📣 « Je fais le tour du monde à ma table de permanence »

Connue sur la toile grenobloise sous le pseudo “Caro”, cette citoyenne grenobloise partage son expérience de plusieurs années dans une association d’aide aux migrants, mais aussi sa motivation au départ et la réalité du terrain.

Du petit doigt à tout un bras

Quand j’ai décidé de partir à la retraite, c’est à dire de toucher une pension et non plus un salaire, je pensais à la coolitude d’une vie où je pourrai enfin décider de l’heure à laquelle je me lèverai et de mon emploi du temps journalier.

Voyons, j’hésitais : dans quel domaine, dans quelle association pouvais-je apporter mes compétences tout en me faisant plaisir ? Ça commençait mal, c’est comme si je devais refaire un CV, pour moi-même cette fois, pas pour un employeur, sauf à considérer que je serai mon propre employeur.

J’énumère :

– J’ai quelques connaissances juridiques, notamment en droit du travail, et pourrai me former dans d’autres domaines du droit.
– J’ai un bon sens de l’écoute.
– J’ai le goût des voyages, au moins en théorie et dans la pratique de lectures et de visionnages de films à défaut de pouvoir partir sur le terrain.
– J’ai envie d’aider mes concitoyens moins débrouillards.
– J’ai une certaine connaissance de la langue russe.

Finalement « j’ai » pas mal de choses… Comment les rassembler pour tout utiliser ? Et j’entends parler d’une association d’aide aux migrants. Tiens, pourquoi pas… Surtout que mes parents eux-mêmes avaient été des migrants bien intégrés, naturalisés.

« Première, deuxième, troisième génération, nous sommes tous des enfants d’immigrés » chantais-je en manifestant, moi qui suis de la première génération.

Bon voilà, c’est décidé, je fais mes premiers pas dans l’association. Très vite, je suis intégrée comme spécialiste du Caucase, constitué par ces ex-républiques soviétiques où tout le monde parle russe en plus de sa langue maternelle. Mes collègues, pensionné·e·s comme moi, m’apprennent les rudiments de la constitution d’un dossier de demande de régularisation à déposer en préfecture. Je m’instruis aussi en farfouillant sur Internet.

Je commence fort ! Deux couples de Géorgiens, ayant chacun un enfant né en France, sont expulsables, décide la Préfecture. Bonne entrée en matière ! J’apprends à ruser, à conseiller telle ou telle démarche, à rameuter les médias locaux, ça dure… ça dure… cinq ans pour qu’ils soient régularisés, et ils ont beaucoup de chance. J’apprends la patience, ce qui n’est pourtant pas mon fort. Mais pour tirer les migrants d’affaire, il faut savoir aussi composer, comprendre les conséquences de ce qu’on entreprend, les risques éventuels que l’on peut faire courir à des personnes qui nous font confiance.

Et les dossiers s’enchainent, se chevauchent, chacun différent du précédent et du prochain. Et je voyage, du Caucase aux Balkans à l’Afrique subsaharienne avec un petit tour en Asie, etc. J’ai toujours dit que j’aimais le terrain. Je suis servie, je fais le tour du monde à ma table de permanence.

Les gouvernements ont certainement peur que nous nous ennuyons à concevoir les dossiers toujours de la même façon, alors ils promulguent des lois et nous devons nous adapter. Le CESEDA (Code d’Entrée et de Séjour des Étrangers et Demandeurs d’Asile) a été créé sous Chirac. Il est entré en vigueur le 1er mars 2005, initié par Sarkozy ministre de l’intérieur, puis modifié sous Sarkozy président, avec son fameux ministre de l’intérieur Hortefeux, puis sous Hollande avec la circulaire de régularisation, du non moins fameux ministre de l’intérieur Valls et maintenant sous Macron et son encore plus fameux ex-ministre de l’intérieur Collomb. La gestion des étrangers est passée du ministère des Affaires étrangères à celui de l’Intérieur en 2007.

