Dominique Barberye est citoyen grenoblois. Avec plus de 25 000 messages sur Twitter, il a l’habitude des débats en ligne. C’est un des “twittos” connus de l’agglomération. Il a pensé à L’avertY pour partager son point de vue sur un amendement concernant le nutri-score, proposé à l’Assemblée Nationale par le député grenoblois Olivier Véran.
La démocratie malade des lobbies
Vous l’avez peut-être croisé sur un emballage alimentaire. Appelé aussi « système 5 couleurs », nutri-score est un code d’étiquetage classant les produits de A à E, et du vert au rouge, et établi en fonction de leur valeur nutritionnelle. L’objectif est que les consommateurs orientent leurs choix vers des produits plus sains et ainsi participer à la lutte contre les maladies cardiovasculaires, l’obésité et le diabète.
Le nutri-score est facultatif. L’industrie agroalimentaire a développé un lobbying intense auprès de l’Union Européenne pour que ce type de systèmes renforçant l’information des consommateurs ne puisse lui être imposé. Quand le gouvernement français a souhaité mettre en place le nutri-score, l’industrie agroalimentaire a combattu ce système permettant aux consommateurs d’acheter en connaissance de cause.
« Les industriels développent d’autres codes pour ne pas pénaliser leurs produits les plus désastreux »
Le lobby agro-alimentaire a donc réussi à faire en sorte qu’une telle réglementation ne soit pas obligatoire et a tenté de faire capoter la réglementation française. Mais finalement, et pour une fois, l’industrie a dû reculer et nutri-score existe. Cependant, il est toujours facultatif. Les industriels développent d’autres codes pour le concurrencer et ne pas pénaliser leurs produits les plus désastreux pour la santé de leurs clients.
Olivier Véran (ex-PS, désormais En Marche), député de l’Isère, qui a déjà porté des propositions de loi liées à l’alimentation, a souhaité étendre le domaine d’application du nutri-score à la publicité pour les produits alimentaires. Vous pouvez lire son amendement ici. Cet amendement, présenté dans le cadre de l’examen du projet de loi pour l’équilibre des relations commerciales dans le secteur agricole et alimentaire, et une alimentation saine et durable, vise à imposer aux industriels de faire figurer sur les supports publicitaires le nutri-score des produits mentionnés. La subtilité c’est que comme on n’intervient plus sur l’emballage, le nutri-score peut être obligatoire, et non plus facultatif.
« Dans le nouveau monde, c’est comme dans l’ancien, tout s’achète »
Olivier Véran, qui n’est quand-même pas un révolutionnaire, propose que les industriels qui voudraient échapper à cette obligation pourront payer 5% du coût de la publicité. Pour traduire, si un industriel vend un produit vraiment très mauvais pour la santé et qu’il ne veut pas que ça se voit, il paie et les consommateurs n’en sauront rien. Aussi incroyable que cela puisse paraître, un député qui prétend s’inquiéter de la santé de ses concitoyens a eu l’idée de prévoir une dérogation par l’argent à une mesure de santé publique… Dans le nouveau monde, c’est comme dans l’ancien, tout s’achète, même le droit d’empoisonner ses clients. Malgré ce dernier point consternant, Olivier Véran était tout content de sa proposition et a fait le tour des médias (Le Parisien, BFM TV).
