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Toujours présente, toujours debout. Solidement ancrée au sol par 15 mètres de fondations, la tour Perret du Parc Paul Mistral de Grenoble, aux mensurations de 8 mètres de diamètre à sa base pour 90 mètres de hauteur, attend patiemment sa restauration. Construite dès 1924 pour l’Exposition internationale de la Houille blanche et du Tourisme, elle porte alors le doux nom de “Tour pour regarder les montagnes”. C’est en 1954 que la tour prend le nom de l’architecte éponyme, Auguste Perret. Et par la même occasion, celui de ses deux frères, Gustave et Claude, de l’entreprise familiale “Perret frères”.
Si la tour impose un nouveau style en béton armé en devenant la plus haute de sa catégorie (95 mètres avec son antenne de l’époque), l’édifice ne traverse pas les années sans souffrance. Des morceaux de bétons commencent à tomber, dû aux contraintes climatiques. Les travaux réalisés au début des années 50 ne permettent qu’un sursis d’une petite dizaine d’années, avant la fermeture définitive au public en 1960. En 1987, des travaux de purge des bétons sont réalisés, mais plus rien depuis.
Contrairement à ce qui est affirmé un peu partout, la tour n’a pas été conçue pour être éphémère comme la tour Eiffel à Paris. Pour s’en convaincre, il faut faire confiance au spécialiste local Cédric Avenier, auteur de nombreux ouvrages sur le béton, et très largement sollicité dans différents médias locaux. Cette infox (ou fake news) aurait servi à justifier son mauvais état.
La restauration de la tour Perret a été longtemps repoussée. En septembre 2013, une pétition en ligne est déclenchée par Pascal Bioud, soutenue par toutes les associations patrimoniales de l’agglomération. Elle demande à ce que des engagements soient pris au plus tôt pour démarrer des travaux dans les trois années suivantes. La pétition s’appuie sur les conclusions de la dernière étude réalisée en 2011 par Benjamin Mouton, architecte en chef des monuments historiques. La pétition va recueillir en une journée plus de 300 signatures. Parmi les signataires visibles, deux sont actuellement élues conseillères municipales, et l’un adjoint, de la majorité : Fabien Malbet, adjoint école et patrimoine scolaire, Maryvonne Boileau, déléguée à la politique de la Ville, et très logiquement Martine Jullian, déléguée patrimoine historique et mémoire.
En novembre 2013, le média Place Gre’net titrait “La tour Perret sera restaurée en 2014”. Espoirs suscités par les annonces de l’adjoint à l’urbanisme Philippe de Longevialle, de la majorité de l’ancien maire socialiste Michel Destot. Annonce tardive puisque les citoyen·ne·s éliront la majorité actuelle en mars 2014, conduite par Éric Piolle. Le 7 novembre 2016, le Conseil municipal vote à l’unanimité le principe de restauration de la tour. Ce n’est que fin 2018 que la ville met en place une nouvelle palissade de sécurisation, plus haute que la précédente, également destinée à accueillir les œuvres du street-artist Groek (voir plus bas).
Depuis peu, un assistant à maîtrise d’ouvrage, François Botton, a été recruté suite à un appel à candidature en mai 2018. Il aura pour missions au cours de l’année de trouver le bon protocole de restauration, faire de ces travaux un chantier pilote dans la rénovation des bétons anciens, et réaliser les premiers tests en laboratoire et sur le site lui-même.
Tractations depuis 2014
Interpellé en Conseil municipal par l’élue d’opposition Bernadette Cadoux, deux ans après l’élection, le maire répond avoir “pris contact dès l’été 2014, avec les premiers mécènes potentiels, dont les cimentiers”. Nous sommes le 18 avril 2016. Il ajoute que “la suite du projet est conditionnée à cette réussite de cette campagne de mécénat. La Ville va tout faire pour avancer dans les meilleurs délais.” Dans le calendrier provisoire présenté en novembre 2016 par l’élue Martine Jullian, la fin des travaux est envisagée en 2021. Depuis, l’échéance est repoussée à 2022. Ni l’élue au patrimoine, ni la cheffe de projet n’ont mentionné ces premières démarches auprès de mécènes potentiels. À en croire le maire, il faut conclure que la campagne de mécénat amorcée en 2014 ne s’est pas passée comme prévue.
Des comités ouverts aux spécialistes
Le changement de calendrier peut aussi s’expliquer par l’arrivée d’une nouvelle cheffe de projet à la rentrée 2018. Valérie Vacchiani succède à Anne Maheu. C’est elle qui maîtrise le calendrier prévisionnel, en coordonnant tous les acteurs du dossier tour Perret. Et ils sont nombreux. En plus d’un comité de pilotage et un autre de suivi, trois comités d’experts consultatifs ont été créés fin 2016. Y participent des spécialistes de la tour Perret, du béton, mais aussi des employés du service patrimoine de la Ville, ou encore des représentants de la Drac (Direction Régionale des Affaires Culturelles). D’après Valérie Vacchiani, c’est le comité technique qui s’est le plus réuni. Le comité concernant l’usage de la tour Perret s’est réuni deux fois seulement, dont la dernière fois en 2017. Quant au dernier comité, qui s’occupe de la partie financements, voici ce qu’en dit l’élue Martine Jullian : “Les financements ont d’abord été un peu mis de côté parce qu’il faut savoir ce qu’on va faire. Que les financeurs éventuels soient certains que les travaux vont se faire.”
