Migrants confinés dehors, quelles solidarités locales ?

Sujet élu le 2 novembre avec 46% des votes | rejoindre les 100 abonné·e·s

En menant mon enquête, j’ai eu le sentiment que les personnes que j’interrogeais n’avaient pas le sentiment d’être confinées : elles peuvent encore se déplacer dans l’espace public, grâce à leurs attestations de “confiné dehors” délivrées par des associations caritatives. Elles ne risquent donc pas d’amende comme cela a pu être le cas au début du premier confinement.

Il est vrai que ce second confinement n’en est pas vraiment un : beaucoup de gens bénéficient de dérogations qui les autorisent à sortir librement, l’activité économique est beaucoup moins ralentie et les contrôles d’attestation se raréfient.

Attestation de “confiné dehors” distribuée par l’association Point d’eau.

Toutefois, il existe toujours une crainte de la police, et certaines personnes potentiellement victimes de discrimination de la part des forces de l’ordre n’osent même plus aller récupérer de la nourriture sur les lieux de distribution, ayant en mémoire les nombreux contrôles durant le premier confinement.

Certains policiers municipaux semblent malheureusement abuser de leurs pouvoirs lors des contrôles d’attestation, comme le montre ce témoignage d’une jeune fille migrante, sortie pour aller à la pharmacie et victime d’un contrôle au faciès car elle avait mis un foulard pour se protéger du froid. Elle s’est faite humilier par des policiers municipaux qui ont cherché à lui faire peur, en finissant par lui déchirer son attestation.

Cela rend les personnes exilées encore plus invisibles de l’espace public en ces périodes de confinement : elles sillonnent la ville sur leurs vélos, leur sac Deliveroo sur le dos. L’uberisation de notre société fait que cette forme d’activité professionnelle dérégulée devient de plus en plus un moyen de travailler au noir pour des personnes demandeuses d’asile n’ayant pas le droit de travailler en France, à l’aide de prête-nom qui leur fournit un compte sur une application de livraison de nourriture, souvent en contrepartie d’un pourcentage des gains.

Un camp dans un parc grenoblois

Des personnes continuent d’être dehors pendant ce nouveau confinement. Je suis allé à la rencontre d’une famille qui a installé un campement de fortune de tentes et de toiles dans un parc de la ville. Originaires de Macédoine, ils parlent à peine français. Je suis avec une personne qui a vécu dans les Balkans et arrive à communiquer avec eux. Ils expliquent que la veille au soir il y a eu de l’orage, ils ont eu froid, de l’eau est rentrée dans leur tente et le vent a emporté leurs affaires. On appelle le 115. Auparavant, ils étaient installés à côté du cinéma Pathé Chavant. Bien visibles dans l’espace public, ils se sont fait expulser par la police.

Dessin de Simon Derbier : son travail est à découvrir ici.

Aucune solution de relogement n’a été trouvée malgré des soutiens qui ont interpellé la mairie. Je m’inquiète de leur situation, car il y a un an j’avais vu une famille albanaise dans ce même parc être expulsée par la police. Ils me répondent qu’elle passe parfois dans le parc pour interpeller des gens qui fument du haschisch, sans leur causer de problèmes. Ils devraient être tranquilles le temps de la crise sanitaire, normalement pas d’expulsions ou de démantèlement de camp. Pendant ce temps, la musique d’attente du 115 continue. Le confinement ne change rien pour leur situation, ils restent dehors, ils ne sont pas concernés. Des maraudes passent leur apporter de la nourriture, tout comme le Samu social. Mon interprète leur indique les associations caritatives qui sont encore ouvertes durant le confinement dans le quartier. Ils demandent des chaussures à leur taille, ils ne savent pas où s’en procurer. On leur indique la zone de gratuité installée sous un pont tout proche. Ils n’avaient pas osé y aller, pensant que quelqu’un y vivait. On demande aux adolescents présents s’ils vont à l’école, ils expliquent qu’ils ne veulent pas y aller tant qu’ils n’ont pas de logement. Cela fait 26 minutes que l’on est en attente pour le 115, on doit partir avec mon interprète. On réessaiera une autre fois.

Le campement qui se trouve au milieu d’un parc, dans les quartiers sud de la ville de Grenoble.

