme et l’industrialisation nous ont procuré toujours plus de biens et d’objets à consommer comme vecteurs de plaisir.

Attardons-nous alors sur nos besoins. On reconnaît couramment que nous exprimons deux sortes de besoins. Des besoins primaires, fondamentaux comme se nourrir, s’habiller, se loger, etc. Et des besoins secondaires qui accroissent davantage notre plaisir et dans notre société d’abondance servent également à définir notre rang social. Le riche étant celui qui par définition peut répondre à tous ses besoins secondaires y compris les plus fous.

Dès lors, dans notre société d’abondance une valeur s’est imposée : la valeur d’un individu se mesure à sa capacité à accumuler des objets et donc des plaisirs. Votre valeur individuelle étant dictée par état, vous souhaiterez accumuler toujours plus d’objets pour gravir les échelons ou vous démarquer de vos semblables pour construire votre identité. En effet, s’il existe un besoin de rivalité entre les hommes, c’est bien pour construire une identité.

Thorstein Veblen résumait cet état dans nos sociétés d’abondance comme suit : “On aura beau distribuer avec largesse, égalité et justice, jamais aucun accroissement de la richesse sociale n’approchera du point de rassasiement, tant il est vrai que le désir de tout un chacun est de l’emporter sur tous les autres.”

Construire son identité, être unique, relève donc de la rivalité avec l’autre. Se pose alors le paradigme suivant : nous désirons vivre dans une société d’abondance, pas seulement pour notre confort mais également pour construire notre identité en accroissant notre valeur individuelle par rapport à nos semblables.

Nous en venons alors à croiser enfin le chemin de l’écologie. Si nous accumulons tous plus d’objets pour nous définir et mesurer notre valeur individuelle, notre corne d’abondance basée sur des ressources finies, limitées et rares, va finir par se percer. Les ressources vont manquer aboutissant à l’état d’urgence climatique que nous connaissons aujourd’hui. “Changeons de paradigme”, criera alors quelqu’un au fond de la salle. L’intéressé recevra alors un vif revers du plat de la main accompagné d’un cinglant : “On est pas là pour proposer des utopies troglodytes.”

En revanche, changer la ressource nécessaire à la continuité de ce paradigme semble une solution nettement plus séduisante. Quelle ressource existe sur Terre en quantité illimitée, accessible partout et pour tous ? Vous voyez venir ma réponse : l’intelligence. L’intelligence est non seulement une ressource illimitée, mais elle présente également l’avantage de ne générer que des échanges à somme positive. Expliquons. Dans un échange économique traditionnel, lorsque je cède un bien (ou de la monnaie) contre un autre, je gagne le bénéfice d’un bien au détriment d’un autre, l’échange est nul.

En matière d’intelligence, l’équation est différente. Lorsque je partage mon savoir avec un autre individu et que celui-ci fait de même, nous ressortons tous deux de l’échange avec notre propre savoir, celui de notre partenaire et nous nous sommes même enrichi d’une synthèse des deux. Dès lors, si nous devenons capables de changer notre société pour que la valeur d’un individu se mesure à son intelligence plutôt qu’aux biens accumulés, alors nos besoins en objets vont de facto diminuer.

Il serait faux de penser que nous ne pouvons plus vivre dans une société d’abondance parce que les ressources sont limitées. Si nous avons moins de besoins matériels à assouvir, nous n’aurons pas l’impression d’être des ascètes et nous penseront donc que nous vivons toujours dans une société d’abondance, tant matérielle qu’intellectuelle. L’abondance sera une abondance d’intelligence et nous développerons davantage de liens sociaux, de clientélisme intellectuel avec nos semblables car nous seront gagnants dans tous nos échanges.

Pour conclure sur une note pleine d’espoir, je vous dirais que cette société de l’abondance intellectuelle n’est pas si éloignée. Car notre désir de savoir, et notre désir d’être reconnu comme intelligent par nos semblables est bien ancré. Le pas à franchir pour faire de l’intelligence la valeur de mesure d’un individu est donc toute proche. Pour s’en rendre compte il suffit de signifier très sérieusement à quelqu’un, “tu es très très con”. Il y a de fortes chances pour que vous déclenchiez une vive émotion chez cet interlocuteur tant il désirait secrètement que vous le considériez comme intelligent.

Vous l’aurez compris, pour devenir écolo cessez d’acheter du quinoa et commencez par dire à vos proches qu’ils sont cons. Vous pouvez aussi reconnaître leur intelligence ou leur savoir, cela devrait les encourager à continuer dans la même direction.