« Olivier Véran n’ose pas le dire mais l’argument du ministre est absolument nul »
Le 19 avril, l’amendement a été discuté devant la Commission des affaires économiques de l’Assemblée Nationale. La retranscription des débats est édifiante. Après qu’Olivier Véran a rappelé l’objet de son amendement, Jean-Baptiste Moreau (le rapporteur de la loi) puis Stéphane Travert (ministre de l’agriculture et de l’alimentation) prennent la parole pour combattre cet amendement. Le premier se retranche derrière l’avis des services du ministère en invoquant le risque que « la démarche d’expérimentation [du nutri-score] puisse être contrariée par l’obligation » proposée par Olivier Véran. Le second indique que « voter ces amendements reviendrait à faire « tomber » tout le nutri-Score. Le rapporteur et le ministre demandent au député de retirer son amendement et de le retravailler avec le gouvernement. Olivier Véran n’obtempère pas et précise : « Vous anticipez même, monsieur le ministre, la possibilité d’une sanction de la Cour de Justice de l’Union Européenne (CJUE) qui irait jusqu’à empêcher — vous avez dit que l’adoption de l’amendement ferait « tomber » tout nutri-score — des marques d’apposer volontairement un logo sur leurs emballages. […] L’Europe nous a empêchés de modifier le packaging des produits alimentaires mais l’Europe ne dit rien concernant le droit de la publicité et encore moins en matière de santé publique. […] Le passage par la publicité qui, encore une fois, est conforme au droit européen, contrairement à la régulation de l’emballage, permet précisément d’aller de l’avant en matière de santé publique. » Olivier Véran n’ose pas le dire mais l’argument du ministre est absolument nul. Les lobbies ont obtenu de l’Union Européenne que le nutri-score ne soit pas obligatoire sur les emballages, mais la question du nutri-score dans la publicité n’est absolument pas tranchée. Le ministre ne changera pas d’avis : « Intégrer le nutri-score dans la publicité, comme le prévoit l’amendement, le rend de fait obligatoire alors, je le répète, que nous souhaitons nous en tenir à une démarche volontaire. »
« l’industrie agroalimentaire est à l’œuvre en coulisse et parle par la bouche du ministre »
Dans cette dernière phrase, on peut légitimement se poser la question. Qui est ce « nous » qui souhaite s’en tenir à une démarche volontaire ? Qui a donc soufflé au ministre cet argument idiot de la mise en péril du nutri-score facultatif sur les emballages s’il devenait obligatoire dans la publicité ? Clairement, encore une fois l’industrie agroalimentaire est à l’œuvre en coulisse et parle par la bouche du ministre. Point de complotisme ici. Le combat permanent et avoué de l’industrie agroalimentaire contre toutes les mesures contraignantes permettant une meilleure information des consommateurs, combiné à l’histoire du nutri-score, démontrent que se joue ici une nouvelle bataille d’une guerre déjà longue. Pour que le récit soit complet, précisons que Olivier Véran a maintenu son amendement et qu’il a été rejeté par les députés LREM… Cette fois, pas de conférence de presse. Le seul média qui a couvert l’info de manière un peu développée est placegrenet.fr.
« Ce dossier est symptomatique du pouvoir des lobbies dans le processus législatif »
L’amendement aura encore sa chance en séance publique et ça se passe cette semaine. Nul doute que depuis le passage en Commission, bien des députés ont reçu un bel argumentaire leur expliquant qu’imposer le nutri-score dans la publicité ce serait prendre le risque de voir tout le dispositif sanctionné par l’Union Européenne et que ce serait bien dommage… Mieux, un autre lobby s’est mis en action. Le Canard enchainé a, en effet, révélé que les patrons de chaînes de télé ont écrit au gouvernement pour s’opposer à cet amendement. Ils disent craindre une baisse conséquente de leurs recettes publicitaires si le logo indiquant les produits alimentaires les plus nocifs venait à être imposé à la télé. Les recettes publicitaires sont plus importantes que la santé des Français. Ce dossier est symptomatique du pouvoir des lobbies dans le processus législatif. Les lobbies ont portes ouvertes dans les ministères et à la Commission européenne et échangent quotidiennement avec les services. Les députés sont abreuvés de courriers, notes, rapports émanant d’organismes en tous genres, les « informant » des enjeux des lois qu’ils vont voter.
Face à des sujets parfois complexes, les députés sont démunis et suivent le mouvement… oubliant qu’ils représentent leurs concitoyens et que défendre leurs intérêts est leur mission. Il faudra suivre avec attention la suite des aventures d’Olivier Véran au pays du lobby agroalimentaire et désormais du lobby audiovisuel. Le député développe cependant une stratégie plutôt maline. Il médiatise son combat ce qui évite un enterrement en catimini. Il a également réussi à convaincre quelques dizaines de députés LREM de cosigner son amendement avant le passage en séance publique. Il a donc réussi à ouvrir un front au sein même de son groupe parlementaire ce qui est essentiel dans la mesure où les députés LREM sont priés de voter comme un seul homme une fois que le groupe a décidé d’une position. Seule une stratégie hyper agressive comme celle-ci peut venir à bout du travail de sape des lobbies.
Si l’amendement est finalement voté, il ne faudra pas oublier qu’il a prévu une porte de sortie pour les industriels sous la forme d’une pénalité symbolique de 5% du coût de la publicité… Ce point pourrait être le truc malin pour faire passer cette mesure symbolique et sûrement populaire tout en prenant le risque de sa non-application dans les faits…
Dominique Barberye
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