Le confinement a entraîné la fermeture de nombreuses structures d’aide et d’associations caritatives, leurs activités pouvant être considérées comme non essentielles. D’autres, qui fonctionnent en grande partie grâce à l’aide de retraités, plus vulnérables au Covid, ont perdu un grand nombre de bénévoles, et ont dû également interrompre leurs actions. Toutefois, des associations comme Point d’eau ou le collectif du Lîeu qui font de l’accueil de personnes SDF et portent des initiatives de solidarité, restent ouvertes.

Des Brigades de solidarité

Le Lîeu, le Centre social autogéré du 38, le Réseau Éducation Sans Frontières (RESF), la ZAR Berriat (“Zone à Rêver”, dans les locaux de Cap Berriat) et de nombreuses autres initiatives individuelles, ont lancé dès le début de ce second confinement l’initiative des Brigades de Solidarité Populaire. Ce mouvement, initié en Italie lors du premier confinement, a permis la création de réseaux d’entraides citoyens qui se sont organisés pour pallier les insuffisances des pouvoirs publics. À Grenoble, les Brigades s’étaient constituées à la fin du premier confinement à la Villeneuve avec pour but de départ d’aider les personnes du quartier.

Au sein des Brigades, le travail est réparti en équipes :
Récupération de nourriture, principalement des invendus de marchés et de supermarchés.
Cuisine de ces produits si besoin.
Distribution dans des camps ou à des personnes en situation de précarité identifiées, ou bien lors de maraudes.

Ils cherchent maintenant à faire des points de distributions fixes les dimanches midi d’abord au Lîeu, puis au marché de l’Abbaye où ils ont eu l’autorisation d’occuper l’espace public.

Une distribution de nourriture organisée par les Brigades de solidarité populaire au sein du Lîeu.

Je me suis rendu dans les locaux qu’ils utilisent pour cuisiner, c’est l’effervescence. Autour du plan de travail, les personnes présentes s’activent. Un cuisinier professionnel mis au chômage technique et qui souhaite mettre son temps au service des plus démunis est venu donner un coup de main. Des habitués de cantines populaires spécialistes de la transformation de produits de récup’ viennent renforcer l’équipe. Tous ensemble, ils passent là un moment de convivialité utile. Ils sont là pour s’occuper activement, faire du lien social pendant cette période de confinement, pour avoir un engagement solidaire, mais aussi politique. Le modèle d’organisation tend à être horizontal : toutes les personnes qui cuisinent se mettent d’accord sur ce qu’elles vont préparer en fonction des arrivages de la récup’ et de leurs envies. Chacun vaque à sa tâche sans que personne ne coordonne tout. Un peu déboussolant pour ceux et celles qui sont là pour la première fois. Ils ne savent pas encore vraiment comment s’intégrer au groupe, tandis que le chef informel tente de s’effacer petit à petit une fois que tout le monde a pris ses marques dans la grande cuisine mise à disposition. À la fin de la journée, sauce tomate, soupe, compote et gratins sont bel et bien cuits, prêts à être distribués dans les bocaux en verre que les membres des Brigades ont récupéré à l’aide d’un appel sur les réseaux sociaux.

Les Brigades ne sont pas les seules initiatives autonomes qui distribuent de la nourriture aux personnes les plus démunies. C’est aussi la volonté du mouvement #PourEux qui s’est lancé à Grenoble depuis ce reconfinement : des bénévoles qui vont distribuer à vélo des plats préparés aux personnes qui en ont besoin, sur un modèle de Deliveroo. #PourEux s’était mis en place dans d’autres villes en France depuis le précédent confinement.

Parallèlement à ces initiatives collectives, les pouvoirs publics ont remis en place des distributions de nourriture, notamment via l’association Magdalena, comme durant le premier confinement. Sur le parvis de la Basilique du Sacré-Cœur, des plats chauds sont offerts tous les soirs, dans la continuité de leur distribution hebdomadaire pour les personnes SDF. Leur action caritative comporte une forte dimension religieuse : la distribution débute par une prière et des chants d’Ave Maria et les membres expriment leurs “intentions”, avant de partager la nourriture livrée par la cuisine collective de la ville de Grenoble à un public d’habitués et de familles démunies du voisinage.

