Grenoble attend sa tour

Le thème “Restauration de la tour Perret” a obtenu 52% des votes le 6 janvier 2019. N’oubliez pas de faire un don si ce contenu vous plaît, ou si vous souhaitez soutenir la production des futurs mensuels multimédias.

Toujours présente, toujours debout. Solidement ancrée au sol par 15 mètres de fondations, la tour Perret du Parc Paul Mistral de Grenoble, aux mensurations de 8 mètres de diamètre à sa base pour 90 mètres de hauteur, attend patiemment sa restauration. Construite dès 1924 pour l’Exposition internationale de la Houille blanche et du Tourisme, elle porte alors le doux nom de “Tour pour regarder les montagnes”. C’est en 1954 que la tour prend le nom de l’architecte éponyme, Auguste Perret. Et par la même occasion, celui de ses deux frères, Gustave et Claude, de l’entreprise familialePerret frères”.

En bas à gauche, Auguste. Gustave en bas à droite. Claude sur le poteau, avec son vélo. Photographie issue des archives nationales. Référence : 535 AP 663.

Si la tour impose un nouveau style en béton armé en devenant la plus haute de sa catégorie (95 mètres avec son antenne de l’époque), l’édifice ne traverse pas les années sans souffrance. Des morceaux de bétons commencent à tomber, dû aux contraintes climatiques. Les travaux réalisés au début des années 50 ne permettent qu’un sursis d’une petite dizaine d’années, avant la fermeture définitive au public en 1960. En 1987, des travaux de purge des bétons sont réalisés, mais plus rien depuis.

Contrairement à ce qui est affirmé un peu partout, la tour n’a pas été conçue pour être éphémère comme la tour Eiffel à Paris. Pour s’en convaincre, il faut faire confiance au spécialiste local Cédric Avenier, auteur de nombreux ouvrages sur le béton, et très largement sollicité dans différents médias locaux. Cette infox (ou fake news) aurait servi à justifier son mauvais état.

Commentaire extrait du site Gre.Mag.

La restauration de la tour Perret a été longtemps repoussée. En septembre 2013, une pétition en ligne est déclenchée par Pascal Bioud, soutenue par toutes les associations patrimoniales de l’agglomération. Elle demande à ce que des engagements soient pris au plus tôt pour démarrer des travaux dans les trois années suivantes. La pétition s’appuie sur les conclusions de la dernière étude réalisée en 2011 par Benjamin Mouton, architecte en chef des monuments historiques. La pétition va recueillir en une journée plus de 300 signatures. Parmi les signataires visibles, deux sont actuellement élues conseillères municipales, et l’un adjoint, de la majorité : Fabien Malbet, adjoint école et patrimoine scolaire, Maryvonne Boileau, déléguée à la politique de la Ville, et très logiquement Martine Jullian, déléguée patrimoine historique et mémoire.

En novembre 2013, le média Place Gre’net titrait “La tour Perret sera restaurée en 2014”. Espoirs suscités par les annonces de l’adjoint à l’urbanisme Philippe de Longevialle, de la majorité de l’ancien maire socialiste Michel Destot. Annonce tardive puisque les citoyen·ne·s éliront la majorité actuelle en mars 2014, conduite par Éric Piolle. Le 7 novembre 2016, le Conseil municipal vote à l’unanimité le principe de restauration de la tour. Ce n’est que fin 2018 que la ville met en place une nouvelle palissade de sécurisation, plus haute que la précédente, également destinée à accueillir les œuvres du street-artist Groek (voir plus bas).

Depuis peu, un assistant à maîtrise d’ouvrage, François Botton, a été recruté suite à un appel à candidature en mai 2018. Il aura pour missions au cours de l’année de trouver le bon protocole de restauration, faire de ces travaux un chantier pilote dans la rénovation des bétons anciens, et réaliser les premiers tests en laboratoire et sur le site lui-même.

Tractations depuis 2014

Interpellé en Conseil municipal par l’élue d’opposition Bernadette Cadoux, deux ans après l’élection, le maire répond avoir “pris contact dès l’été 2014, avec les premiers mécènes potentiels, dont les cimentiers”. Nous sommes le 18 avril 2016. Il ajoute que “la suite du projet est conditionnée à cette réussite de cette campagne de mécénat. La Ville va tout faire pour avancer dans les meilleurs délais.” Dans le calendrier provisoire présenté en novembre 2016 par l’élue Martine Jullian, la fin des travaux est envisagée en 2021. Depuis, l’échéance est repoussée à 2022. Ni l’élue au patrimoine, ni la cheffe de projet n’ont mentionné ces premières démarches auprès de mécènes potentiels. À en croire le maire, il faut conclure que la campagne de mécénat amorcée en 2014 ne s’est pas passée comme prévue.

Des comités ouverts aux spécialistes

Le changement de calendrier peut aussi s’expliquer par l’arrivée d’une nouvelle cheffe de projet à la rentrée 2018. Valérie Vacchiani succède à Anne Maheu. C’est elle qui maîtrise le calendrier prévisionnel, en coordonnant tous les acteurs du dossier tour Perret. Et ils sont nombreux. En plus d’un comité de pilotage et un autre de suivi, trois comités d’experts consultatifs ont été créés fin 2016. Y participent des spécialistes de la tour Perret, du béton, mais aussi des employés du service patrimoine de la Ville, ou encore des représentants de la Drac (Direction Régionale des Affaires Culturelles). D’après Valérie Vacchiani, c’est le comité technique qui s’est le plus réuni. Le comité concernant l’usage de la tour Perret s’est réuni deux fois seulement, dont la dernière fois en 2017. Quant au dernier comité, qui s’occupe de la partie financements, voici ce qu’en dit l’élue Martine Jullian : “Les financements ont d’abord été un peu mis de côté parce qu’il faut savoir ce qu’on va faire. Que les financeurs éventuels soient certains que les travaux vont se faire.