Aligner le budget
Déjà chiffré à 4 554 000 € par une première étude en 2003, le coût total de la restauration de la tour Perret est réévalué d’année en année, pour atteindre aujourd’hui 8 000 000 € TTC. Une estimation réactualisée par la Ville sur la base de la deuxième étude en 2012.
Rien que pour cette dernière étude, ce sont 104 880 € hors taxes qui ont été engagés. Grâce à un document daté du 23 mars 2012, on sait que l’État a pris en charge 40% de ce coût (41 952 €). Une aide facilitée par le classement de la tour Perret aux monuments historiques en 1998. Le Conseil général de l’Isère (aujourd’hui Conseil départemental) avait aussi participé à hauteur de 40% de la somme restante, soit 25 171 €. Si la dépense des 37 757 € restants était soutenable par la Ville de Grenoble, les coûts pour la restauration grimpent cette fois à sept chiffres.
Le processus de financement devrait être le même pour l’État (la Drac) et le Département. Un communiqué de presse de la Ville de Grenoble (février 2017) évoque “environ 4 380 000 €” de subventions de ces deux institutions. Elles ont affiché leur volonté de restaurer la tour Perret, malgré le coût élevé.
Pour les monuments historiques classés, le calcul se fait sur la partie hors taxes. Sur cette base, il faudrait ainsi trouver 2 millions d’euros supplémentaires, pour atteindre 6,4 millions d’euros hors taxes environ. Dans un contexte de baisses de dotations de l’État, la Ville de Grenoble ne souhaite sans doute pas investir autant, au risque de sacrifier le reste de sa politique. C’est pourquoi les campagnes de financement, participatives, prévue autour du mécénat et d’une souscription populaire, doivent être les plus efficaces possibles pour que la Ville de Grenoble ait un minimum à investir sur ses propres fonds. L’élue Martine Jullian assure que “la Ville mettra ce qu’il faut, le restant disons, pour boucler le budget”. Rénover du béton coûte cher. Au Havre, ville reconstruite avec le concours d’Auguste Perret, un îlot de quatre bâtiments dont la structure est en béton armé a coûté 555 000 € d’après France 3 Normandie.
D’autres pistes complémentaires à ces grandes lignes sont envisagées. La municipalité pourra compter sur une aide de la Région. Par ailleurs, le nouveau comité de pilotage “plus partenarial” a intégré Grenoble Alpes Métropole, espérant aussi un appui financier de sa part. Dernière piste, le Loto du patrimoine organisé par Stéphane Bern. Il s’agit d’un loto à base de tickets à gratter de 15€, dont 10% des gains vont à des projets de restauration du patrimoine. La première édition a eu lieu en 2018. En 2019, “on va postuler” assure Martine Jullian.
Patrice Guinard-Brun (vidéo ci-dessus), membre de l’association Ensemble pour la Tour Perret Grenoble (ETPG) a aussi sa petite idée pour animer la souscription populaire. Il a récupéré quelques éclats de bétons, qu’il imagine comme contreparties intéressantes pour les passionnés. La souscription démarrera après le début des travaux, lorsque “le budget sera bien arrêté” précise la cheffe de projet.
La tour comme outil éducatif
Au-delà du défi technique qui s’annonce, la restauration de la tour Perret a été pensée comme un outil pédagogique auprès du public. L’architecte François Botton devra organiser des visites “pour qu’on puisse en parler”, que ce chantier soit ouvert aux habitants, explique Valérie Vacchiani, cheffe de projet. Actuellement, les normes de sécurité limitent l’accès à la tour Perret à 19 personnes en même temps sur la plateforme à 60 mètres. L’architecte devra réévaluer ce point. Si un accident arrivait aujourd’hui, la Ville serait directement responsable. Aujourd’hui, les deux ascenseurs d’époque ne fonctionnent plus, il faut emprunter les escaliers. Quant à l’usage de la tour après rénovation, une chose est sûre :
« La tour a été construite pour être un belvédère des montagnes, ce sera un belvédère des montagnes. » – Valérie Vacchiani, cheffe de projet.
Cependant, la restauration va être l’occasion de replonger dès 2019 sur l’époque de sa construction, de permettre à des élèves, ou futurs donateurs, d’observer les travaux de restauration. En 2017, la tour Perret avait fait l’objet d’un partenariat avec l’IUT 1 de Grenoble à l’occasion de l’éclairage de la tour pour les Journées européennes du patrimoine en septembre.