Migrants… ou SDF

Pour aller au contact des personnes à la rue, j’ai pris part à une maraude dans le centre-ville. Un groupe de bénévoles arpente les avenues, leurs caddies remplis de boissons chaudes, viennoiseries, sandwichs faits maison et produits d’hygiène. Arrivé au carrefour d’Alsace-Lorraine, à première vue il n’y a aucun SDF visible, mais je me rends compte que toutes les personnes assises à côté de l’arrêt de tram viennent vers nous. Ce ne sont pas des passants, simplement des invisibles qui traînent là. On avance dans l’avenue, on rencontre un groupe de zonards, bien plus visibles cette fois-ci, des bières à la main. Pendant que nous distribuons nos victuailles, une des personnes nous alpague, nous décrit la recette de la soupe au Cantal, nous pose des devinettes “Monsieur, Madame”. Il était SDF mais a désormais un logement. Il continue de zoner, toujours au même endroit, devant La Poste. Le confinement ne l’a pas fait rentrer chez lui. Au début, c’est même la police qui lui a permis d’avoir une attestation pour “rester dehors 24h/24”. Maintenant, il l’a du Secours Catholique.

Du côté de l’arrêt de tram Hubert Dubedout, un jeune homme fait la manche devant le Monoprix avec ses deux chiots au beau pelage de berger australien. Son besoin ? Des gants et un bonnet, car l’hiver arrive. Heureusement, il en reste dans le stock de la maraude. Le confinement le “fait chier”, il ne peut plus rien faire, juste rester chez sa copine qui l’héberge. Il n’a pas eu de contrôle depuis le début du confinement, la police l’avait juste “fait chier” pour qu’il porte le masque. Une gêne pour lui qui est asthmatique, il en a marre de le porter tout le temps.

À la fin de la maraude, le groupe constate qu’il y a beaucoup moins de personnes SDF présentes que d’habitude dans le centre-ville de Grenoble. De même, la place Grenette ou la gare sont vides ce matin.

Des zones de gratuité

Si les initiatives de solidarité locales semblent avoir su répondre à temps et de manière efficace à la question alimentaire, d’autres problèmes subsistent pour les plus démunis. Par exemple, il leur est difficile d’acquérir des vêtements chauds : les ressourceries telles que Ulisse ou La Ressource, ainsi que les zones de gratuités comme celles de Cap Berriat ou du 38, ont dû être fermées au public n’étant pas “essentielles”. Comme solution d’urgence, minime mais solidaire, une Zone de gratuité en plein air a été installée sous le pont du boulevard Foch, à côté de l’autoroute à vélo. Un caddie, deux barres de fer, et ils installent un portant de fortune pour y installer des vêtements. Ce n’est pas la première fois que des gens déposent à cet endroit des denrées alimentaires ou des vêtements. Cette Zone de gratuité apparaît, disparaît et réapparaît au gré des “nettoyages” de la SNCF, ou d’un voisin chagrin de voir tant de “bazar de fortune” dans l’espace public. Il s’agit d’une initiative menée par un groupe d’individus autonomes qui, même si elle a pour vocation d’aider les plus démunis, ne plaît pas à tous.

La zone de gratuité sous le pont du boulevard Foch lors de sa mise en place.

Subvenir aux besoins essentiels du quotidien ne comble pas le fait que certaines personnes soient à la rue ou mal logées. La majorité des camps sont insalubres, les conditions d’hygiène lamentables. Qu’en est-il du logement à Grenoble ? Les personnes SDF sont les victimes en première ligne des intempéries, ont-elles été relogées où sont-elles toujours à la rue, juste encore plus cachées qu’avant ?

Des solutions de logement dans la Métro

L’association Droit Au Logement, le DAL, a réussi à obtenir de la part de la préfecture de l’Isère un engagement à ce qu’aucune expulsion locative n’ait lieu cet hiver. De son côté, la ville de Grenoble a annoncé l’encadrement des loyers et la mise en place d’un plan d’hébergement de 700 places. Plus de la moitié de ces places d’hébergement ont déjà été octroyées lors du premier confinement. Les personnes qui avaient reçu un logement à cette époque ont pu y rester. Elles n’ont pas été mises à la rue pendant l’été. L’association Droit Au Logement qui établit un suivi des personnes à la rue ou en logements insalubres n’a vu cependant aucun changement dans leurs situations au début de ce nouveau confinement. Pire encore : une famille avec 7 enfants hébergée à l’hôtel dans le cadre du dispositif d’hébergement d’urgence a été expulsée le 12 novembre en période d’urgence sanitaire. Bien que le tribunal administratif ait décrété l’illégalité de cette expulsion le 16 novembre, aucune solution ne lui a été proposée à ce jour (27 novembre).