Aligner le budget

Déjà chiffré à 4 554 000 € par une première étude en 2003, le coût total de la restauration de la tour Perret est réévalué d’année en année, pour atteindre aujourd’hui 8 000 000 € TTC. Une estimation réactualisée par la Ville sur la base de la deuxième étude en 2012.

Visualisation des nouvelles évaluations du coût total de la restauration de la tour Perret.

Rien que pour cette dernière étude, ce sont 104 880 € hors taxes qui ont été engagés. Grâce à un document daté du 23 mars 2012, on sait que l’État a pris en charge 40% de ce coût (41 952 €). Une aide facilitée par le classement de la tour Perret aux monuments historiques en 1998. Le Conseil général de l’Isère (aujourd’hui Conseil départemental) avait aussi participé à hauteur de 40% de la somme restante, soit 25 171 €. Si la dépense des 37 757 € restants était soutenable par la Ville de Grenoble, les coûts pour la restauration grimpent cette fois à sept chiffres.

Le processus de financement devrait être le même pour l’État (la Drac) et le Département. Un communiqué de presse de la Ville de Grenoble (février 2017) évoque “environ 4 380 000 €” de subventions de ces deux institutions. Elles ont affiché leur volonté de restaurer la tour Perret, malgré le coût élevé.

Pour les monuments historiques classés, le calcul se fait sur la partie hors taxes. Sur cette base, il faudrait ainsi trouver 2 millions d’euros supplémentaires, pour atteindre 6,4 millions d’euros hors taxes environ. Dans un contexte de baisses de dotations de l’État, la Ville de Grenoble ne souhaite sans doute pas investir autant, au risque de sacrifier le reste de sa politique. C’est pourquoi les campagnes de financement, participatives, prévue autour du mécénat et d’une souscription populaire, doivent être les plus efficaces possibles pour que la Ville de Grenoble ait un minimum à investir sur ses propres fonds. L’élue Martine Jullian assure que “la Ville mettra ce qu’il faut, le restant disons, pour boucler le budget”. Rénover du béton coûte cher. Au Havre, ville reconstruite avec le concours d’Auguste Perret, un îlot de quatre bâtiments dont la structure est en béton armé a coûté 555 000 € d’après France 3 Normandie.

D’autres pistes complémentaires à ces grandes lignes sont envisagées. La municipalité pourra compter sur une aide de la Région. Par ailleurs, le nouveau comité de pilotage “plus partenarial” a intégré Grenoble Alpes Métropole, espérant aussi un appui financier de sa part. Dernière piste, le Loto du patrimoine organisé par Stéphane Bern. Il s’agit d’un loto à base de tickets à gratter de 15€, dont 10% des gains vont à des projets de restauration du patrimoine. La première édition a eu lieu en 2018. En 2019, “on va postuler” assure Martine Jullian.

Patrice Guinard-Brun (vidéo ci-dessus), membre de l’association Ensemble pour la Tour Perret Grenoble (ETPG) a aussi sa petite idée pour animer la souscription populaire. Il a récupéré quelques éclats de bétons, qu’il imagine comme contreparties intéressantes pour les passionnés. La souscription démarrera après le début des travaux, lorsque “le budget sera bien arrêté” précise la cheffe de projet.

La tour comme outil éducatif

Au-delà du défi technique qui s’annonce, la restauration de la tour Perret a été pensée comme un outil pédagogique auprès du public. L’architecte François Botton devra organiser des visites “pour qu’on puisse en parler”, que ce chantier soit ouvert aux habitants, explique Valérie Vacchiani, cheffe de projet. Actuellement, les normes de sécurité limitent l’accès à la tour Perret à 19 personnes en même temps sur la plateforme à 60 mètres. L’architecte devra réévaluer ce point. Si un accident arrivait aujourd’hui, la Ville serait directement responsable. Aujourd’hui, les deux ascenseurs d’époque ne fonctionnent plus, il faut emprunter les escaliers. Quant à l’usage de la tour après rénovation, une chose est sûre :

« La tour a été construite pour être un belvédère des montagnes, ce sera un belvédère des montagnes. » – Valérie Vacchiani, cheffe de projet.

Cependant, la restauration va être l’occasion de replonger dès 2019 sur l’époque de sa construction, de permettre à des élèves, ou futurs donateurs, d’observer les travaux de restauration. En 2017, la tour Perret avait fait l’objet d’un partenariat avec l’IUT 1 de Grenoble à l’occasion de l’éclairage de la tour pour les Journées européennes du patrimoine en septembre.

La base, artistique

Le 25 janvier dernier, une grande palissade en bois a été inaugurée avec les œuvres du street-artist Groek. Jusque-là graffeur pour son propre loisir, c’est son premier projet de cette nature, aussi proche des gens. Il se fait régulièrement interpeller, et remplit un rôle de médiateur culturel auprès du public. Ses figures géométriques reprennent des éléments de la tour Perret, ou de son histoire. C’est le cas des claustras triangulaires de l’édifice.

Benoît, 39 ans, connu sous son nom d’artiste Groek.
Exemple d’un tag inclus à l’œuvre de Groek.

Son œuvre est aussi participative. En cas de tags, Groek décide s’il souhaite “garder et inclure une partie des interventions” à son travail. C’est pour cette raison qu’il a été retenu par le jury. Cependant, les tags politiques sont effacés par le service de propreté urbaine. En effet, la tour Perret est le point de départ de diverses manifestations du moment. La palissade doit être conservée toute une année avant les premiers tests de travaux de restauration sur place. L’artiste reviendra deux jours par mois pour adapter son œuvre aux interventions.

Des habitants inattendus

Grâce aux observations assidues d’un citoyen grenoblois, la Ville de Grenoble a pu savoir que trois espèces d’oiseaux fréquentent régulièrement la tour. Jean-Marc Coquelet est bénévole à la Ligue pour la Protection des Oiseaux (LPO). Il passe aux abords de la tour depuis au moins 35 ans, grâce à ses trajets domicile-travail, du quartier de la Bajatière (au Sud du Parc Paul Mistral) au Muséum d’histoire naturel (au Nord).