L’attribution de la gestion des migrants à l’Intérieur signifierait-elle que les migrants sont d’abord considérés comme des délinquants ? C’est l’impression que donnent les modifications. Depuis Collomb, il est dit qu’un étranger n’ayant pas obtenu le statut de réfugié « n’a pas vocation à rester en France ». Quand on sait qu’à peine 30 % des demandes d’asile sont acceptées ! Il y aurait donc 70 % de menteurs, bons à être expulsés ? Rester en France est donc devenu un délit ?

Les demandes de titres de séjour sont de plus en plus difficiles à déposer en Préfecture, puisque l’étranger débouté de sa demande d’asile reçoit le plus souvent une obligation de quitter le territoire français (OQTF) dans le mois qui suit le refus. Il faut maintenant déposer une demande de titre de séjour, en même temps quasiment que la demande d’asile. Dans ce cas, seule la demande pour « étranger malade » peut se concevoir, la personne est vraiment malade et ne pourrait accéder aux soins dans son pays. Pour presque toutes les autres demandes, il faut montrer son intégration à la vie française pour espérer avoir un titre à défaut d’être reconnu « réfugié ». Or les délais du traitement des demandes d’asile sont ramenés à 6 mois. Comment peut-on s’intégrer en 6 mois, faire du bénévolat, trouver une promesse d’embauche, nouer des liens dans ce nouveau pays où l’on vient de débarquer ? Mission impossible.

Toute la politique migratoire actuelle tend à expulser les étrangers, même ceux qui travaillent en CDI dont les titres de séjour ne sont pas renouvelés, même les familles avec des enfants scolarisés, souvent très bon élèves, même ceux qui sont malades à qui la préfecture affirme qu’ils peuvent retourner se faire soigner chez eux, etc, etc, etc. Et en même temps le gouvernement veut développer « l’immigration choisie » en accordant des visas et des titres à des diplômés étrangers – dont les pays ont pourtant grandement besoin – sans vouloir admettre que les étrangers, ici, ont déjà les diplômes (du CAP à ingénieur) et l’expérience du travail en France. Ceux-là sont arrivés illégalement, ou avec un visa court séjour, ils ne doivent pas rester et ne doivent pas être régularisés.

Malgré les demandes de toutes les associations nationales et locales, le gouvernement n’a rien modifié de sa loi anti-migrants. Il s’appuie sur sa majorité parlementaire qui a voté tous les articles, le petit doigt sur la couture du pantalon. Les associations se retrouvent donc à devoir se battre au cas par cas, contre des préfectures aux ordres, mais avec l’aide d’avocats spécialisés.

Que dire des tribunaux administratifs où aucun magistrat n’est spécialisé en droit des étrangers ? C’est pile ou face, c’est la roulette russe. Un coup je suspends l’OQTF, un coup je l’approuve.

Que faire, face à tant de souffrances infligées aux migrants ? Fuir les conséquences d’un gouvernement xénophobe ou assumer ses idées pour que son pays redevienne « le pays des droits de l’Homme » ?

J’ai choisi, mon bras y passe, car il faut aussi placer la défense des migrants dans les luttes plus larges de défense des acquis sociaux, du climat, de la démocratisation des pays fuis par les migrants, où les entreprises étrangères règnent en maitres, où les mafias tiennent le haut du pavé, où les populations minoritaires sont discriminées ou même tuées.

Mettre son bras, mais garder son âme, c’est une lutte incessante et elle n’est pas encore finale …

Caro (pseudo)

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Grenoble, résiliente ?

Sujet élu le 1er décembre avec 52% des votes |108 abonné·e·s

Dérèglement climatique, pénurie énergétique, faillite financière, crise sociale… Et si tous ces événements s’enchaînaient ? Une thèse que se propose d’explorer la collapsologie, afin de trouver des solutions. Entre angoisse et volonté d’agir, L’avertY est allé à la rencontre de celles et ceux qui pensent que cet effondrement est inévitable. En se posant la question si la cuvette grenobloise serait capable de faire face à de telles catastrophes. En d’autres termes : habitons-nous dans un territoire résilient ?