Pourtant, les préfets de région ont reçu une lettre de la Ministre du logement avec comme directive le logement des personnes SDF. L’État ne respecte pas sa mission de fournir un logement décent. La mairie de Grenoble a mis en place une structure expérimentale d’équipe juridique mobile servant à accompagner les personnes en situation de mal logement. Cette équipe les aide dans leurs démarches pour réclamer leur droit à un logement opposable ou un hébergement opposable. Bilan assez terne pour l’instant : même lorsque la justice demande à l’État de remplir ses obligations, il ne le fait toujours pas, et va même jusqu’à débouter toutes les personnes demandeuses d’asile qui en font la demande.

Les pouvoirs locaux n’hésitent pas à rappeler que l’État ne respecte pas ses obligations, mais ont-ils eux-mêmes exploré toutes leurs possibilités d’action ? D’après le DAL, 600 des 17 000 logements vides appartiennent aux pouvoirs publics. L’association appelle donc à leur réquisition en cette période de crise sanitaire et sociale.

Les institutions qui s’occupent du logement dans la métropole sont gérées par des conseillers municipaux de la ville de Grenoble. Par exemple, l’organe qui gère les bâtiments vides de l’ensemble des villes de la métropole est l’Établissement Public Foncier Local du Dauphiné (EPFL), présidé par Christine Garnier jusqu’à mi-octobre (NDLR : une nouvelle élection interne a élu le maire de Sassenage Christian Coigné), toujours conseillère municipale d’Éric Piolle. L’EPFL gère de nombreux bâtiments, le temps qu’ils soient vidés, à des fins spéculatives pour des projets d’urbanisme ou le temps que toutes les maisons d’une parcelle de terrain finissent par être vendues. Ces bâtiments présents dans toute la Métro sont protégés par une entreprise de sécurité. Ces derniers temps, toute tentative d’occupation est expulsée directement et violemment par la police sans entrer en procédure classique comme ce fut le cas le 20 janvier dernier.

Une des maisons conventionnées de la mairie de Grenoble.

Actuellement, le DAL préconise l’occupation de bâtiments vides. Une des seules solutions efficaces pour réclamer le relogement de personnes actuellement à la rue face au silence des pouvoirs publics. Prenons comme exemple le 6 rue Jay, dans le centre-ville de Grenoble. À l’origine, ce bâtiment était squatté par des personnes sans logement. Soutenues par le DAL, elles se sont constituées en association et la mairie a fini par accepter de signer une convention avec eux sur trois ans reconductibles, les autorisant ainsi à y habiter. Cependant, ce lieu devient de plus en plus insalubre et aucune solution de relogement n’a été trouvée. Ce processus de mise à disposition de logement vide pour des personnes à la rue par le biais de conventions démarre timidement dans l’agglomération grenobloise. L’association “le Tremplin”, montée par des personnes de la rue, a pu ainsi obtenir une maison conventionnée avec la mairie de Grenoble dans le quartier de l’Abbaye fin 2017 pour permettre l’hébergement de personnes SDF et leur permettre leur réinsertion. Mais l’expérience a fini par tourner court suite à de trop nombreux problèmes à l’intérieur de cette maison et la convention fut rompue. Le bâtiment semble être de nouveau occupé depuis peu de temps, le projet récupéré par des travailleurs sociaux, alors que les fenêtres sont encore murées.

D’anciens habitants du squat des anciens locaux du syndicat Solidaires à la Bruyère ont pu eux aussi bénéficier d’une convention d’occupation d’un bâtiment vide appartenant à la mairie. Le squat ayant été détruit dans un incendie, les personnes ont d’abord été relogées dans un gymnase, certaines ont pu avoir droit à une place dans un Centre d’Accueil de Demandeurs d’Asile, et pour une partie des autres un relogement a pu être obtenu. Victoire en demi-teinte, car il n’a pas concerné tout le monde, et certaines personnes ont été contraintes de retourner à la rue.

Ce relogement en accord avec les pouvoirs locaux est une solution pour pallier les déficiences de l’État, mais n’est possible que pour des groupes déjà organisés, et pas des personnes isolées en situation de détresse personnelle. Tout cela se joue aussi selon les affinités entre les associations de soutien et des collectifs avec les pouvoirs locaux. De plus, l’idée d’occuper un logement vide est parfois dissuasif pour les personnes exilées qui veulent éviter à tout prix toute rencontre avec la police. Sans l’aide des collectifs de soutien, cela est souvent impossible. Peut-être vont-ils se réveiller cet hiver ?