Je vous invite donc très sérieusement à développer votre intelligence et surtout à rester attentif à toute personne qui vous fera comprendre que vous êtes con.

Antoine Crosasso, grenoblois.

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Les routards du futur

Chaque phrase qui suit ne pourrait voir le jour sans vos abonnements et dons sur la page Tipeee. Merci également à celles et ceux qui ont participé au vote en ligne fin juin sur les réseaux sociaux pour élire ce sujet sur les déplacements originaux.

Installez-vous sur les berges de l’Isère à 17h et ouvrez bien les yeux. Le bal commence. Des centaines de travailleuses et travailleurs défilent sous votre nez. La plupart en vélo. Certain·e·s sortent du lot en trottinette, en skate, en gyroroue ou même en vélo couché. Que s’est-il passé pour en arriver là ? Pourquoi ces routards d’un autre genre délaissent-ils les grands classiques ? Posté stratégiquement à l’intersection d’un feu rouge, à la course-poursuite d’un passant, ou lors d’un rendez-vous collectif proposé en ligne, L’avertY a rencontré ces passionnés qui aiment rouler en ville autrement que par des transports en commun, vélos ou voitures.

De gauche à droite, Pierre-Maël, Florent, Sébastien et Laurine au rendez-vous proposé par L’avertY.

Moins de 5 km, du plaisir dans le déplacement.

Calixte, intercepté au carrefour Chavant, roulait tranquillement avec sa planche sur la piste Chronovélo du boulevard Agutte-Sembat, récemment inaugurée. Plus précisément, c’est un longboard, une planche longue quoi. Résident du centre-ville grenoblois, le jeune homme de 23 ans utilise ce matériel pour les petits trajets. Ce jour-là, il rendait visite à sa grand-mère. Se déplacer comme ça c’est “très sympa”, “on peut prendre le trottoir, les pistes cyclables, il n’y a pas de règles réellement”. Mais surtout, “on peut s’amuser à faire quelques virages. Ce genre de chose qu’on ne fait pas avec un vélo”. Ce bien connu deux roues n’est vu que comme un utilitaire par Calixte pour rallier un point A à un point B. “Là, je m’amuse tout en faisant mon trajet”, argumente t-il. Pierre-Maël ne dira pas le contraire. Lui aussi adepte du longboard, il vante les mérites de l’engin à quatre roues :

« On peut éviter des situations de danger, très rapidement. C’est transportable partout avec soi. Une fois acheté, c’est un matériel qui nécessite très peu d’entretien à part les roulements. » — Pierre-Maël, adepte du longboard.

Sa pratique du longboard remonte à “13 ou 14 ans” en arrière. Pratique qui a commencé par l’intermédiaire de l’association Descendeurs Des Environs (DDE) qui se réunissait les mercredis soir à l’anneau de vitesse pour faire découvrir le longboard. Pierre-Maël gravitait autour de l’association à ce moment-là avec son BMX. L’un des membres avait une planche en trop depuis six mois dans son garage. La belle opportunité que voilà ! Après avoir franchi le cap de l’apprentissage et avoir roulé sa bosse sur le longboard, Pierre-Maël se titille, de ses propres aveux, à tenter d’ajouter un moteur électrique à une autre planche qu’il possède. Pour le confort, mais aussi pour faire plus de kilomètres avec.

Laurine en démonstration de shortboard à l’anneau de vitesse du parc Paul Mistral à Grenoble.

Pour Laurine, oubliez la longboard, voici la shortboard, “un skateboard qui date de 1977, l’époque où les skateurs allaient dans les piscines creuses”, raconte t-elle. Elle utilise ce modèle tout simplement “parce qu’on l’a trouvé à l’état neuf dans un hangar”, mais aussi pour son côté transportable, “il peut s’attacher à un sac à dos sans gêner”. Elle fait le même constat que Pierre-Maël sur l’entretien, “ça fait 7 ans que je l’ai, je n’ai jamais changé les roues”. Quand il pleut, elle applique tout de même du lubrifiant sur les roulements. Pour son trajet, elle préfère les pistes cyclables. “Le problème c’est le revêtement, il faut choisir son itinéraire”, explique t-elle. En comparaison, Pierre-Maël témoigne que “le longboard est plus souple pour être plus confortable, plus stable et ça amorti les défauts du bitume”. Avec les pavés grenoblois en shortboard “c’est marteau-piqueur pour les chevilles et les genoux”, lance t-il.

Quand on lui parle de skate électrique, Laurine tranche net.

