Chloé Mayere participe aux témoignages du confinement grenoblois concernant le coronavirus. Un texte livré avec “des ressentis un peu emballés” qui “changeront certainement au cours des semaines”.
Ici, la vie confinée est un peu mitigée. Il y a le télétravail, des réunions par visio, rédiger mon article scientifique. Ça, ça va… ça tourne plus ou moins. Et ça permet de s’occuper l’esprit pour tenter de ne pas péter un plomb en restant à l’intérieur. Je suis plus ou moins sujette à la dépression hivernale… et le printemps est habituellement une période de libération, un moment où je revis. Là, le printemps, il nous nargue avec son attirail de ciel bleu, boutons, bourgeons, petites feuilles d’un vert frais, oiseaux chantant, fleurs, etc, etc, etc. Le tout inaccessible. Et c’est dur. Et j’ai peur que ça dure.
Au début, il y a eu une sorte de renoncement, d’acceptation, d’excitation même. J’ai lu les projections, les modélisations, les chiffres, les rapports. J’ai trouvé ça grave flippant. Des millions mourront si on ne fait rien, des jeunes aussi. Je me suis confinée résignée. J’ai ri des mèmes circulants sur Internet, j’ai fait du sport à la con sur une vidéo de fitness, la voisine du dessous a dû nous détester. J’ai eu des nouvelles de pas mal de gens dont je n’avais pas de nouvelles depuis un moment. J’ai applaudi les soignants à 20h, et même fait un bide en essayant de chanter à la fenêtre avec ma compagne.
Pour m’occuper : musique, guitare, chant, un peu de violon. Lecture, séries, films. Cuisine aussi. C’est positif finalement tout ça hein…
Mais, malheureusement, il y a angoisse et colère. Là depuis le début, mais en proportions croissantes et inversement proportionnelles à ma “positive attitude”…
Car voilà, l’extérieur vers lequel j’aime me tourner est d’un coup devenu une angoissante réalité, quasi virtuelle, qu’on ne peut plus sentir, mais que l’on n’observe plus qu’au travers d’un prisme anxiogène, mélangeant annonces médiatiques et politiques, chiffres, réseaux sociaux, chaînes WhatsApp et absence d’êtres humains dans les quelques rues que je vois par la fenêtre. Angoisse, car je ne sais plus vraiment quoi penser de tout ça. À quel point sommes-nous dans une réaction surtout dirigée par de la panique, par quelque chose de morbide même ? Les collapsos jubilent, et on peut sentir comme une excitation, une exaltation face à la catastrophe…
Une question. Comment aurions-nous réagi avec des compteurs de cartes à points rouges et courbes exponentielles la première quinzaine d’août 2003, par exemple ? (15 000 morts en France, 20 000 en Italie, urgences débordées, mêmes tranches d’âge, mêmes proportions, pas de virus. Principal problème l’impréparation des structures d’accueil… ). Je trouve hyper flippant que l’on puisse d’un coup renoncer à quasi toutes nos libertés tant chéries pour lutter contre quelque chose qui était prévisible, et qui ne serait pas si méchant que ça si l’on avait daigné se préparer.
Je trouve flippant aussi les discours manichéens que je vois sur les réseaux sociaux à propos de ceux qui sortent faire leur joggings ou se promener. Véran et compagnie auront beau le clamer autant qu’ils le veulent, non ils ne transmettent rien s’ils sont seuls et prudents. Les risques seraient encore minimisés avec le port d’un masque, même fait maison. Et non, les gens ne se sentiraient pas tout puissants avec des masques si on les éduquait préalablement. L’infantilisation, aussi souvent associée à ces discours, me fait frémir.
J’ai peur encore, car en fait c’est peut-être un peu comme ça que se met en place un système totalitaire… En l’espace de quelques jours, un discours martial, un ennemi commun, et voilà, on y est. On s’enferme, on est presque prêts à se dénoncer les uns les autres. Certains en voudraient même plus… Lorsque je sors, j’ai peur. Peur d’être montrée du doigt, et peur car l’extérieur n’est plus chez nous. Hier près du Parc Paul Mistral un homme m’a suivi jusqu’à ma porte. J’ai été con, j’aurai dû lui tousser dessus. Et puis merde aussi, j’aurai pas dû sortir aussi. #restecheztoi.
Et là arrive la colère. La colère contre l’idéologie du profit, et du toujours plus pour moins, qui nous a amenée là : à observer, impuissants, notre système de santé et ses soignants harassés, épuisés se prendre un véritable uppercut par un nabot hargneux. Un système de soins qui réclame à boire et à manger dans le désert depuis des années. La colère contre la mauvaise foi et les contrevérités assenées par nos dirigeants, incapables d’assumer leurs responsabilités. Le risque pandémique nous pend au nez depuis… toujours. La colère contre soi, la fainéantise de ne pas avoir lutté plus, anticipé plus. De n’avoir fait que me plaindre sans agir vraiment, sans m’engager suffisamment.
Au moins là, on voit ce pour quoi il faut se battre. Pas contre un virus non, lui il passera et il est juste là, car nous sommes là. Mais se battre contre la connerie, l’idéologie, l’enfermement, le repli, l’ignorance, l’accumulation, la concentration des profits, du pouvoir, des savoirs et des moyens. Et se battre pour nos marchés, nos bals, nos bars, nos musées, nos cinés, nos restos, nos théâtres, nos bibliothèques, nos écoles, nos universités, nos centres d’accueil, nos concerts… Tous ces trucs pas essentiels qu’on s’empresse de fermer… Il faut se battre enfin pour notre santé commune. La sécu, les hôpitaux, mais surtout la planète…
Bref, hasta la revolución ! En attendant #RestonsChezNousPourEviterQueCeSoitPire et #SurtoutSoyonsResponsables
Chloé Mayere
Les autres contributions sur le confinement :
📣 « Si l’enfer c’est l’époque vous n’êtes que Pluton et non Jupiter »
📣 « En cinq jours les enfants ne sont sortis qu’une fois »
📣 « Ma crainte de faire passer le virus à la personne âgée de 85 ans »
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