DES SOLUTIONS
Si vous croisez le chemin d’une personne sans logement ou dans un logement insalubre vous pouvez :

Contacter le 115 qui est la plateforme qui centralise l’hébergement d’urgence (de préférence dans la matinée, en fin d’après-midi la ligne est saturée par les appels des différentes maraudes.)
Contacter l’association du Droit Au Logement 
E-mail : droitaulogement@gresille.org | Téléphone : 06 41 30 55 18
Demander le soutien de l’équipe Juridique Mobile 
E-mail : ejm@grenoble.fr | Téléphone : 04 76 48 66 28

Reportage et photos de Bertrand Urier
Dessin de presse de Simon Derbier

J’ai raté un lien ?

Le témoignage d’une jeune femme migrante — CRIC Grenoble
Enquête : faux livreurs et vrais migrants — Radio Parleur
Site pratique Solidarité Grenoble — Ville de Grenoble
Site national #PourEux — Pour Eux, le mouvement
L’encadrement des loyers sur la métropole — France 3 Auvergne Rhône-Alpes
Vidéo de l’incendie du squat de La Bruyère — Twitter @berurier_
Magouilles à l’EPFL du Dauphiné — ADES


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Les Villeneuves : déconcertante concertation

Sujet élu le 16 septembre avec 59% des votes | rejoindre les 101 abonné·e·s

Le processus de concertation se poursuit pour le projet de rénovation urbaine des Villeneuves de Grenoble et Échirolles qui devrait durer jusqu’en 2028. La Métro a ainsi invité les habitants à se prononcer sur l’aménagement du Parc Jean-Verlhac jusqu’au 26 octobre. Hasard du calendrier, la même semaine était célébré le premier anniversaire du Référendum d’initiative citoyenne (RIC) de l’Arlequin, qui avait vu une large victoire du “non” aux démolitions. Un résultat que continue à porter le collectif qui avait œuvré pour le mettre en place. Et qui entend dénoncer le passage en force de la mairie et de la Métro.

Rencontre au Patio entre la ville de Grenoble et des habitants du quartier*. © Ludovic Chataing

« Les commerces en orange, l’habitat en violet et en vert les espaces publics. » Avec la maquette du projet comme support, Séverine François fait le point sur les avancées du futur éco-quartier des Villeneuves. Le 15 octobre dernier, la cheffe de projet renouvellement urbain de la municipalité de Grenoble a donné rendez-vous à une petite dizaine d’habitants de l’union de quartier au Patio, espace de vie central situé 97 galerie de l’Arlequin.

Durant près de deux heures, en reprenant de temps en temps son souffle en décollant le masque de son menton, elle détaille la série de chantiers de ce projet gigantesque à plusieurs centaines de millions d’euros sur les trois secteurs constituant l’ensemble de la Villeneuve grenobloise : Arlequin, Géants et Village olympique. En face, les habitants réagissent, souvent positivement d’un « c’est pas mal, ça », ou font remonter certains soucis sur les aménagements déjà en place : « Le goudron noir au pied des immeubles, c’est pas terrible avec la chaleur qu’il y a déjà l’été dans cette crique. »

La maquette du quartier des Villeneuves indique les principaux travaux. © Florian Espalieu

Il est ainsi principalement question de rénovation : « en moucheté violet, ce sont les copropriétés privées, éligibles à l’opération Mur|Mur », programme d’aide à l’isolation thermique mis en place par la Métropole. « Pour nous, il y a eu une prise en charge de 40 %», abonde un propriétaire dont le bâtiment a pu en bénéficier.

Le processus de concertation a ainsi pu donner lieu à de véritables réussites, comme celle sur le collège Lucie Aubrac fin 2017 : « un questionnaire a d’abord été élaboré par le département avec les parents d’élèves avant d’être ensuite envoyé à tous les habitants du quartier », rappelle Benjamin Bultel, journaliste au Crieur de la Villeneuve, qui a suivi de près le dossier. Résultat : près de 2500 réponses.