« Le skate électrique, c’est le même problème que la trottinette, c’est extrêmement lourd, extrêmement cher, c’est des batteries. C’est pas du tout la flexibilité d’un petit skate qu’on peut sangler sur le sac à dos. En plus, il y a le plaisir de réguler sa vitesse avec son propre équilibre. Je ne suis pas du tout pour un système d’assistance. Je préfère plus manger moi que donner de l’énergie à la machine. » — Laurine, adepte du shortboard.

Mickaël aime aussi la solution portable, mais a préféré s’adonner aux rollers pour ses trajets domicile-travail, depuis qu’il est Grenoblois. Son modèle à scratchs lui permet de rajouter les roues à ses chaussures “en même pas 3 minutes” pour “[s’arrêter] sur un commerce ou autre”. Il aime “le côté agréable des pistes cyclables”, trouve ça “plus tranquille que se déplacer à vélo” et lui “permet d’avoir une liberté de mouvement qui est assez intéressante”. En cas de pluie, il prendra exceptionnellement le tram, mais son meilleur plan B est de marcher les 5 km qui le séparent de son travail.

« Au début on n’est pas forcément à l’aise, mais quand on est à l’aise c’est finalement agréable de se déplacer à rollers. » — Blandine, interviewée sur les berges de l’Isère.

Enfin, il y a Régis, croisé par hasard chez un fleuriste du quartier Alma Très-Cloître. Rappelé par téléphone faute de temps, il explique pratiquer la trottinette mais sans assistance électrique. Il l’utilise “depuis 3 ou 4 ans” sur des micro-trajets autour de son lieu de travail grenoblois. C’est une façon pour lui de réduire la durée de déplacements à pied, “c’est pratique et rapide”. Sur l’électrique, il n’en voit pas l’utilité pour l’instant. Habitant à Revel, il se déplace en voiture pour ses trajets domicile-travail.

De 5 à 20 km, la chemise sèche.

Florent a opté pour une trottinette électrique en novembre 2018. Stéphane, lui, a commencé sa pratique du véhicule sur les tout premiers modèles, il y a 4 ans. Tous les deux travaillent sur le campus universitaire de Saint-Martin-d’Hères. Chacun a fait son constat avant de se lancer. Pour Stéphane, un trajet aller de 5–6 km est “trop court pour justifier l’utilisation de la voiture”. Il a trouvé cette option électrique intéressante pour garder sa chemise et son pantalon au sec en arrivant au travail. C’est d’abord cet aspect pratique qui le convainc encore aujourd’hui, renforcé aussi par une sensibilité écologique, “la trottinette me permet de combler ce court trajet de façon un peu plus vert”. Pour ses autres trajets, il prend aussi la trottinette.

« Je fais du bénévolat dans le centre-ville, l’utilisation de la voiture est complètement aberrante pour les petits trajets comme ça. » — Stéphane, adepte de la trottinette électrique.

Mickaël en rollers, Calixte en longboard et Stéphane en trottinette électrique.

Florent, informaticien, avait pensé prendre un vélo au début. Il a étudié le pour et le contre. Son souvenir de vélo volé d’il y a quelques années l’a conforté à choisir une solution transportable, sans besoin de cadenassage (lire aussi le mensuel de L’avertY “Vols de vélo à Grenoble, une fatalité ?”). Un argument également mis en avant par les planchistes précités. Il s’est penché sur l’offre des transports en commun mais c’est “trop cher pour ce que c’est” et trop lent pour lui. Le tarif plein mensuel est à 57,80€ par mois.

Le modèle qu’il possède est de fabrication chinoise et coûte l’équivalent d’une console qui vient de sortir, 330€. Stéphane se rappelle avoir acheté son modèle de l’époque pour 450€. Si Florent trouve que l’outil est “très efficace dans un rayon de 10 km”, il en tire un bilan mitigé. “J’ai crevé un pneu sur la trottinette et je n’ai pas réussi à le changer”. Il a finalement toqué à une boutique de réparation pour vélo à Championnet. Le magasin a déjà reçu quelques trottinettes électriques. “C’est pas donné”, le changement de pneu avant a coûté 30€. Pendant cette interruption de deux mois, Florent a repris le vélo malgré sa réticence de départ. “Avec le recul et l’expérience, je privilégierais plus le vélo entre trois et quinze kilomètres”, tout en ayant en tête d’amortir le coût de la trottinette, pourquoi pas dans le cas d’un changement de trajet domicile-travail.