La base, artistique
Le 25 janvier dernier, une grande palissade en bois a été inaugurée avec les œuvres du street-artist Groek. Jusque-là graffeur pour son propre loisir, c’est son premier projet de cette nature, aussi proche des gens. Il se fait régulièrement interpeller, et remplit un rôle de médiateur culturel auprès du public. Ses figures géométriques reprennent des éléments de la tour Perret, ou de son histoire. C’est le cas des claustras triangulaires de l’édifice.
Son œuvre est aussi participative. En cas de tags, Groek décide s’il souhaite “garder et inclure une partie des interventions” à son travail. C’est pour cette raison qu’il a été retenu par le jury. Cependant, les tags politiques sont effacés par le service de propreté urbaine. En effet, la tour Perret est le point de départ de diverses manifestations du moment. La palissade doit être conservée toute une année avant les premiers tests de travaux de restauration sur place. L’artiste reviendra deux jours par mois pour adapter son œuvre aux interventions.
Des habitants inattendus
Grâce aux observations assidues d’un citoyen grenoblois, la Ville de Grenoble a pu savoir que trois espèces d’oiseaux fréquentent régulièrement la tour. Jean-Marc Coquelet est bénévole à la Ligue pour la Protection des Oiseaux (LPO). Il passe aux abords de la tour depuis au moins 35 ans, grâce à ses trajets domicile-travail, du quartier de la Bajatière (au Sud du Parc Paul Mistral) au Muséum d’histoire naturel (au Nord).
Pour lui, l’espèce la plus intéressante à observer est le faucon pèlerin. Il y vient pour repérer des pigeons ou petits oiseaux, qu’il mange ensuite sur la tour. Il n’y habite pas en permanence. Il y a aussi le faucon crécerelle qui y emmène ses jeunes faucons pour s’exercer au vol. Les deux espèces de faucons dorment parfois en même temps sur la tour, “mais ils s’ignorent”. Les habitants plus réguliers sont des hirondelles de rochers, qui nichent depuis 10 ans sur la tour Perret. Jean-Marc Coquelet est capable de dire qu’un seul couple y loge, et que deux nichées s’envolent du nid par an, “malgré les tirages de feux d’artifices”.
« La tour Perret fait partie de ma vie depuis que j’observe les oiseaux dessus. J’ai appris à aimer toutes ses formes. Au début, je n’aimais pas trop le côté très béton, pas beaucoup de fenêtres. Mais en fait, elle a un style qui est assez intéressant. » – Jean-Marc Coquelet, grenoblois.
Avec le support de la LPO, il imagine pouvoir poser quelques nichoirs pour les hirondelles, avec cette contrainte d’être invisible depuis l’extérieur. Monument historique oblige. Ces nichoirs permettraient de créer une nouvelle colonie pour les hirondelles, qui sont en pertes d’effectifs ces dernières années. “Il faudra trouver des subterfuges. Un défi bien intéressant.”, s’enthousiasme-t-il. Loger des oiseaux, une idée attractive pour susciter l’intérêt de sa restauration ?
Des idées ?
À l’image de cette idée de visite de la faune, l’usage de la tour Perret peut encore évoluer. Les associations patrimoniales ont déjà toutes été sollicitées, et continuent de l’être. Cependant, l’élue Martine Jullian n’est pas contre d’autres idées, “si un habitant lambda veut transmettre ses idées, il peut écrire à la ville, à moi en particulier” [ndlr : martine.jullian@grenoble.fr].
Le processus de restauration de la tour Perret est ainsi amorcé en 2019, avec des inconnues sur les détails. Si Martine Jullian regrette ce démarrage long, “maintenant les choses sont bien parties”. Avec le label Ville d’Arts et d’Histoire délivré par le ministère de la Culture en septembre 2017, et le projet de restauration de la tour, elle espère susciter l’engouement concernant l’ensemble du patrimoine grenoblois.
« Il ne faut pas que cette restauration de la tour soit l’arbre qui cache la forêt. Il y a à Grenoble tout un patrimoine, plus modeste, qui doit être aussi considéré à sa juste valeur. J’aimerais que cette restauration de la tour Perret soit une accroche pour voir aussi ailleurs. Je pense en particulier au quartier de L’abbaye. On a réussi à le sauver à 75%. » – Martine Jullian, conseillère municipale déléguée au patrimoine.
René Bard, membre de Ensemble pour la Tour Perret Grenoble (ETPG), regarde déjà à l’horizon 2025 : “on va dire que pour ses 100 ans, elle sera là, et neuve de nouveau”. Patrice Guinard-Brun, membre du Conseil d’Administration de la même association ajoutait en interview vidéo que la tour est restée fermée durant 60 ans, pour seulement 35 années d’ouverture au public. Pour inverser la tendance, les travaux de restauration devront permettre des visites de la tour jusqu’en 2050. À moins de ne laisser à nouveau la place qu’aux hirondelles et faucons.
Ludovic Chataing, journaliste pour L’avertY.
À découvrir aussi ce mois-ci, la carte numérique
“Voyage temporel avec la tour Perret”.