L’inondation de Grenoble du 2 novembre 1859 © AMMG (Référence : 1 BIB 515)

Actuellement, je suis en pause, parce que ça déprime un peu”, prévient Mélanie*, l’air quelque peu désabusé à la mention du terme “collapsologie”. “C’est quelque chose qui m’impacte profondément.” Ce mal étrange n’est pas la dernière série à suspense du moment, ni un roman d’anticipation. Quoique… puisqu’il s’agit d’étudier la possibilité d’un effondrement de notre monde industriel actuel, et de penser ce qui pourrait lui succéder.

La théorie n’est en rien une lubie “millénariste” pour reprendre les mots de Mélanie : “C’est une notion qui me parle maintenant. Mais au début, j’ai trouvé ça nul comme concept. Depuis, je me suis renseigné, j’ai lu le bouquin “Comment tout peut s’effondrer”, et finalement, je l’ai trouvé beaucoup mieux documenté que je le pensais initialement.

Le livre en question est celui de Pablo Servigne et Raphaël Stevens, sorti en 2015. Les deux chercheurs utilisent pour la première fois ce néologisme dans le sous-titre, non sans une certaine dérision : “petit manuel de collapsologie à l’usage des générations présentes”. Selon les auteurs, la démarche doit être un “exercice transdisciplinaire […], en s’appuyant sur la raison, l’intuition et des travaux scientifiques reconnus”.

La fin (certaine) d’un certain monde

Leur thèse est que notre mode de vie n’est plus soutenable et que nous allons droit dans le mur : à la fois sur le plan social, économique et écologique. Pour preuve, notre dépendance toujours plus grande à des énergies non renouvelables telles que le pétrole et le charbon. Et le constat que l’exploitation effrénée de ces ressources détruit l’environnement, comme en témoignent les dérèglements climatiques dont nous subissons les premiers effets depuis quelques années.

Le mur vers lequel nous nous dirigeons selon eux prendrait la forme d’un délitement plus ou moins brutal de notre société. Sans en connaître les contours exacts, celui-ci pourrait par exemple ressembler à celui qu’à connu l’Union soviétique après la chute du rideau de fer, voire pire. En outre, des catastrophes pourraient s’enchaîner dans un effet domino : un ou plusieurs événements climatiques déclenchant par exemple une pénurie énergétique, se traduisant ensuite par une crise financière, puis sociale… En clair, dans un tel cadre, les États ne seraient plus capables de jouer leurs rôles et les citoyens en seraient réduits à ne compter que sur eux-mêmes.

Le cinéma Le Club et les cafés collapsologie ont proposé en décembre trois projections-débats.

Convaincu qu’il est trop tard pour éviter l’effondrement et afin d’en réduire les effets, les “collapsologues” convoquent d’autres disciplines. Dont la liste est forcément non exhaustive puisque se voulant ouverte, mais avec quelques pôles de prédilection : climatologie, écologie, économie, finance et sciences humaines comme l’anthropologie, les sciences politiques et la sociologie. La chaîne ThinkerView et ses longs entretiens (entre autres) autour de ces thématiques a acquis une certaine notoriété dans le domaine et a permis la diffusion de ces thèses.

Avec quelques publications régulièrement citées : “Comment tout peut s’effondrer” donc et les autres livres de Pablo Servigne et Raphaël Stevens ; mais aussi “Effondrement : comment les sociétés décident de leur disparition ou de leur survie” de Jared Diamond, paru en 2005 ; ou le plus ancien “rapport Meadows” établi par le Massachussets Institute of Technology en 1972, à la demande du Club de Rome, et qui analysait “les limites à la croissance (dans un monde fini)”.

Angoisse, acceptation et réaction

Pour autant, malgré sa terminologie, la collapsologie ne peut pas vraiment se targuer d’être une science, mais plutôt un agrégat de réflexions. De fait, elle est l’objet de nombreuses critiques. Lors du (faux) procès de Pablo Servigne par le magazine Usbek & Rica, trois chefs d’inculpation ont ainsi été retenus : pseudo-science, défaitisme et dérive sectaire.