Sur la durée de vie du véhicule, Stéphane fait le constat “d’une perte de puissance assez importante” de sa batterie. Résultat, il a laissé un deuxième chargeur sur son lieu de travail pour recharger en pleine puissance à chaque trajet, aller ou retour. De plus, son modèle n’a pas été pensé pour changer la batterie, “c’est plus cher de remplacer la pile que de changer de trottinette”. Il y a aussi les freins pas très sécurisants “qui ne sont pas un argument de vente” auprès de ses collègues, et les pneus pleins qui entraînent plus facilement la glissade que les nouvelles roues avec chambres à air.

Plus de 20 km, sans avoir mal aux fesses.

En restant attentif sur le défilé de vélos des quais de l’Isère, vous y trouverez Christian, adepte du vélo couché. Des vélos pas si rares puisqu’il existe des magasins spécialisés en France, dont un à Crolles. Des vélos qui coûtent chers car fabriqués sur demande, à la pièce. L’entrée de gamme est à 1000€. Un prix qui ne l’a pas rebuté : “par rapport à une voiture, il est amorti en quelques mois”. Le gros avantage de ce type de vélo c’est le nombre de kilomètres qu’on peut parcourir sereinement.

« On a vraiment un coefficient de pénétration dans l’air qui est plus intéressant. On fournit moins d’efforts qu’avec un vélo normal. On est couché donc on a un meilleur développement musculaire. Et puis surtout, on n’a pas mal aux dos ou aux fesses, on peut faire des kilomètres sans souffrir. » — Christian, adepte du vélo couché.

Notez le sourire de Christian dans le rétroviseur de son vélo couché.

Le vélo n’est pas électrique et demande un certain temps d’acclimatation. Christian estime qu’il faut une semaine pour ré-apprendre à pédaler, trois mois pour se sentir à l’aise et un an pour oublier qu’on roule avec un engin original. Le point faible du vélo-couché, c’est pour tourner. “Pour traverser la ville, ce n’est pas très pratique, ça tourne moins bien”, témoigne t-il. Les rétroviseurs permettent aussi de mieux “savoir ce qu’il se passe autour de soi”, “on peut moins tourner le cou”. Alors, est-ce que ça vaut le coup (et le coût) ? Christian reste mystérieux, “il faut l’essayer pour savoir”.

Bien au-delà de Grenoble, le vélo cargo ultime.

Attention, le meilleur est pour la fin ! Dans la catégorie vélo transformé, celui de Sébastien met la barre très haut. Ce vélo cargo permet de transporter 160 kg de charges tout en permettant de rentrer dans un sac de 120 cm par 90 cm, pour le transport en train. L’arrière du véhicule lui permet de transporter toute la famille. Tout d’abord ses enfants de 6 et 12 ans, mais aussi sa mère de 75 ans pour la déposer à la gare. “Au début elle serrait les fesses, mais aujourd’hui c’est normal ça ne l’inquiète plus du tout.” Un deuxième guidon permet de se sécuriser. On dirait du chalage de luxe, les pieds posés sur des barres fixées, le tout sur la roue arrière. Cette configuration-là lui a permis de réaliser un trajet de vacances en région parisienne, puis dans la foulée en Bretagne à Croisic, en alternant trajet en train et à vélo.

Au tout début, Sébastien cherchait des solutions pour arriver à transporter à la fois son enfant qui venait de naître et à la fois faire ses courses pour une semaine, le tout sans utiliser de voiture. La solution se présenta par hasard lors d’un trajet à vélo.

« J’ai eu un éclair, j’ai croisé quelqu’un qui avait ce type de vélo. Je l’ai alpagué, je l’ai rattrapé à fond la caisse à vélo, dans la rue. C’était à l’estacade. Je lui ai posé deux, trois questions. » — Sébastien, adepte du vélo cargo.

Références prises, il a importé son premier vélo cargo trois mois plus tard des États-Unis pour 800€, avec 120€ de taxe d’importation. Son deuxième déclic sur les vélos cargos a eu lieu lorsqu’il s’est retrouvé à devoir faire des travaux d’isolation alors que sa femme était partie avec la voiture pour trois jours. À l’aide de sangles et quelques improvisations, il a pu charger son vélo de plaques d’isolation. Depuis, il a transporté des troncs, des déchets verts, des palettes en bois. Il peut dépanner des cyclistes en remorquant la roue avant, tout comme le fait une dépanneuse. Le prototype actuel de Sébastien est le résultat de plus de 10 ans de passion pour le vélo. Très heureux de faire du vélo tous les jours, il a “une forme en pétard”.

Ludovic Chataing, journaliste web pour L’avertY.


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