De gauche à droite : le faucon pèlerin, le faucon crécerelle et l’hirondelle de rochers.

Pour lui, l’espèce la plus intéressante à observer est le faucon pèlerin. Il y vient pour repérer des pigeons ou petits oiseaux, qu’il mange ensuite sur la tour. Il n’y habite pas en permanence. Il y a aussi le faucon crécerelle qui y emmène ses jeunes faucons pour s’exercer au vol. Les deux espèces de faucons dorment parfois en même temps sur la tour, “mais ils s’ignorent”. Les habitants plus réguliers sont des hirondelles de rochers, qui nichent depuis 10 ans sur la tour Perret. Jean-Marc Coquelet est capable de dire qu’un seul couple y loge, et que deux nichées s’envolent du nid par an, “malgré les tirages de feux d’artifices”.

« La tour Perret fait partie de ma vie depuis que j’observe les oiseaux dessus. J’ai appris à aimer toutes ses formes. Au début, je n’aimais pas trop le côté très béton, pas beaucoup de fenêtres. Mais en fait, elle a un style qui est assez intéressant. » – Jean-Marc Coquelet, grenoblois.

Avec le support de la LPO, il imagine pouvoir poser quelques nichoirs pour les hirondelles, avec cette contrainte d’être invisible depuis l’extérieur. Monument historique oblige. Ces nichoirs permettraient de créer une nouvelle colonie pour les hirondelles, qui sont en pertes d’effectifs ces dernières années. “Il faudra trouver des subterfuges. Un défi bien intéressant.”, s’enthousiasme-t-il. Loger des oiseaux, une idée attractive pour susciter l’intérêt de sa restauration ?

Des idées ?

À l’image de cette idée de visite de la faune, l’usage de la tour Perret peut encore évoluer. Les associations patrimoniales ont déjà toutes été sollicitées, et continuent de l’être. Cependant, l’élue Martine Jullian n’est pas contre d’autres idées, “si un habitant lambda veut transmettre ses idées, il peut écrire à la ville, à moi en particulier” [ndlr : martine.jullian@grenoble.fr].

Le processus de restauration de la tour Perret est ainsi amorcé en 2019, avec des inconnues sur les détails. Si Martine Jullian regrette ce démarrage long, “maintenant les choses sont bien parties”. Avec le label Ville d’Arts et d’Histoire délivré par le ministère de la Culture en septembre 2017, et le projet de restauration de la tour, elle espère susciter l’engouement concernant l’ensemble du patrimoine grenoblois.

« Il ne faut pas que cette restauration de la tour soit l’arbre qui cache la forêt. Il y a à Grenoble tout un patrimoine, plus modeste, qui doit être aussi considéré à sa juste valeur. J’aimerais que cette restauration de la tour Perret soit une accroche pour voir aussi ailleurs. Je pense en particulier au quartier de L’abbaye. On a réussi à le sauver à 75%. » – Martine Jullian, conseillère municipale déléguée au patrimoine.

René Bard, membre de Ensemble pour la Tour Perret Grenoble (ETPG), regarde déjà à l’horizon 2025 : “on va dire que pour ses 100 ans, elle sera là, et neuve de nouveau”. Patrice Guinard-Brun, membre du Conseil d’Administration de la même association ajoutait en interview vidéo que la tour est restée fermée durant 60 ans, pour seulement 35 années d’ouverture au public. Pour inverser la tendance, les travaux de restauration devront permettre des visites de la tour jusqu’en 2050. À moins de ne laisser à nouveau la place qu’aux hirondelles et faucons.

Ludovic Chataing, journaliste pour L’avertY.


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À découvrir aussi ce mois-ci, la carte numérique 
Voyage temporel avec la tour Perret”.

Lien : http://bit.ly/VoyagePerret

SDF de nos rues, quelles sont leurs histoires ?

Thème élu avec 81% des votes fin novembre. Cet article de fond se compose en deux parties distinctes. La première partie raconte les différentes histoires des sans domicile fixe (SDF) à Grenoble. La deuxième partie évoque des solutions pour agir en tant que citoyen·ne.

Johanna, Christophe, Stéphanie, Lucciano, Jules, Laurent, Georges, Diego, René, Messaouda, Isabelle… Ils connaissent, ou ont connu, le monde de la rue. L’avertY les a rencontrés lors d’une maraude avec Help SDF Grenoble, au Noël du Samu social au Jardin de Ville, lors de l’Assemblée Générale du Parlons-en, ou encore au repas annuel offert par Pierre Pavy au restaurant Le 5. Il n’y a pas d’histoire type. Chacun·e a ses raisons d’être dans la rue, d’y vivre, de dormir sous une tente, ou dans un hébergement temporaire.

La quête spirituelle de Johanna

Nous sommes devant la gare, un jeudi soir, peu après 20h, avec deux personnes du collectif Help SDF Grenoble. Elles ont amené des boissons chaudes, des vêtements, des pâtisseries et pains invendus récupérés dans une boulangerie. Christophe, Stéphanie et Johanna sont autour de ce banc tout neuf, en bois, proche des rails du tram. Stéphanie cherche des vêtements dans la grosse valise. Christophe boit une bière en canette. Johanna, elle, prend un café et se roule une clope. En discutant avec elle, j’apprends qu’elle voyage de “sanctuaire en sanctuaire”, en tant que pèlerin. Ses arrêts dans un même lieu ne durent jamais trop longtemps. De quelques heures à quelques jours. Elle veut rencontrer du monde. Ses voyages se font en stop, en bus, ou en train quand on lui paye le déplacement. Si elle préfère visiter le sud de la France, cela lui arrive aussi d’aller en Italie où elle s’est mise à parler un peu la langue pour se faire comprendre. Parfois, elle repasse par Lille voir sa famille. En ce qui concerne Grenoble, elle y passe plus souvent qu’ailleurs. Son contact dans la rue semble bien se passer avec les habitants. Une dame l’a récemment hébergée à Gap, et lui a payé le train jusqu’ici. Une autre lui a offert ses gants, qu’elle venait pourtant d’acheter. Ce choix de voyager, c’est sa ligne directrice de vie. Derrière cette histoire, que s’est-il passé dans la vie de Johanna ? On ne pourra pas le savoir en une seule rencontre. Elle se rappelle qu’à ses 12 ans, elle préférait discuter avec les personnes qui traînaient devant l’église, plutôt que d’assister à la messe. Elle se faisait reprendre par sa mère, sans vraiment comprendre pourquoi. Cela fait 6 mois qu’elle voyage comme pèlerin. Ce soir-là, elle ira dormir sous tente vers la Bastille, avec Christophe et/ou Stéphanie. Les températures de ce 13 décembre étaient négatives.

