L’odyssée d’Olivier : Un rythme à deux.
Interview réalisée le 17 août.
Il pensait faire tout le trajet seul. Olivier a finalement été rejoint pour 10 jours de la Suède, jusqu’en Allemagne, par Audrey, son amie qui habite à Chambéry. Un nouveau rythme s’est installé, avec un petit air de vacances dans cette longue odyssée de notre voyageur à vélo. Le voilà déjà à Berlin, à 3500 km de son départ du Cap Nord, où il fait une pause de deux journées complètes. Une première.
Épisodes précédents…
#0 (Re)-lire l’interview d’Olivier au départ fictif à Grenoble
#1 Passer le cap
#2 Fuir les moustiques
#3 Mer fraîche, feux de forêts
#4 2000 km, le bilan du premiers mois
Sur l’interview, au départ à Grenoble, tu m’as dit préférer voyager seul. Malgré cela, tu viens tout de même de faire 10 jours de vélos, accompagné de ton amie Audrey. Qu’est-ce qui a changé à deux ?
Ça a changé les rythmes des journées. On prenait vraiment le temps d’être ensemble, de rouler tranquillement, de profiter des paysages où on passait. J’étais entré dans une routine quotidienne. Monter ma tente le soir, faire mon petit repas, prendre ma douche, démonter la tente le lendemain. Là, en fonctionnant à deux, c’était un peu différent. Au lieu d’aller directement au camping, on passe un peu de temps le soir à chercher un lieu de bivouac. On se retrouve à se balader dans la forêt, il commence à faire nuit.
Avant qu’on se retrouve, j’ai fait des plus longues journées à 100 km par jour, pour arriver sur la côte Ouest de la Suède, à côté de Göteborg. Comme elle avait des dates fixes, ça a rythmé les journées mine de rien. Pareil pour sa date de départ. Elle repartait le samedi, pour arriver au boulot le lundi à Chambéry. Il fallait qu’on soit dans une ville où elle pouvait facilement prendre le bus et rentrer en France. Du coup, sur les quatre, cinq derniers jours, ensemble au Danemark, ça a dicté la distance qu’on devait faire pour arriver à la fin de son trajet à Rostock en Allemagne. Ça change pas mal la manière d’avancer sur le vélo.
Rouler depuis un mois m’a bien entraîné. J’avais la capacité de rouler plus vite qu’elle. On roulait souvent ensemble, et de temps en temps, je partais devant pour pouvoir m’arrêter et prendre une photo. Ça me faisait faire un peu plus de sport. À deux, je pédalais sans vraiment appuyer sur les pédales, j’avançais tranquillement. De temps en temps, je me faisais un petit sprint pour me dégourdir les jambes. On a fait de belles journées à 75–80 km par jour.
Au quotidien, on prend le repas à deux. On prend le temps, de discuter sur ce qu’on a vécu la journée, d’échanger sur le voyage à vélo, sur nos vies respectives. Jusqu’à maintenant, moi le temps du repas, c’était plus utilitaire, de me nourrir et prendre des forces pour la suite. Le soir, on n’a pas fait forcément des grosses soirées. Mais on prenait le temps d’écrire le blog à deux. C’est ce qu’on a fait sur deux ou trois articles. C’était rigolo. D’autres fois, on arrivait tard et elle s’endormait avant que j’aie fini d’écrire.
Il a fallu te réadapter à rouler en solitaire quand elle est partie le 11 août ?
Ce n’était pas facile. Je m’étais assez vite habitué au rythme à deux, 24 heures sur 24. Tout à coup, je me retrouve à nouveau tout seul sur la route, avec mon vélo. Il faut reprendre la marche en avant. Je retrouve assez vite mes automatismes d’avant. Installer le repas, monter la tente, faire les courses pendant la journée. On le faisait à deux, mais là, je me retrouve à le faire tout seul. Pour rechercher un lieu de bivouac, quand on est à deux, on peut explorer chacun un chemin. Ça fait moins d’une semaine, j’ai fait quelques jours sur la route, et après, je suis arrivé à Berlin. Là, c’est à nouveau un rythme différent. C’est bien de sortir de la routine, des habitudes.
Tu es donc à Berlin au moment de cette interview. C’est ton premier gros arrêt depuis le Cap Nord. Qu’est-ce que tu as prévu de faire ? Quel est ton objectif ?