Actuellement, c’est un autre questionnaire, plus simple, qui sert de base à une nouvelle consultation. Celle-ci porte sur l’aménagement du parc Jean-Verlhac, l’un des plus grands de la ville : « Une étude est en cours pour savoir s’il serait possible de rendre la baignade réglementaire dans le lac », indique Séverine François. La concertation lancée en juillet a été prolongée. « Cela devait s’achever le 10 octobre », précise Aurelia Haller, chargée de la participation projet de rénovation urbaine pour la Métropole. « Mais tout ce qui s’est passé cet été n’a apparemment pas été visible pour les habitants. Et quand nous sommes revenus vers eux en septembre, il ne restait que six semaines. On a donc prolongé jusqu’au 26. » À l’issue de cette phase, un concours national devrait être lancé, « avec l’idée d’ouvrir le parc vers l’extérieur. »

« Un projet absurde » pour ses opposants

L’ouverture du parc implique la démolition de bâtiments : celui du Centre communal d’action sociale (CCAS) devrait donc disparaître et ses bureaux être déplacés en face de la MC2 dans les anciens locaux du Crédit agricole, rue Claudel. Sont également voués à la démolition le foyer Adoma et les logements du 20 galerie de l’Arlequin. « Une entrée nord au caractère emblématique », pour Élisa Martin, première adjointe au maire de Grenoble, déléguée aux quartiers populaires et à l’égalité républicaine, et « cheffe d’orchestre » du projet au niveau de la municipalité, pour qui « une remise en cause de ces quelques démolitions n’est pas envisageable ».

Dessin réalisé par Simon Derbier : son travail est à découvrir ici.

Quitte à froisser une partie des locataires des logements sociaux qui contestent cet aspect du projet. Avec pour argument principal le résultat au Référendum d’initiative citoyenne (RIC) sur les démolitions. Celui-ci avait été organisé il y a presque un an jour pour jour, du 14 au 20 octobre, « dans la lignée des revendications du mouvement des gilets jaunes », et avec le soutien d’un collectif. Et un verdict sans appel au moment du dépouillement : 365 personnes soit près de 70 % des 526 votants s’étaient prononcés contre. Un chiffre loin d’être anodin comparé aux 718 électeurs ayant voté pour la liste Grenoble en commun d’Éric Piolle au second tour des municipales des six bureaux de la Villeneuve.

« La Ville va-t-elle oser passer en force ? », s’interroge David Bodinier, membre du collectif du RIC et de l’Atelier populaire d’urbanisme de la Villeneuve. « Nous avons quand même fait deux pétitions de 2000 signatures, suivies par un débat au conseil municipal, puis un RIC… D’autant que ce projet est absurde. La Villeneuve telle qu’elle avait été conçue présente de vraies qualités, et quelques défauts qui peuvent être corrigés sans démolir. Les déplacements font partie de ses points forts, car tout est accessible à pied. Et aujourd’hui, ce projet démantèle l’Arlequin, ce qui entraînerait un espace incohérent, sans passerelle, avec un dédale d’escaliers. »

David Bodinier reste impliqué dans ce projet de rénovation des Villeneuves. © Florian Espalieu

Il défend également la légitimité du RIC par sa démarche : « Tout a été organisé dans des conditions rigoureuses, sous la supervision de journalistes, d’universitaires et d’élus d’opposition. Aujourd’hui, notre initiative est même nommée parmi les finalistes d’un concours international, ce qui prouve sa valeur, bien au-delà de l’échelle locale. »

Un exercice qui permettrait même, selon lui, de renouveler l’intérêt des citoyens. « La démocratie participative est déjà une évolution par rapport à la démocratie représentative. Mais là, on aurait tout pour aller au-delà avec une démocratie d’interpellation. Et au final, on se retrouve avec une concertation tout ce qu’il y a de plus classique. »

La parole diluée des habitants

Mais l’écueil semble être plus structurel qu’une simple divergence de points de vue sur l’urbanisme. Car la concertation a bien eu lieu, notamment au printemps 2015, avec la semaine de la co-construction. Celle-ci a réuni habitants, élus et l’Atelier populaire d’urbanisme de la Villeneuve. Cette collaboration a abouti au dépôt d’un premier dossier auprès de l’Agence nationale de rénovation urbaine (ANRU) en juin 2016. « Il n’était alors prévu que de la rénovation, pas de démolition, conformément aux vœux des habitants », assure David Bodinier.