Mais partisans et opposants s’accordent au moins sur un point : la collapsologie ne permet pas de voir la vie en rose. “Je pense que les choses peuvent très vite s’emballer”, s’inquiète Mélanie. “Par exemple, je me demande si cela vaut le coup de faire des projets pour 2025, 2030… En fait, je suis entre l’acceptation et l’angoisse. Pourtant, je ne peux m’y résoudre, puisque je suis actuellement en train de monter mon activité professionnelle.

Nicolas Géraud a fondé les cafés collaps’ à Grenoble en octobre 2018, avec pour origine un constat qui rejoint celui de Mélanie : “Regarder ThinkerView seul n’est vraiment pas facile. D’une part, comprendre “en gros” mais sans pouvoir creuser, ni avoir un esprit critique n’est pas satisfaisant. D’autre part, regarder seul est assez toxique : ça peut rendre dépressif.

Diagnostiquer les vulnérabilités

Le besoin de partage autour de ces questions est apparemment nécessaire, puisque la première édition des cafés collaps’ réunit plus de 50 personnes. Ces réunions leur permettent de se confronter à plusieurs, avec parfois même des invités, à des raisonnements complexes s’étendant sur plusieurs domaines. Cela afin de décrypter les thèses des uns et des autres pour en saisir les failles et donc se faire en toute connaissance de cause sa propre opinion.

Nicolas Géraud et ses semblables se muent ainsi en Dr House (médecin diagnosticien de fiction, dans la série du même nom) :

­« Imagine que tu as 30 ans, et que tu as toujours vécu avec une hygiène dégueulasse : alcool, tabac, malbouffe… Un jour, tu ne te sens plus très bien et tu vas voir le médecin, qui te trouve une liste de symptômes longue comme le bras. Quel diagnostic poser ? Cela va dépendre du praticien chez qui tu es allé. » Nicolas Géraud.

La première étape va être de comprendre les points de vue des différents théoriciens renommés : “Si tu vas voir Jean-Marc Jancovici (ingénieur français), il va te parler de dépendance au pétrole. Joseph Tainter (anthropologue américain) va plutôt rechercher du côté de la structure de nos sociétés. Le diagnostic de Pablo Servigne va être un mélange des deux précédents.

Les cafés collaps’ font donc, dans un premier temps, œuvre de vulgarisation. Mais l’idée est aussi d’aller plus loin : poser un diagnostic revient à questionner les vulnérabilités, c’est-à-dire les sensibilités de notre société face à des événements plus ou moins prévisibles. Et pour cela, en faire une liste, et en évaluer la probabilité. Une fois le constat dressé, prévoir les risques face aux dégradations de notre environnement. En d’autres termes : se demander à quel point nous sommes résilients, individuellement et collectivement ; la résilience étant par définition la capacité de résistance (d’un matériau, et par extension d’un corps ou d’un système) aux chocs subis.

Du constat à la solution politique

Avec cette notion de résilience, le verre aux trois quarts vide devient rempli ainsi à 25%. Car, plutôt que de désespérer, il s’agit de trouver des solutions : “Il faut rendre le système plus rustique”, analyse Nicolas Géraud. “Ce qui nous oblige, si nous voulons être capables d’absorber les chocs futurs, à devenir une société plus solidaire, moins tournée vers des technologies complexes et plus vers le bricolage.

Avec cet éclairage, des réponses au(x) problème(s) peuvent être apportées, déjà au niveau local. D’ailleurs, comment se situe la cuvette grenobloise de ce point de vue ? “Grenoble est plutôt mieux dotée que d’autres territoires”, d’après le fondateur des cafés collaps’. “Géographiquement, nous ne sommes pas mal situés, par exemple en ce qui concerne l’accès à l’eau. Et politiquement, nous avançons sur ces questions.

La politique n’est évidemment pas bien éloignée quand il s’agit de se projeter vers l’avenir et de se demander quelle société sera viable demain. Les participants aux cafés collaps’ sont plutôt marqués à gauche, selon la perception de leur organisateur : “Je n’ai croisé personne de droite, et les socialistes sont très peu. Je dirais qu’il y a un tiers d’anarchistes, un autre d’extrême gauche et un dernier d’écologistes.

