Dolomieu, friche artistique

Avec une mobilisation record pour les votes des 31 octobre et 1er novembre, les lectrices et lecteurs de L’avertY ont choisi le sujet sur l’Institut Dolomieu avec 44% des voix. Derrière la qualification de “verrue” du bâtiment dans la presse locale et dans la bouche du maire de Grenoble se cache tout un public d’exploration urbaine, à découvrir dans cet article de fond.

Entrée de l’Institut Dolomieu, novembre 2019.

Une dernière promotion d’étudiants de L3 Géosciences en 2010–2011, et puis voilà, l’Institut Dolomieu rendait son habit universitaire, pour de bon. Que s’est-il passé depuis pour ce bâtiment de la Bastille ? En 2016, la nouvelle Université Grenoble Alpes vend ses murs à un promoteur lyonnais, puis fin octobre 2019, la société Axis annonce le rachat de l’Institut pour un nouveau projet destiné aux jeunes actifs, intitulé “The babel community”. Si le bâtiment s’est retrouvé abandonné pendant huit longues années, cela n’a pas empêché l’appropriation du lieu par les habitants, malgré les interdictions d’entrer et les incertitudes sur la solidité de la structure.

Sur le réseau Instagram, on découvre ainsi le hashtag #InstitutDolomieu avec plus de 300 occurrences. C’est à la fois “un musée du street-art” pour Nathalie, un terrain d’entraînement de Parkour pour David, ou un “lieu photogénique” pour une séance photo d’Antonin. Toutes celles et ceux qui l’ont visité sont conquis par l’ambiance de ce lieu atypique.

« Ce qui me plaît à Dolomieu, c’est que c’est un endroit qui appartient à tout le monde. Les œuvres ne restent que quelques jours et cela rend l’endroit encore plus spécial. Le fait que cela soit laissé à l’abandon, que les murs et fenêtres soient détruits apportent un petit côté “post-apocalyptique” et rend l’Institut encore plus spécial. » Sonia

Pour le street artist Disecker c’est un terrain d’entraînement, ceci depuis une dizaine d’années. Il se rappelle de l’époque où il y avait encore des vigiles pour sécuriser le site. “Je suis toujours en recherche de lieux urbex [ndlr : exploration urbaine], pour pouvoir créer mes fresques”, explique-t-il via la messagerie Instagram. Un bâtiment avec un bon potentiel de visibilité qui devient “un repli lors des jours de pluie”. Il a pu durant toutes ces années observer la dégradation progressive du bâtiment, “ce qui est dommage car on aurait pu y faire beaucoup de choses”.

Le bâtiment est devenu un lieu connu d’entraînements pour graffer.

Des visiteurs qui viennent de loin

Il règne une atmosphère conviviale ce mardi après-midi à l’Institut Dolomieu, les petits groupes de personnes qui se croisent se disent bonjour. Plus de 20 personnes se baladent dans le bâtiment abandonné et profitent de l’accès au toit pour une vue imprenable.

Quatre étudiants en Master Psychologie du travail sont installés sur un petit muret du toit de gravier, autour d’un goûter-apéro. Deux d’entre eux sont des habitués du lieu et le font découvrir pour la première fois aux deux autres. Le plus habitué des deux y passait deux à trois fois par semaine durant sa licence. C’est pour lui “un lieu à visiter” et il témoigne d’avoir déjà croisé “50 ou 60 personnes” en même temps sur le toit. “C’est comme au parc”, résume-t-il, avec une vue qu’il trouve différente, plus rasante sur les toits, qu’ailleurs sur la Bastille. Pour son collègue, la nuit est moins propice à la tranquillité et il n’aimerait pas venir seul, “c’est plus flippant, on entendait des trucs”.

Un skateur en visite à l’Institut Dolomieu de Grenoble.