Laurent, emprunt de liberté

Ce mardi, il est assis à une table avec quatre autres hommes au restaurant Le 5. Depuis plusieurs années, le restaurateur Pierre Pavy y organise une fois par an un repas de Noël, pour les personnes précaires. Elles devaient initialement récupérer un ticket auprès de l’association Accueil SDF. Même sans ticket, certaines personnes ont été reçues. Le restaurant est bien chauffé, et donne un cadre très sécurisant pour les personnes accueillies.

Je ne m’attendais pas à rencontrer quelqu’un comme Laurent parmi les personnes sans domicile fixe. D’apparence jeune, malgré une calvitie bien présente, avec des cheveux très bouclés. C’est un solitaire. Il vit depuis 4 ans et demi, sous sa tente, en bivouac. Tous les soirs, il plante sa tente et la démonte dès l’aube. Les riverains ont peu de chance de le croiser ou de le repérer, car il change souvent de lieu. Il avoue quand même avoir ses petites habitudes à Gières. Pour lui, c’est un coin de l’agglomération plus tranquille, loin de toute violence. Très sociable, il raconte son choix de vivre en totale liberté. Sans développer, il explique qu’il est très engagé dans ses relations, et qu’il ne veut pas faire subir ça à son entourage. Dans le restaurant, les bénévoles coiffés d’un bonnet rouge et blanc de Noël s’activent pour faire le service. Après une soupe en entrée, un gratin dauphinois est servi avec de la viande. Laurent signale alors qu’il n’en mange pas. Sa demande a été prise en compte, sans sourciller, avec le sourire.

Gratin dauphinois sans viande pour Laurent.

En journée, Laurent passe son temps à lire dans les bibliothèques. Il préfère celles du campus, et peut y passer 7 heures par jour. Il continue de suivre l’actualité grâce à son poste radio, même si en ce moment il n’a plus de piles. “Secret d’infos”, diffusée le samedi à 13h20 sur France Inter, est une émission qu’il apprécie particulièrement. Côté presse écrite, il achète et lit Le Postillon, un média local qui ne mâche pas ses mots. La discussion avec lui autour de ma démarche de journaliste est passionnante, comme cela peut l’être avec un ami, ou avec n’importe qui s’intéressant de près aux médias. Sa ligne directrice de vie, c’est la liberté. Ce jour-là, il n’était pas seul, entouré des 107 autres personnes qui ont pu manger un bon repas, bien installées, et au chaud.

Georges, la justice jusqu’au bout

Parmi ces autres personnes présentes au restaurant, il y a Georges, 65 ans. À sa table, ils sont quatre hommes. En face de lui, je reconnais et salue à nouveau Christophe, rencontré avec Johanna la semaine précédente, mais aussi lors du Noël de la rue, organisé au Jardin de Ville par l’association Vinci. Georges est beaucoup plus méfiant, et moins à l’aise que les autres personnes que j’ai rencontrées dans le restaurant. Même ici, il se méfie de possibles vols. Il voulait bien raconter son histoire, mais préférait le faire en privé. Dehors, le soleil brille. À la suite du repas, nous nous installons sur les grandes marches du musée de Grenoble. Pour lui, ce sont des sentiments d’injustice et de trahison qui ont rythmé sa vie depuis 28 ans. À cette époque, il travaillait pour l’entreprise Seb. Son histoire n’est pas très claire, mais deux choses sont sûres : il a perdu son travail et a divorcé. Il ne s’est pas senti soutenu par sa famille. Il m’expliquait que son frère venait le “harceler”, sans plus de détails. Depuis, il vit principalement seul. Encore récemment, il habitait dans son logement du Nord-Isère, entre Vienne et Bourgoin-Jallieu. Un procès en appel l’a amené jusqu’à Grenoble. Est-ce qu’on l’a expulsé de son logement pour non-paiement de loyers ? Quelle est la condamnation formulée par la justice ? Les informations restent incomplètes lors de notre discussion. J’apprends tout de même que son avocat commis d’office n’avait tenu que 15 jours avant de se rétracter. La fracture avec la société est bien là. Georges n’a plus confiance dans les institutions. Il garde quand même une volonté de justice très forte, continue d’écrire à la préfecture, au Département, à la Région. Même face à l’absence de réponses, “je ne lâcherai jamais”, dit-il. Pour lui, c’est ça ou la mort.

Dans la rue depuis 4 mois, il passe par le réseau de bibliothèques pour écrire ses lettres. Un combat qui lui coûte un peu d’argent. Le reste du temps, Georges se cultive en allant à des expositions culturelles. Il part en montagne aussi pour s’aérer l’esprit. Il connaît bien les accueils de jour de Grenoble, et peut manger trois repas par jour. Sa petite astuce ? Le petit-déjeuner du Secours Catholique est plus copieux que celui proposé par Accueil SDF à la Maison des Habitants (MDH) Centre Ville de Grenoble (dit “Vieux Temple”). Il ne fait pas la manche mais revend des tickets restaurants. Il n’en a utilisé pour lui qu’en été, lorsque les accueils de jour ont fermé. Comme avec Johanna, la discussion est difficile à rompre.