L’exposition “Résilience : architecture et mobilier urbain en transition” à la Plateforme de Grenoble.

À titre personnel, Nicolas Géraud se définit comme “anarchiste individualiste” : “Je n’aime pas du tout l’autorité, et par conséquence suis en sympathie avec les minorités. Par contre, je considère la liberté individuelle de pensée et d’expression comme cardinale, alors que d’autres sont tentés d’aller à l’encontre de cette liberté.

Un profil peu enclin à se rapprocher de parti politique. Pourtant, sans être encarté, il a été l’un des premiers signataires de l’appel “Grenoble en commun” du maire sortant. “Les écologistes en général, et les verts en particulier, n’aiment pas trop l’affichage de la collapsologie. Ce sont des théories qui font peur et qui nuisent à une stratégie politique de conquête du pouvoir. À l’inverse, je trouve qu’Éric Piolle, en tant que personne, est particulièrement sensible et bien renseigné sur ces notions. Et il me semble prêt à mener des expérimentations dans cette direction, ce qui est une nécessité pour tester des solutions.

Une politique de la résilience

Dès lors, Grenoble serait-elle en pointe en matière de collapsologie et de résilience ? “En France, aucun territoire n’est résilient en l’état actuel”, selon Antoine Back, élu municipal et organisateur de la venue de Pablo Servigne à Grenoble dans le cadre de la biennale des villes en mars 2019.

« Des procédures peuvent exister pour faire face à une catastrophe ponctuelle type Seveso ou rupture d’un barrage. Mais cela est traité comme un événement ponctuel extraordinaire dans un océan de normalité. En revanche, les territoires sont peu armés face à un enchaînement par effet domino. » Antoine Back.

Qu’est-il alors possible de faire au niveau de la ville et de l’agglomération ? Et quelles actions sont prises par les autorités locales ? Christine Garnier, élue de Grenoble et vice-présidente à la Métro, déléguée à l’habitat, au logement et à la politique foncière assure que “cette notion de résilience est un sujet très important pour la ville et pour la métropole de Grenoble, car elle pose la question de l’avenir de la ville et de notre planète”.

Christine Garnier, lors de l’inauguration de l’exposition à la Plateforme de Grenoble.

La conseillère métropolitaine liste quelques mesures sur un certain nombre de thèmes chers à la mairie écologiste : les “politiques de mobilité”, l’aide à l’isolation des logements au travers des dispositifs Mur|Mur, le “remplacement des chauffages au bois polluants par des appareils moins polluants”, la nature en ville au travers de “la trame verte et bleue”, le “soutien aux énergies renouvelables”, le Plan climat air énergie… Ce dernier avait par ailleurs été critiqué par le mouvement Alternatiba (article abonné·e·s Place Gre’Net), pourtant proche de la municipalité, lui reprochant son manque d’ambition.

Peu de détails concrets et de budgets sont mentionnés : “Il y a beaucoup d’action dans beaucoup de domaines différents. Par conséquent, il est difficile d’avoir un chiffrage.” Exception faite de l’acquisition le 20 décembre dernier par Grenoble-Alpes Métropole d’un terrain de 53 hectares dans la zone maraîchère de la Taillat sur la commune de Meylan, pour 1,3 million d’euros. Une mesure qui s’inscrit dans le cadre d’un “Projet alimentaire inter-territorial” qui vise à un double objectif : “protéger les espaces agricoles” et “relocaliser la production alimentaire”.

Pour autant, tout reste à construire : “Beaucoup de choses vont encore évoluer avec le Plan local d’urbanisme intercommunal adopté le 20 décembre”, prédit l’élue. “Probablement qu’il faudra aller beaucoup plus loin dans les années qui viennent.” Son collègue Antoine Back est, quant à lui, convaincu que “la question de la résilience sera au cœur de la campagne pour les élections municipales à venir”. Fin du monde, fin du mandat, même combat ?

Reportage, photos et vidéo de Florian Espalieu, journaliste web grenoblois.

*Le prénom a été changé après publication, suite à la demande de l’intéressée.