Proche de l’entrée-sortie du toit-terrasse, un autre groupe de trois jeunes, deux femmes et un homme. Là encore c’est une initiation, une visite du lieu. Lui, de Voiron, faisait découvrir l’Institut Dolomieu à ses deux amies parisiennes. Ce type de lieu d’exploration urbaine n’était pas nouveau pour le groupe, mais bien un centre d’intérêt. La conversation tourna ensuite sur la présence de déchets, avec la question sous-jacente de l’entretien d’un lieu abandonné. Là encore, c’est surtout “pour la vue” qu’ils sont venus. Par ailleurs, plusieurs groupes se posent sur le muret principal, face à Grenoble. Un couple en profite pour faire un selfie, un autre discute en fumant des cigarettes. Plus loin, un photographe fait une pose longue avec un trépied et un appareil photo reflex.

Dans les étages, “Abdelkader” et “Sam Fisher” (pseudos qu’ils ont choisi pour l’article) ont d’autres arguments pour fréquenter le bâtiment, “c’est posé ici, loin des flics, de la mairie”. Abdelkader vient depuis cinq années. La première fois, il a vu des chaises longues installées sur le toit en prenant les bulles de la Bastille. Il en a conclu qu’on pouvait y accéder. Ce qu’il a ensuite fait régulièrement, parfois pour des barbecues. Pour cette fois, ils étaient accompagnés d’une copine de Saint-Martin d’Hères, qui visitait aussi pour la première fois.

Un nouveau projet pour les jeunes actifs

La plupart des visiteurs ont appris la nouvelle de la rénovation de l’Institut Dolomieu, dont les travaux doivent théoriquement démarrer le 1er décembre. Le projet prévoit l’aménagement de logements à locations courte et moyenne durée, d’un espace de coworking, d’un bar et d’un restaurant sur le toit. Il faudra construire un étage supplémentaire pour ce dernier.

Abdelkader et Sam Fisher n’y croient toujours pas et pensent même “qu’ils n’y arriveront pas” en faisant référence aux tentatives précédentes pour emmurer l’accès principal de l’Institut. Celui-ci avait été rouvert à coups de masse d’après les dires et depuis laissé tel quel. Très récemment, des panneaux de tôles ont été posés à l’Institut Dolomieu sur le grand escalier, ce qui n’empêche pas de monter sur le toit en suivant un parcours précis.

En revanche, l’ancien Institut de Géographie Alpine, compagnon d’abandon tout proche, est complètement fermé d’après un habitué. Le 1er mai 2019, le journal local Le Postillon avait fêté https://platform.twitter.com/widgets.js‘ target=”_blank”>ses 10 ans sur son toit, fanfare à l’appui.

Faire son deuil

Lucette, 23 ans, commence à se faire à l’idée de ne plus pouvoir arpenter l’Institut Dolomieu, avec tristesse. Elle prend une photo en guise de souvenir depuis le pont piéton de l’Isère, avant de répondre à L’avertY. Pour elle, c’est un lieu pour faire des photos, mais pas que. Elle se rappelle cette fois où elle est venue à 6h du matin cet été pour voir le lever de soleil sur les montagnes, avec les vitres cassées qui proposent une autre entrée de lumière.

« Comme c’est un endroit brut et sans filtre, c’est vraiment un endroit qui change avec le temps. Je peux y aller deux fois en une semaine et ça va quand même changer. C’est le genre d’endroit qu’on ne connaît jamais vraiment à 100%. Je suis trop triste de perdre un endroit aussi précieux. » Lucette

Son témoignage, et celui de tous les visiteurs, est à l’exact opposé du constat formulé par la société Axis dans son communiqué de presse, dont voici un extrait : “Qualifié de « verrue » par les habitants, il naît un sentiment d’insécurité qui n’invite pas le public à découvrir le site et nuit à l’image que souhaite refléter le Fort de la Bastille en tant que site culturel et historique”. Face au projet “The babel community” qui se dessine pour une cible des 25–35 ans, Lucette ne s’opposera pas, “je souhaite que ça marche, mais sans plus”. Les étudiants qui visitent ce lieu aujourd’hui seront t-ils les clients du futur co-living et co-working de l’Institut Dolomieu ? Sans doute pas.

Ludovic Chataing, journaliste web pour L’avertY.


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