Sauf que le projet ne convient pas à l’ANRU qui juge le quartier trop dense. Gilles Kuntz, ancien élu municipal (2001–2014) proche de la majorité actuelle et habitant de la Villeneuve connaît bien le problème : « C’est toujours le même chantage qui est fait. Le discours, c’est : “Vous aurez des sous si vous démolissez suffisamment. Revoyez votre copie !” »

Et David Bodinier d’enchérir : « Le souci, c’est que devant l’ANRU, les habitants ne sont plus là. » Un second dossier planifiant un certain nombre de démolitions est alors déposé en décembre 2016. « Éric Piolle aurait dû revenir vers les habitants, mais il ne l’a pas fait », s’insurge le militant du collectif du RIC Arlequin. « Il fallait faire comme l’ancien maire Hubert Dubedout, arrivé en 1965, alors qu’un projet était déjà dans les tuyaux. Il est monté à Paris pour taper du poing sur la table : “L’urbanisme ne se décide pas à Paris ! Il se décide à Grenoble!” Et il a tout remis à plat. »

Gilles Kuntz rappelle toutefois que la Villeneuve a été construite au début des années 1970 soit à la fin des Trente glorieuses (1946–1975), à une époque où l’économie était florissante. « Aujourd’hui, le rapport de force avec l’ANRU n’est pas du tout le même. Ils apportent un tiers des financements et sans eux, le projet ne peut pas se faire. »

Sans surprise, Élisa Martin n’est pas non plus tout à fait du même avis. Certes, l’élue reconnaît volontiers « une certaine vision parisienne » lors des premières discussions avec l’ANRU en 2014, lors de l’arrivée de la municipalité Piolle pour son premier mandat : « Ils voulaient découper la galerie de l’Arlequin en morceaux, en démolissant massivement. » Mais elle soutient que cela a évolué dans le bon sens depuis : « Nous sommes arrivés à plus de complexité en réduisant de manière considérable le nombre de destructions. Le point de vue des habitants a d’ailleurs été un levier important de négociation. »

D’autre part, elle assure que « l’équipe municipale a toujours été réticente à la démolition comme seule réponse aux problèmes ». Elle assume pour autant celles prévues sur l’entrée nord : « Il faut regarder la globalité et la réalité de ce qui est détruit : cela se limite vraiment au minimum. » Et de rappeler le résultat des récentes élections : « Nous avons la légitimité du suffrage universel. »

Pourtant, l’ancien élu Gilles Kuntz admet que le processus de concertation pêche parfois par certains aspects. « Il existe toujours des couches intermédiaires entre les habitants et ceux qui dessinent les projets. » La conclusion de David Bodinier est plus tranchée : « Quand les habitants ne participent pas, on dit qu’ils sont absents. Et quand ils donnent leur avis, on ne retient pas leurs initiatives. C’est tout le paradoxe de notre démocratie. »

“La nécessité d’une approche grand public” à la Villeneuve d’Échirolles

Pour Nizar Baraket, cadre de la ville d’Échirolles, la question de la concertation ne repose pas tout à fait sur les mêmes bases qu’à Grenoble, en raison d’une population qui se renouvelle beaucoup plus vite.

« Nous nous trouvons dans un des secteurs les plus pauvres de la Métropole. La mixité sociale est ici plus grande à Grenoble, tout comme la diversité associative. Si l’on compare le nombre de structures d’économie sociale et solidaire, il est de un sur trois en faveur de nos voisins.

Ainsi, les personnes d’ici se projettent moins dans l’avenir d’un quartier qu’ils envisagent souvent de quitter dans un futur assez proche. Du fait de ce grand renouvellement de la population, nous devons avoir une approche très grand public et aller chercher les participants. Par exemple, nous prévoyons d’organiser des forums deux fois par an sur tous les sujets qui traitent de l’urbain. Bien sûr, étant donné le contexte sanitaire, nous allons sans doute devoir nous adapter.

Par ailleurs, nous avons aussi des conseils citoyens qui ont été assez actifs. Et des scenarii sont pré-étudiés par des cabinets d’études, qui partent avec un carnet de recommandations issus des discussions avec les habitants. »

Reportage de Florian Espalieu
Infographies Rémy Graptin
Dessin de presse Simon Derbier

*La première photo a été modifiée en raison de droits à l’image.


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#5 Rencontres photos dans les rues de Grenoble

Les ambiances de Léa | jeudi 30 juillet | 11h

Au quotidien, il arrive qu’un détail ou un prétexte, nous fasse engager la conversation avec un·e parfait·e inconnu·e. Sur un banc, dans le tram, à la caisse du supermarché, aussi banals soient-ils, ces échanges brisent le temps d’un instant notre petite bulle individuelle. Malgré la canicule il y avait du monde ce jeudi 30 juillet dans les parcs et les rues de Grenoble. Alors pour le plaisir, pour mettre en lumière quelques visages et quelques tranches de vies, voici six portraits réalisés au gré des hasards.