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Dolomieu, friche artistique

Avec une mobilisation record pour les votes des 31 octobre et 1er novembre, les lectrices et lecteurs de L’avertY ont choisi le sujet sur l’Institut Dolomieu avec 44% des voix. Derrière la qualification de “verrue” du bâtiment dans la presse locale et dans la bouche du maire de Grenoble se cache tout un public d’exploration urbaine, à découvrir dans cet article de fond.

Entrée de l’Institut Dolomieu, novembre 2019.

Une dernière promotion d’étudiants de L3 Géosciences en 2010–2011, et puis voilà, l’Institut Dolomieu rendait son habit universitaire, pour de bon. Que s’est-il passé depuis pour ce bâtiment de la Bastille ? En 2016, la nouvelle Université Grenoble Alpes vend ses murs à un promoteur lyonnais, puis fin octobre 2019, la société Axis annonce le rachat de l’Institut pour un nouveau projet destiné aux jeunes actifs, intitulé “The babel community”. Si le bâtiment s’est retrouvé abandonné pendant huit longues années, cela n’a pas empêché l’appropriation du lieu par les habitants, malgré les interdictions d’entrer et les incertitudes sur la solidité de la structure.

Sur le réseau Instagram, on découvre ainsi le hashtag #InstitutDolomieu avec plus de 300 occurrences. C’est à la fois “un musée du street-art” pour Nathalie, un terrain d’entraînement de Parkour pour David, ou un “lieu photogénique” pour une séance photo d’Antonin. Toutes celles et ceux qui l’ont visité sont conquis par l’ambiance de ce lieu atypique.

« Ce qui me plaît à Dolomieu, c’est que c’est un endroit qui appartient à tout le monde. Les œuvres ne restent que quelques jours et cela rend l’endroit encore plus spécial. Le fait que cela soit laissé à l’abandon, que les murs et fenêtres soient détruits apportent un petit côté “post-apocalyptique” et rend l’Institut encore plus spécial. » Sonia

Pour le street artist Disecker c’est un terrain d’entraînement, ceci depuis une dizaine d’années. Il se rappelle de l’époque où il y avait encore des vigiles pour sécuriser le site. “Je suis toujours en recherche de lieux urbex [ndlr : exploration urbaine], pour pouvoir créer mes fresques”, explique-t-il via la messagerie Instagram. Un bâtiment avec un bon potentiel de visibilité qui devient “un repli lors des jours de pluie”. Il a pu durant toutes ces années observer la dégradation progressive du bâtiment, “ce qui est dommage car on aurait pu y faire beaucoup de choses”.

Le bâtiment est devenu un lieu connu d’entraînements pour graffer.

Des visiteurs qui viennent de loin

Il règne une atmosphère conviviale ce mardi après-midi à l’Institut Dolomieu, les petits groupes de personnes qui se croisent se disent bonjour. Plus de 20 personnes se baladent dans le bâtiment abandonné et profitent de l’accès au toit pour une vue imprenable.

Quatre étudiants en Master Psychologie du travail sont installés sur un petit muret du toit de gravier, autour d’un goûter-apéro. Deux d’entre eux sont des habitués du lieu et le font découvrir pour la première fois aux deux autres. Le plus habitué des deux y passait deux à trois fois par semaine durant sa licence. C’est pour lui “un lieu à visiter” et il témoigne d’avoir déjà croisé “50 ou 60 personnes” en même temps sur le toit. “C’est comme au parc”, résume-t-il, avec une vue qu’il trouve différente, plus rasante sur les toits, qu’ailleurs sur la Bastille. Pour son collègue, la nuit est moins propice à la tranquillité et il n’aimerait pas venir seul, “c’est plus flippant, on entendait des trucs”.

Un skateur en visite à l’Institut Dolomieu de Grenoble.