René, habitué du repas de Noël du restaurant Le 5, entouré par deux bénévoles.

Paroles d’ancien·ne·s

Des projets de vie parmi les sans domicile fixe, il y en a plus qu’on ne croit. Diego, lui aussi présent au repas annuel du 5, veut aller vivre en Auvergne. Son idéal de vie, c’est le style “cow-boy”. Avec son look, chapeau et cuir, barbichette blanche, on ne peut pas se tromper. Une personne de la table lui lance “et tu as garé ton cheval dehors ?”. Non, mais il est passionné de moto. Il sait conduire des tracteurs. Il se projette bien pour travailler dans une ferme. Là encore, il semble que ce soit un problème avec sa femme qui ait bouleversé sa vie. Pour Kamel, ex-SDF rencontré au Noël de la rue du Jardin de Ville, son projet à l’époque était très clair : travailler en France pour “changer d’air”. Pourquoi en France ? Parce qu’il parlait déjà français. Ce Belge de naissance s’est d’abord dirigé à Marseille, avant de migrer à Grenoble, un mois plus tard. Un ami lui a certifié que ce serait plus facile ici. Alors qu’il pouvait bénéficier d’une place en foyer à Marseille, Kamel n’obtient rien du numéro d’hébergement d’urgence, le 115, et se retrouve à dormir sous tente à Grenoble. Tout en continuant à chercher du travail. C’est grâce au financement d’une habilitation électrique par Pôle Emploi qu’il trouve du travail en intérim. Mais ça ne suffit pas pour trouver un logement stable.

“Je travaillais, je dormais dehors. Et ça, c’était le plus dur. Pour se laver, pour manger, c’est compliqué. Je me lavais dans les fontaines. Quand on termine de travailler, on ne sait pas où aller.” — Kamel

Le système social et associatif de Grenoble n’a pas prévu d’accueils adaptés pour les personnes qui travaillent le soir jusqu’à 19h ou 20h. Accepté au Centre d’Accueil Intercommunal à Grenoble le 18 septembre 2017, on lui propose tout de même de lui garder des repas le soir. Kamel préfère se débrouiller seul et manger dehors. “Je ne veux pas profiter du système. C’est ma personnalité à moi, je suis comme ça.” Entre-temps, il passe une autre formation avec Pôle Emploi, en fibre optique, et se fait embaucher en CDI dans la foulée. Il passe tout de même 9 mois dans le centre d’hébergement d’urgence, et accepte le premier logement qu’on lui propose. Aujourd’hui, il est bénévole pour l’association Vinci, qui va à la rencontre des personnes à la rue toute l’année.

“On m’a aidé, j’ai envie d’aider les autres. Vu la misère qu’il y a, si je peux donner du mien, je donne du mien.” — Kamel

Après plusieurs mois ou plusieurs années dans la rue, Isabelle et Messaouda ont, elles aussi, quitté la rue. Présentes lors de l’Assemblée Générale du Parlons-en à Cap Berriat samedi 15 décembre, elles témoignent en interviews vidéo de leur histoire, et plus largement, de la vie à la rue aujourd’hui.

Avec et sans RSA

Une autre personne rencontrée à l’espace de débats Parlons-en me racontait qu’on pouvait assez bien vivre à la rue avec un RSA. Sans loyer, et sans consommation de drogue ou alcool, il n’y a plus beaucoup de frais. Comme exemple, cet intermittent de la rue me raconte qu’il a pu s’acheter un groupe électrogène d’occasion à 100€. Christophe, cité précédemment, vit lui aussi grâce au RSA. C’est par La Poste qu’il peut retirer son argent. Il y a environ deux mois, il a pu faire sa nouvelle carte d’identité. Cette annonce sonne comme un soulagement. Il m’explique qu’il peut ainsi retirer de l’argent à La Poste à Grenoble en présentant sa carte. Autrement, il doit retourner à Chambéry, là où il a fait sa démarche de RSA. Pour lui, Chambéry “ce n’est plus pareil” depuis que la police lui a demandé de quitter le parc où il dormait régulièrement. Originaire de Bourges, il vit à la rue depuis ses 18 ans. Coiffé d’une casquette, plusieurs dents en moins, très souriant, il m’affirme avoir 42 ans, alors qu’on lui en donnerait 30, au plus. Au repas organisé par le restaurateur Pierre Pavy, il explique que les personnes de la rue se connaissent toutes. Il suffit de deux ou trois mois pour savoir comment fonctionne chaque groupe. Sur les trois rencontres avec lui, il buvait à deux reprises une canette de bière 8.6.

Les étrangers, eux, n’ont pas droit au RSA. Actuellement, deux familles vivent sous tente et abri de fortune sous le pont du train, proche de l’arrêt de tram Saint-Bruno à Grenoble. J’ai l’occasion de discuter avec Lucciano, 26 ans, lors de la maraude avec Help SDF Grenoble. Parmi la quinzaine de personnes présentes pour manger quelques viennoiseries, ou prendre une boisson chaude, c’est le seul qui parle un peu français. C’est lui qui m’apprend que la première famille est macédonienne, et la sienne albanaise, arrivée sur place début décembre. Les deux groupes vivent côte à côte, mais sont bien distincts. Deux garçons de moins de 10 ans sont présents. Une illustration du témoignage de Nicole Pellerin, secrétaire de l’association Vinci, qui dénombre entre 250 et 300 enfants rencontrés dans les maraudes chaque mois à Grenoble.

“Je n’ose pas imaginer le chiffre dans la France entière. Ce sont des enfants parfois scolarisés, mais qui malgré tout restent à la rue. Ce qui nous révolte d’autant plus, car cela veut dire qu’ils ont été identifiés par leur mairie, qu’ils sont connus sur le plan scolaire. En tant que bénévole, quelle que soit la maturité qu’on ait dans les maraudes, c’est quelque chose de très difficile à vivre que de laisser un enfant dans la rue”. — Nicole Pellerin.