Quand, l’œil attiré par les livres ou les œuvres en expositions, on pousse la porte de la galerie-café de La Vina, place Notre-Dame, on rencontre François-Marie, gérant de cette boutique depuis 2014. Derrière ce projet multiple, le souhait de “donner une voix à l’âme des peuples à travers l’art et l’engagement”. Cet ancien professeur, guide de voyage, journaliste, écrivain, photographe a toujours été attiré par Grenoble. Une ville créative “où les habitants peuvent faire la ville” ,“où l’on peut lancer beaucoup de projets”.

François-Marie, au comptoir de sa boutique.

Dans le Jardin des Dauphins, au-dessus de la Porte de France, Alain et sa fille Pauline se reposent d’un long périple en randonnée en attendant le bus qui marquera la fin de leurs vacances. Originaire de Belgique, père et fille ont passé plusieurs jours à sillonner les montagnes et les cols, dormant en refuge ou à la belle étoile, profitant des paysages et de la compagnie des bouquetins. Malgré un problème de dos qui leur a valu un baptême de l’air en hélicoptère, le duo semble conquis, et reviendra sans doute dans cette région qu’ils sillonnent depuis quelques années déjà.

Pauline et Alain, dans le Jardin des Dauphins.

Chercher un peu de fraîcheur et profiter de l’ombre de la caserne de Bonne pour déguster une glace, voilà qui semble plaire à la petite tribu dont Johanna, mère de famille, à la garde cette après-midi là. Cette Marseillaise qui travaille dans les assurances a suivi son mari et s’est installée dans la région il y a maintenant 15 ans. Un changement de ville, de climat et aussi d’ambiance confie-t-elle. Au départ la propreté des rues l’a surprise, la conduite plus “carrée” des Grenoblois et le contact plus timide que dans le sud, “chaque coins de France a son identité”.

Ava, Johanna, Keren et Romy.

Assise dans l’herbe au parc Paul Mistral une jeune femme est plongée dans un roman de Zola “La débâcle”. Myriam est physicienne, elle a 24 ans et comme beaucoup de jeunes elle s’est installée à Grenoble pour y faire ses études. Originaire du Poitou, elle ne regrette en rien son choix et apprécie l’ambiance de cette ville, “bien située, proche de Lyon, avec les montagnes et la nature à portée de mains”. Et pour ce qui est de la réputation de Grenoble qui compare la ville à un petit Chicago français, la jeune femme dément, assurant qu’elle n’a pour sa part jamais eu de problème.

Myriam, plongée dans sa lecture, parc Paul Mistral.

Il est encore trop tôt pour les premières commandes mais mère et fille s’activent déjà derrière le comptoir de leur pizzeria. Pour se démarquer de la concurrence les deux femmes tiennent à tout faire elles-même. Depuis 1997 “Arthur pizza” est un incontournable pour les habitants du quartier. Arrivée en 2001 d’Arménie, dont elles sont originaires, Astrid et Mariam ont rejoint de la famille à Grenoble et repris l’affaire familiale, au bout du parc Paul Mistral. Souriantes et enthousiastes, elles ont pris leurs marques dans la région, totalement conquises par les montagnes : “Grenoble c’est tellement beau !

Mariam et Astrid dans leur pizzeria, parc Paul Mistral.

Casquette, masque et camelback, son podomètre comptabilise parfois jusqu’à 20 kilomètres par jour. Jules, 26 ans, n’est pas randonneur professionnel mais street marketeur ou plutôt “travailleur itinérant pour les ONG”. Depuis quelques années déjà, il a quitté son travail de moniteur éducateur pour parcourir la France. Il faut une sacrée dose d’énergie et d’envie pour arrêter ainsi les passants des après-midis durant, pour leur parler de l’association ou leur proposer d’adhérer. Un virage vers le militantisme dans lequel Jules semble s’épanouir.

D’ici ou d’ailleurs, Grenoblois·e·s d’adoption ou de passage tou·te·s ont accepté de parler d’eux et de donner un peu de temps pour cette série de portraits. Merci à eux !

Léa Bouvet, journaliste sur L’avertY.

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