Proche de l’entrée-sortie du toit-terrasse, un autre groupe de trois jeunes, deux femmes et un homme. Là encore c’est une initiation, une visite du lieu. Lui, de Voiron, faisait découvrir l’Institut Dolomieu à ses deux amies parisiennes. Ce type de lieu d’exploration urbaine n’était pas nouveau pour le groupe, mais bien un centre d’intérêt. La conversation tourna ensuite sur la présence de déchets, avec la question sous-jacente de l’entretien d’un lieu abandonné. Là encore, c’est surtout “pour la vue” qu’ils sont venus. Par ailleurs, plusieurs groupes se posent sur le muret principal, face à Grenoble. Un couple en profite pour faire un selfie, un autre discute en fumant des cigarettes. Plus loin, un photographe fait une pose longue avec un trépied et un appareil photo reflex.

Dans les étages, “Abdelkader” et “Sam Fisher” (pseudos qu’ils ont choisi pour l’article) ont d’autres arguments pour fréquenter le bâtiment, “c’est posé ici, loin des flics, de la mairie”. Abdelkader vient depuis cinq années. La première fois, il a vu des chaises longues installées sur le toit en prenant les bulles de la Bastille. Il en a conclu qu’on pouvait y accéder. Ce qu’il a ensuite fait régulièrement, parfois pour des barbecues. Pour cette fois, ils étaient accompagnés d’une copine de Saint-Martin d’Hères, qui visitait aussi pour la première fois.

Un nouveau projet pour les jeunes actifs

La plupart des visiteurs ont appris la nouvelle de la rénovation de l’Institut Dolomieu, dont les travaux doivent théoriquement démarrer le 1er décembre. Le projet prévoit l’aménagement de logements à locations courte et moyenne durée, d’un espace de coworking, d’un bar et d’un restaurant sur le toit. Il faudra construire un étage supplémentaire pour ce dernier.

Abdelkader et Sam Fisher n’y croient toujours pas et pensent même “qu’ils n’y arriveront pas” en faisant référence aux tentatives précédentes pour emmurer l’accès principal de l’Institut. Celui-ci avait été rouvert à coups de masse d’après les dires et depuis laissé tel quel. Très récemment, des panneaux de tôles ont été posés à l’Institut Dolomieu sur le grand escalier, ce qui n’empêche pas de monter sur le toit en suivant un parcours précis.

En revanche, l’ancien Institut de Géographie Alpine, compagnon d’abandon tout proche, est complètement fermé d’après un habitué. Le 1er mai 2019, le journal local Le Postillon avait fêté https://platform.twitter.com/widgets.js‘ target=”_blank”>ses 10 ans sur son toit, fanfare à l’appui.

Faire son deuil

Lucette, 23 ans, commence à se faire à l’idée de ne plus pouvoir arpenter l’Institut Dolomieu, avec tristesse. Elle prend une photo en guise de souvenir depuis le pont piéton de l’Isère, avant de répondre à L’avertY. Pour elle, c’est un lieu pour faire des photos, mais pas que. Elle se rappelle cette fois où elle est venue à 6h du matin cet été pour voir le lever de soleil sur les montagnes, avec les vitres cassées qui proposent une autre entrée de lumière.

« Comme c’est un endroit brut et sans filtre, c’est vraiment un endroit qui change avec le temps. Je peux y aller deux fois en une semaine et ça va quand même changer. C’est le genre d’endroit qu’on ne connaît jamais vraiment à 100%. Je suis trop triste de perdre un endroit aussi précieux. » Lucette

Son témoignage, et celui de tous les visiteurs, est à l’exact opposé du constat formulé par la société Axis dans son communiqué de presse, dont voici un extrait : “Qualifié de « verrue » par les habitants, il naît un sentiment d’insécurité qui n’invite pas le public à découvrir le site et nuit à l’image que souhaite refléter le Fort de la Bastille en tant que site culturel et historique”. Face au projet “The babel community” qui se dessine pour une cible des 25–35 ans, Lucette ne s’opposera pas, “je souhaite que ça marche, mais sans plus”. Les étudiants qui visitent ce lieu aujourd’hui seront t-ils les clients du futur co-living et co-working de l’Institut Dolomieu ? Sans doute pas.

Ludovic Chataing, journaliste web pour L’avertY.


Bonus : exploration souterraine de l’Institut Dolomieu pour les abonné·e·s

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