Le même soir, je croise Jules, Camerounais. Il faisait partie d’un groupe plus grand en journée, mais le soir, chacun se met en quête d’un logement en solitaire. Pour cette nuit, il va essayer de trouver un compatriote qui pourra l’héberger.


Comment réagir, agir ?

En participant aux maraudes, son regard sur la précarité peut changer. En groupe, il y a deux approches à Grenoble. Celle, plus structurée, de l’association Vinci — Samu social de Grenoble avec une réunion d’accueil, et des équipes de trois personnes fixes. Il suffit de les contacter via leur site web. Celle, plus débrouillarde, du collectif Help SDF Grenoble, géré via le réseau social Facebook. La prise de contact peut-être plus hasardeuse, mais des équipes tournent presque chaque soir en semaine. Les membres du collectif s’organisent ensuite par conversation de groupe sur l’application Messenger. Les initiatives des membres permettent de récupérer des dons. À l’image de cette collecte de vêtements réalisée dans une école aux Avenières dans le Nord-Isère. L’école n’avait pas réfléchi à quelle association transmettre les dons. Une bénévole du collectif a récupéré et stocké chez elle les dons, et les redistribue sur Grenoble dès que possible. De manière générale, les structures cherchent régulièrement de nouveaux bénévoles.

Une autre approche, plus directe encore, est mise en avant par l’association Entourage. À son échelle individuelle, elle explique les gestes simples que l’on peut faire lorsqu’on croise un sans-domicile dans la rue.

En plus de ces vidéos ludiques, l’association a développé une application web pour proposer des actions citoyennes auprès des précaires de l’agglomération grenobloise. L’application fonctionne aussi dans l’autre sens. Les précaires peuvent aussi demander des services. C’était le cas de David à Grenoble, qui avait besoin de faire garder ses chiens. Actuellement, le réseau Entourage cherche un nouveau souffle localement, et tente de recruter des bénévoles “ambassadeurs”, aux rôles distincts : animateurs, amplificateurs et modérateurs. Faire vivre la solidarité à travers le numérique n’est pas encore gagné. Il existe aussi depuis 2017 le site Solidarités-Grenoble de la Ville de Grenoble, qui permet déjà de recenser de nombreux points d’accueil.

De l’aide à double sens ?

“Les gens nous apportent des choses. Il faut faire pour comprendre. Vous allez rencontrer des gens dans la rue, vous allez voir leur misère, mais dans leur misère ils vont vous apporter quelque chose qui va vous faire du bien.” — Kamel

“Un sentiment… extraordinaire ? Fabuleux ? Il n’y a pas de mot.” — Nicole Pellerin, à propos des maraudes.

“Il faut ouvrir son cœur”- Isabelle du Parlons-en.

Des liens pour aller plus loin

Reportage proposé par Ludovic Chataing, journaliste pour L’avertY.
Site web : www.laverty.fr


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Vols de vélos à Grenoble, une fatalité ?

Thème mensuel élu par les internautes le 6 novembre sur L’avertY.

« Tous des voleurs de vélo ces Grenoblois !!! », se disait déjà “guilmo” en 2004 sur un forum spécialisé. Les vols de vélos à Grenoble, ça ne date pas d’hier. Une preuve de plus, cette déclaration trouvée sur un autre forum d’un vol de vélo dans la région en 1994 ! Envoyée en 2008, écrite par un certain “Meg2” :

« Le risque de vol est élevé à Grenoble, mais ne pas rester fataliste : on m’a volé un vélo en 1994. L’antivol, une chaîne pas très épaisse, a été sectionné. Après ce vol, j’ai investi dans un solide antivol en U, et j’attache toujours le cadre à un point fixe, arceau ou poteau. Grâce aux U, j’ai déjà échappé à deux tentatives de vol. Un vol dans ma copropriété où deux vélos de voisins ont été embarqués, et pas le mien. Une autre tentative de vol, de nuit, dans une rue peu fréquentée. Il y avait des traces d’outils agressifs sur mon U. »

Un sujet vieux comme le vélo ? Le dernier chiffre officiel sur les vols de vélos en France concerne l’année 2016. Dans le rapport annuel InseeONDRP, on apprend que 354 000 ménages ont subi un vol ou tentative de vol cette année-là. Cela correspond à 2,3% des ménages équipés d’au moins un vélo. Des chiffres en relative stagnation, depuis une forte hausse en 2013. Le rapport ne s’appuie pas sur les déclarations de vol à la Police Nationale. C’est l’Insee qui va interroger en face-à-face un échantillon représentatif de 16 000 ménages (voir page 6 du document). On estime par ailleurs à plus de 20 millions le nombre de vélos en circulation en France.

Tout comme “Meg2”, les acteurs grenoblois en faveur du développement du vélo vous donneront des bons conseils pour bien attacher le vôtre. À commencer par “l’Association de Développement des Transports en Commun (ADTC) — Se déplacer autrement”, en lien avec la Fédération française des Usagers de la Bicyclette (FUB).

Idéalement, deux cadenas pour un seul vélo, reconnus pour leur résistance face aux voleurs. La FUB propose aux cyclistes de vérifier la fiabilité des antivols sur son site. Chaque cadenas est évalué “deux roues” pour le maximum, “une roue” pour un cadenas intermédiaire, et “aucune roue” signifiant que vous avez été chanceux avec votre antivol jusque-là. Évidemment, la qualité de ces antivols fonctionne avec le prix. Exemple pour les cadenas en “U” étiqueté “deux roues”, ils coûtent au moins 20€, et peuvent aller jusqu’à une centaine d’euros. Alors qu’un autre cadenas en “U” étiqueté “une roue” pourra coûter moins de 10€. Ce type de cadenas est vivement recommandé face aux autres types “boa”, “chaîne” ou “pliant”. Les plus mauvais élèves sont les cadenas par “câbles”. Gros ou petits, seulement 4 cadenas, sur 65 testés, arrivent à obtenir le label “une roue”, pour des prix équivalents aux “U”.