Je fais deux jours entiers pour visiter. Je suis arrivé mercredi soir. Je repars samedi. Mon objectif est de découvrir la ville et son histoire assez chargée. Celle récente du 20ème siècle : le mur de Berlin, la guerre froide, tout ce qui va avec. Hier matin, je suis allé au Musée juif à Berlin. Il y avait une bonne partie orientée sur la vie des Juifs pendant le nazisme. À la fois sur la partie Holocauste, et aussi de l’exil des Juifs, qui ont fuit la ville et le pays pour aller se mettre à l’abri. C’était très poignant, mais bien intéressant. C’est toujours bien de mettre une petite piqûre de rappel sur ces choses-là. C’est ce qui fait qu’on évite de reproduire les mêmes erreurs. Je n’ai pas forcément appris des choses. Mais le fait de le découvrir à Berlin, c’est aussi une signification particulière. C’est un peu le cœur de l’Allemagne nazi. C’est de là que tout est parti. Forcément ça a une signification particulière.
À l’école, on parle beaucoup de la déportation, de l’extermination des Juifs. Il y a aussi énormément de Juifs qui ont quitté le pays, par peur de la mort, de la répression. Typiquement, ça résonne dans l’actualité, parce qu’on parle beaucoup des migrants, des gens qui fuient leur pays. Ce sont des choses qui se sont déjà passées, qui se reproduisent. Par moment, on a l’impression qu’on ne progresse pas beaucoup sur ces questions-là.
Et à part le côté historique ?
Je suis allé voir une grande portion du mur, recouverte d’œuvre d’art, d’artistes du monde entier. C’était juste après la chute du mur. C’est du street art, avec des peintures variées, très jolies. C’est le nouveau visage de Berlin. La culture s’est beaucoup développée. La vie qui reprend après ces années difficiles. Il y a un énorme dynamisme, qu’on sent un peu partout dans la ville. Il y a beaucoup de travaux aussi, ça bouge un peu de partout.
Après avoir beaucoup roulé sur des petites routes de campagne, des petites pistes cyclables, des chemins dans la forêt, me retrouver en ville ça m’a fait un choc. C’est un peu bizarre de retrouver l’agitation de la ville. Même si j’habite en ville à Grenoble, je crois que je me suis vraiment habitué au fait d’être dans la nature, d’être au calme. De me retrouver d’un coup dans cette grande ville, avec des voitures dans tous les sens, des vélos qui doublent à droite, à gauche, le bruit des travaux. Je ne m’attendais vraiment pas à ce choc-là en arrivant ici.
Chaque semaine, L’avertY propose à Olivier de commenter certaines de ses photos prises durant le trajet. Quel est le contexte de la photo ? Quelles anecdotes ? Pourquoi ces choix-là de photos ?
N°11 Plus qu’un mur
« Dans une rue, une bonne partie du mur a été préservée. On peut monter sur le toit du centre de documentation, il y a une plate-forme qui permet d’avoir une vue d’ensemble. On se rend vraiment compte de la taille. C’est toute une infrastructure : un mur, plus une barrière de détection, plus des systèmes anti-véhicules, plus des tours de garde. Une vraie barricade qui a été mise en place, un vrai dispositif pour empêcher les gens de passer. C’est ce qui m’a le plus marqué de ce que j’ai vu jusqu’à maintenant à Berlin. »
N°12 Abri trois étoiles
« Sur le petit ferry pour traverser de la Suède au Danemark, on a rencontré une cycliste néerlandaise qui nous a expliqué que le bivouac était interdit au Danemark, mais par contre qu’il y avait des petits abris qui étaient disponibles un peu partout dans la nature. On pouvait passer la nuit dans un de ces “free shelter”. Il y a une application pour téléphone qui les recense, qui permet de savoir où ils sont. Pour notre premier soir, on a trouvé celui-là, apparemment tout neuf. On a pu s’installer, et ça tombait bien, car on a eu quelques gouttes pendant la soirée. On était bien au sec, bien à l’abri pour se faire à manger, et pour dormir. »
N°13 La pose de l’homme mouette
« Je n’ai pas bien compris au début. Je pensais qu’Audrey voulait faire des photos des mouettes et des oiseaux au bord de la mer. Donc je lui ai préparé l’appareil, je lui ai expliqué les réglages. Et juste après, elle me dit : “non, mais en fait, c’est des photos de toi que je veux faire”. J’ai fait la mouette sur le rocher pour qu’elle puisse me prendre en photo. »
N°14 Lac rosé-orangé
« À la recherche d’un lieu de bivouac pour passer la nuit, on est passé à côté de ce lac. On est descendu dans les petits chemins. On ne savait pas trop où ça allait. Finalement, on est arrivé au bord. On s’est baigné pour se rafraîchir. Pendant qu’on mangeait, le soleil a commencé à bien descendre. On a eu ces belles couleurs-là pendant qu’on mangeait, avec le reflet sur le lac, et le ciel qui devenait tout rose, orange. »
Encouragez Olivier à parcourir les 3500 km restants en envoyant des questions, commentaires, mots sympas à ludovic.chataing@laverty.fr. Rejoignez le salon de discussions Discord. D’autres photos disponibles sur son blog.
Propos recueillis et mise en page par Ludovic Chataing.
Photos Olivier Letz + une photo d’Audrey.