Connue sur la toile grenobloise sous le pseudo “Caro”, cette citoyenne grenobloise partage son expérience de plusieurs années dans une association d’aide aux migrants, mais aussi sa motivation au départ et la réalité du terrain.
Du petit doigt à tout un bras
Quand j’ai décidé de partir à la retraite, c’est à dire de toucher une pension et non plus un salaire, je pensais à la coolitude d’une vie où je pourrai enfin décider de l’heure à laquelle je me lèverai et de mon emploi du temps journalier.
Voyons, j’hésitais : dans quel domaine, dans quelle association pouvais-je apporter mes compétences tout en me faisant plaisir ? Ça commençait mal, c’est comme si je devais refaire un CV, pour moi-même cette fois, pas pour un employeur, sauf à considérer que je serai mon propre employeur.
J’énumère :
– J’ai quelques connaissances juridiques, notamment en droit du travail, et pourrai me former dans d’autres domaines du droit.
– J’ai un bon sens de l’écoute.
– J’ai le goût des voyages, au moins en théorie et dans la pratique de lectures et de visionnages de films à défaut de pouvoir partir sur le terrain.
– J’ai envie d’aider mes concitoyens moins débrouillards.
– J’ai une certaine connaissance de la langue russe.
Finalement « j’ai » pas mal de choses… Comment les rassembler pour tout utiliser ? Et j’entends parler d’une association d’aide aux migrants. Tiens, pourquoi pas… Surtout que mes parents eux-mêmes avaient été des migrants bien intégrés, naturalisés.
« Première, deuxième, troisième génération, nous sommes tous des enfants d’immigrés » chantais-je en manifestant, moi qui suis de la première génération.
Bon voilà, c’est décidé, je fais mes premiers pas dans l’association. Très vite, je suis intégrée comme spécialiste du Caucase, constitué par ces ex-républiques soviétiques où tout le monde parle russe en plus de sa langue maternelle. Mes collègues, pensionné·e·s comme moi, m’apprennent les rudiments de la constitution d’un dossier de demande de régularisation à déposer en préfecture. Je m’instruis aussi en farfouillant sur Internet.
Je commence fort ! Deux couples de Géorgiens, ayant chacun un enfant né en France, sont expulsables, décide la Préfecture. Bonne entrée en matière ! J’apprends à ruser, à conseiller telle ou telle démarche, à rameuter les médias locaux, ça dure… ça dure… cinq ans pour qu’ils soient régularisés, et ils ont beaucoup de chance. J’apprends la patience, ce qui n’est pourtant pas mon fort. Mais pour tirer les migrants d’affaire, il faut savoir aussi composer, comprendre les conséquences de ce qu’on entreprend, les risques éventuels que l’on peut faire courir à des personnes qui nous font confiance.
Et les dossiers s’enchainent, se chevauchent, chacun différent du précédent et du prochain. Et je voyage, du Caucase aux Balkans à l’Afrique subsaharienne avec un petit tour en Asie, etc. J’ai toujours dit que j’aimais le terrain. Je suis servie, je fais le tour du monde à ma table de permanence.
Les gouvernements ont certainement peur que nous nous ennuyons à concevoir les dossiers toujours de la même façon, alors ils promulguent des lois et nous devons nous adapter. Le CESEDA (Code d’Entrée et de Séjour des Étrangers et Demandeurs d’Asile) a été créé sous Chirac. Il est entré en vigueur le 1er mars 2005, initié par Sarkozy ministre de l’intérieur, puis modifié sous Sarkozy président, avec son fameux ministre de l’intérieur Hortefeux, puis sous Hollande avec la circulaire de régularisation, du non moins fameux ministre de l’intérieur Valls et maintenant sous Macron et son encore plus fameux ex-ministre de l’intérieur Collomb. La gestion des étrangers est passée du ministère des Affaires étrangères à celui de l’Intérieur en 2007.
L’attribution de la gestion des migrants à l’Intérieur signifierait-elle que les migrants sont d’abord considérés comme des délinquants ? C’est l’impression que donnent les modifications. Depuis Collomb, il est dit qu’un étranger n’ayant pas obtenu le statut de réfugié « n’a pas vocation à rester en France ». Quand on sait qu’à peine 30 % des demandes d’asile sont acceptées ! Il y aurait donc 70 % de menteurs, bons à être expulsés ? Rester en France est donc devenu un délit ?
Les demandes de titres de séjour sont de plus en plus difficiles à déposer en Préfecture, puisque l’étranger débouté de sa demande d’asile reçoit le plus souvent une obligation de quitter le territoire français (OQTF) dans le mois qui suit le refus. Il faut maintenant déposer une demande de titre de séjour, en même temps quasiment que la demande d’asile. Dans ce cas, seule la demande pour « étranger malade » peut se concevoir, la personne est vraiment malade et ne pourrait accéder aux soins dans son pays. Pour presque toutes les autres demandes, il faut montrer son intégration à la vie française pour espérer avoir un titre à défaut d’être reconnu « réfugié ». Or les délais du traitement des demandes d’asile sont ramenés à 6 mois. Comment peut-on s’intégrer en 6 mois, faire du bénévolat, trouver une promesse d’embauche, nouer des liens dans ce nouveau pays où l’on vient de débarquer ? Mission impossible.
Toute la politique migratoire actuelle tend à expulser les étrangers, même ceux qui travaillent en CDI dont les titres de séjour ne sont pas renouvelés, même les familles avec des enfants scolarisés, souvent très bon élèves, même ceux qui sont malades à qui la préfecture affirme qu’ils peuvent retourner se faire soigner chez eux, etc, etc, etc. Et en même temps le gouvernement veut développer « l’immigration choisie » en accordant des visas et des titres à des diplômés étrangers – dont les pays ont pourtant grandement besoin – sans vouloir admettre que les étrangers, ici, ont déjà les diplômes (du CAP à ingénieur) et l’expérience du travail en France. Ceux-là sont arrivés illégalement, ou avec un visa court séjour, ils ne doivent pas rester et ne doivent pas être régularisés.
Malgré les demandes de toutes les associations nationales et locales, le gouvernement n’a rien modifié de sa loi anti-migrants. Il s’appuie sur sa majorité parlementaire qui a voté tous les articles, le petit doigt sur la couture du pantalon. Les associations se retrouvent donc à devoir se battre au cas par cas, contre des préfectures aux ordres, mais avec l’aide d’avocats spécialisés.
Que dire des tribunaux administratifs où aucun magistrat n’est spécialisé en droit des étrangers ? C’est pile ou face, c’est la roulette russe. Un coup je suspends l’OQTF, un coup je l’approuve.
Que faire, face à tant de souffrances infligées aux migrants ? Fuir les conséquences d’un gouvernement xénophobe ou assumer ses idées pour que son pays redevienne « le pays des droits de l’Homme » ?
J’ai choisi, mon bras y passe, car il faut aussi placer la défense des migrants dans les luttes plus larges de défense des acquis sociaux, du climat, de la démocratisation des pays fuis par les migrants, où les entreprises étrangères règnent en maitres, où les mafias tiennent le haut du pavé, où les populations minoritaires sont discriminées ou même tuées.
Mettre son bras, mais garder son âme, c’est une lutte incessante et elle n’est pas encore finale …
Caro (pseudo)
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