L’astuce ultime de la sécurisation, notamment pour le citoyen @VeloVoleGre sur Twitter, c’est l’utilisation de “deux cadenas de technologies différentes”. De cette manière, un voleur outillé pour un seul type de cadenas sera découragé. Lors de l’interview vidéo réalisée avec L’avertY, @VeloVoleGre proposait même que les fabricants fournissent des cadenas colorés pour être bien identifiés par les voleurs et ainsi mieux les dissuader. Cependant, le voleur se déporte sur les vélos suivants, moins bien cadenassés. C’est donc la concurrence aux meilleurs antivols qui s’installent pour garder son vélo. C’est là toute la limite de la prévention, martelée par les autorités et les associations. Tout vélo peut-être volé, quel que soit le contexte. À l’échelle personnelle, on ne peut que réduire les risques de vols.

L’agglomération grenobloise est-elle plus touchée, qu’une autre ?

En 2017, la FUB a publié un baromètre du ressenti des usagers du vélo dans leur ville. Chaque usager du vélo pouvait répondre à une série de 27 questions, en notant de 1 à 6 chaque point proposé. Au niveau national, 113 009 personnes ont répondu à ces questions, dont plus de 3000 à Grenoble, ce qui en fait une des villes ayant le plus largement participé en proportion par habitant (19/1000 habitants). À noter, qu’on ne peut pas qualifier cette étude de sondage précis, d’où l’appellation “baromètre”. Ceci dit, la méthode pour sonder le ressenti a été la même pour chaque ville.

Grenoble s’est illustrée en première place de sa catégorie “100 000 à 200 000 habitants”, avec une note globale B “favorable” à la pratique du vélo. Cette lettre correspond aux villes ayant eu une moyenne entre 3,9 et 4,3 sur 6 maximum. Si on regarde la fiche “résumé” proposée par la FUB pour Grenoble, on comprend rapidement quel est le principal frein à la pratique du vélo… les vols de vélos ! À la proposition 26, “les vols de vélos sont rares”, la ville a obtenu une note ressentie de 1,7 sur 6. C’est la note la plus basse dans sa catégorie, où la moyenne affiche 2,4 points. En revanche, pour toutes les autres propositions, Grenoble affiche de très bons résultats. Soit au-dessus de la moyenne, soit dans la moyenne de sa catégorie.

Avec une note globale de 3,91 points, Grenoble est à la limite entre une note B “favorable”, et C “plutôt favorable”. Le communiqué de presse avait d’ailleurs inscrit dans un premier temps Grenoble en “C” sur son podium des villes.

Capture écran issue du communiqué de presse de la FUB.

Côté agglomération, Échirolles et Saint-Martin-d’Hères écopent d’un D “moyen”. Saint-Égrève d’un C “plutôt favorable”. Ces trois villes sont aussi plombées par la question des vols, avec un écart de moyenne de -0,6 point. Les autres villes du baromètre, Fontaine et Meylan, obtiennent aussi un écart de moyenne négatif, mais moins fort (-0,3 point). Il fallait obtenir au moins 50 participations pour être classé dans ce baromètre. Ces seules cinq villes de l’agglomération ont obtenu le quota nécessaire (de 58 à 139 réponses). À Voiron, on trouve enfin une bonne note de ressenti sur les vols, à 3,5 points (+0,6 point au-dessus de la moyenne de sa catégorie).

Les 309 autres villes ne sont pas épargnées pour autant. Ce baromètre considère comme positif une note dépassant 3,5 points. Aucune moyenne de catégories n’arrive à ce seuil positif. Plus les villes sont grandes, plus le ressenti est négatif. On passe de 3,4 points de moyenne pour “moins de 20 000 habitants”, jusqu’à 2,0 points de moyenne pour “plus de 200 000 habitants”. Les vols de vélos ne sont donc pas une spécificité locale, mais pour la plaine grenobloise, c’est bien le point noir de la bonne pratique du vélo. Seules Montpellier et Aubervilliers arrivent à obtenir un ressenti négatif plus fort (1,6). Marseille obtient un ressenti négatif égal à Grenoble (1,7).

Des chiffres locaux qui datent

Contactée par L’avertY, la Police Nationale n’a pas souhaité s’exprimer sur ce sujet. Il sera difficile d’établir l’actualité des vols de vélos à Grenoble en 2018. Cependant, quelques repères et indices peuvent nous éclairer. Tout d’abord, Emmanuel de l’ADTC, nous rapporte une information officieuse.

« J’ai discuté avec une personne qui avait échangé avec la Police récemment, qui lui a indiqué qu’il y avait 30% de vols en moins cette année à Grenoble. »

Comme il le souligne, cela ne peut être considéré pour une vérité brute, car les vols de vélos ne sont pas systématiquement déclarés à la Police. On peut tout autant imaginer qu’il y a moins de vols, qu’on peut dire que les gens se découragent de déclarer leurs vols de vélos. Dans le rapport Insee-ONDRP, cité plus haut, on apprend que dans 70% des cas de vols, les personnes ne déposent pas plainte. Toutefois, ces dernières années, la Police Nationale a mis en place un système de pré-plainte en ligne, qui permet de faciliter les déclarations de vols. Il faut tout de même se rendre à l’Hôtel de Police ensuite, ce qui peut toujours en décourager certains.

En 2015, la Police a communiqué sur 1456 vols de vélos sur la circonscription de sécurité publique de Grenoble (qui comprend aussi La Tronche, Saint-Martin-d’Hères, Échirolles, Fontaine, Gières et Saint-Martin-le-Vinoux). À Montpellier, 1 342 vélos ont été annoncés volés en 2014. Si ces chiffres sont seulement les 30% déclarés, il faut les multiplier par trois pour obtenir une bonne estimation du nombre de vélos volés par an.

Trois quarts des vols déclarés ont lieu à Grenoble même.

Sur les 1456 vols déclarés en 2015, seulement 35 vélos ont été retrouvés (2,4%). La moyenne nationale est de 7% de ménages qui retrouvent leur vélo (2016). Les retrouvailles avec son fidèle deux roues sont d’autant plus rares à Grenoble.

Un autre indice de l’état des vols de vélo à Grenoble se cache chez Métrovélo. Le service de location de Grenoble-Alpes Métropole propose pour tous leurs vélos des cadenas multiples, selon les recommandations de la FUB. On peut sans doute avancer que ce sont les vélos les plus sécurisés en circulation. Sur les 7500 vélos (tous types confondus), L’avertY a appris de source sérieuse, mais non-officielle, que “moins de 300 vélos” ont été volés au dernier décompte annuel. Ainsi Métrovélo n’est pas épargné. Ajouté à cela, une partie du parc est “immobilisé” pour des raisons d’entretien. On peut ainsi affirmer que plus de 4% de leurs vélos en circulation ont été volés.

Mieux connaître l’ennemi du cycliste

Face à ces constats de vols, jamais agréables, reste la solution de bien connaître les pratiques des voleurs, afin de mieux les contrer. Si vous ne devez retenir que quelques statistiques, retenez que 60% des vols se font de jour, et qu’ils interviennent majoritairement au printemps et en été. En novembre, vous êtes beaucoup plus tranquille. Ce qui laisse à penser que les voleurs suivent aussi la pratique des utilisateurs. Grenoble, grande ville de vélos, connaît beaucoup de vols ? Somme toute logique. Les confrontations ne sont (heureusement) pas fréquentes, seulement 5% des victimes voient le voleur.

Dans l’enquête relayée par Velook, on peut découvrir plusieurs profils de voleurs : les emprunteurs, les acquéreurs, les apprentis, les professionnels, les drogués et les receleurs. Chaque profil possède sa fiche technique sur ses motivations et ses fréquences de vols. Si les professionnels sont peu nombreux sur l’ensemble des voleurs, ils sont très actifs, préfèrent les vélos de grande valeur, dans les lieux touristiques. Pour ceux-là, aucun cadenas ne leur résiste. Si vous utilisez un cadenas trop maigre, ou que vous le laissez sans attache devant un magasin, vous serez peut-être victime d’un emprunteur ou d’un apprenti. Enfin, vous pouvez être receleur sans le savoir en achetant un vélo d’occasion sans facture. Vous contribuez ainsi au cercle vicieux des vols de vélos.

Mettre toutes les chances de son côté

Les citoyens rencontrés lors des interviews vidéos ne veulent pas céder à la fatalité des vols de vélos. Si les solutions ne sont pas miraculeuses, les bonnes pratiques se transmettent. L’une d’elle, encore méconnue, est le marquage de son vélo. Il en existe de plusieurs types, mais un seul est officiellement relié aux fichiers de la Police Nationale : le marquage Bicycode. Cela consiste à faire graver un code unique à 12 caractères, sur le cadre du vélo.

Le jour où vous êtes victime du vol, vous le signalez sur le site dédié, et lors de votre plainte à la Police. La base de données est mise à jour. Votre voleur va peut-être tenter de le revendre. Si le potentiel acheteur voit ce code, il pourra directement vérifier depuis son smartphone, dans la base, si le vélo est considéré volé, ou non.

Vous pouvez essayer ce code sur le site dédié.

En Isère, il n’existe que 3 lieux de marquage Bicycode. À Grenoble, Métrovélo le propose pour 5€. Tandis que Dayak, entreprise privée, le propose à 19€. Contactée par téléphone, l’entreprise explique qu’il a fallu acheter la machine, assez coûteuse, sans aucune aide particulière de l’État. D’où la grande différence de tarif. Vous ne pourrez pas faire graver votre vélo d’occasion si vous n’avez pas une facture d’achat (au moins du cadre, s’il s’agit d’un vélo recomposé). Et comme 50% de cyclistes victimes d’un vol préfèrent se tourner vers un vélo d’occasion, il y a fort à parier que bon nombre ne possèdent pas de facture. Cela pose la question du devenir de ces vélos d’occasions sans facture. Condamnés à la revente illégale ? Le marquage doit donc être envisagé au moment de l’achat du vélo. Au Danemark, il a fait ses preuves avec 40% de chance de retrouver son vélo, d’après la FUB.

Mais que pourrait faire la police ?

Si on peut comprendre que le travail des policiers n’est pas tourné uniquement vers les cyclistes, rien n’empêche de partager quelques idées constructives de leurs collègues à l’étranger. À Bruxelles, des vélos-appâts sont à l’expérimentation. Le principe est simple : déposer quelques vélos, modestement attachés, dans les endroits réputés sensibles, avec un GPS caché dans le vélo. L’effet peut-être à la fois dissuasif, à condition de bien communiquer l’existence de ces vélos truqués, mais aussi permettre de retrouver le voleur. Les voleurs du type “emprunteur” ou “apprenti” réfléchiront sans doute à deux fois avant de passer à l’acte. Au Canada, à Winnipeg, on teste aussi ce procédé, en ajoutant près des parkings vélos des autocollants “Est-ce un vélo-appât ?” (article en Anglais).

Grenoble s’essayera t-elle à cette technique, elle aussi ? En attendant, le vélo s’accroche à ce qu’il peut. Face aux vols, certains se tournent vers la location de Métrovélo, mais on voit aussi de plus en plus de trottinettes, de skates, de monoroue, d’overboards, qui ont l’avantage d’être transportables partout, à la main.

Ludovic Chataing, journaliste pour L’avertY.
Site web : www.laverty.fr


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