Les routards du futur

Chaque phrase qui suit ne pourrait voir le jour sans vos abonnements et dons sur la page Tipeee. Merci également à celles et ceux qui ont participé au vote en ligne fin juin sur les réseaux sociaux pour élire ce sujet sur les déplacements originaux.

Installez-vous sur les berges de l’Isère à 17h et ouvrez bien les yeux. Le bal commence. Des centaines de travailleuses et travailleurs défilent sous votre nez. La plupart en vélo. Certain·e·s sortent du lot en trottinette, en skate, en gyroroue ou même en vélo couché. Que s’est-il passé pour en arriver là ? Pourquoi ces routards d’un autre genre délaissent-ils les grands classiques ? Posté stratégiquement à l’intersection d’un feu rouge, à la course-poursuite d’un passant, ou lors d’un rendez-vous collectif proposé en ligne, L’avertY a rencontré ces passionnés qui aiment rouler en ville autrement que par des transports en commun, vélos ou voitures.

De gauche à droite, Pierre-Maël, Florent, Sébastien et Laurine au rendez-vous proposé par L’avertY.

Moins de 5 km, du plaisir dans le déplacement.

Calixte, intercepté au carrefour Chavant, roulait tranquillement avec sa planche sur la piste Chronovélo du boulevard Agutte-Sembat, récemment inaugurée. Plus précisément, c’est un longboard, une planche longue quoi. Résident du centre-ville grenoblois, le jeune homme de 23 ans utilise ce matériel pour les petits trajets. Ce jour-là, il rendait visite à sa grand-mère. Se déplacer comme ça c’est “très sympa”, “on peut prendre le trottoir, les pistes cyclables, il n’y a pas de règles réellement”. Mais surtout, “on peut s’amuser à faire quelques virages. Ce genre de chose qu’on ne fait pas avec un vélo”. Ce bien connu deux roues n’est vu que comme un utilitaire par Calixte pour rallier un point A à un point B. “Là, je m’amuse tout en faisant mon trajet”, argumente t-il. Pierre-Maël ne dira pas le contraire. Lui aussi adepte du longboard, il vante les mérites de l’engin à quatre roues :

« On peut éviter des situations de danger, très rapidement. C’est transportable partout avec soi. Une fois acheté, c’est un matériel qui nécessite très peu d’entretien à part les roulements. » — Pierre-Maël, adepte du longboard.

Sa pratique du longboard remonte à “13 ou 14 ans” en arrière. Pratique qui a commencé par l’intermédiaire de l’association Descendeurs Des Environs (DDE) qui se réunissait les mercredis soir à l’anneau de vitesse pour faire découvrir le longboard. Pierre-Maël gravitait autour de l’association à ce moment-là avec son BMX. L’un des membres avait une planche en trop depuis six mois dans son garage. La belle opportunité que voilà ! Après avoir franchi le cap de l’apprentissage et avoir roulé sa bosse sur le longboard, Pierre-Maël se titille, de ses propres aveux, à tenter d’ajouter un moteur électrique à une autre planche qu’il possède. Pour le confort, mais aussi pour faire plus de kilomètres avec.

Laurine en démonstration de shortboard à l’anneau de vitesse du parc Paul Mistral à Grenoble.

Pour Laurine, oubliez la longboard, voici la shortboard, “un skateboard qui date de 1977, l’époque où les skateurs allaient dans les piscines creuses”, raconte t-elle. Elle utilise ce modèle tout simplement “parce qu’on l’a trouvé à l’état neuf dans un hangar”, mais aussi pour son côté transportable, “il peut s’attacher à un sac à dos sans gêner”. Elle fait le même constat que Pierre-Maël sur l’entretien, “ça fait 7 ans que je l’ai, je n’ai jamais changé les roues”. Quand il pleut, elle applique tout de même du lubrifiant sur les roulements. Pour son trajet, elle préfère les pistes cyclables. “Le problème c’est le revêtement, il faut choisir son itinéraire”, explique t-elle. En comparaison, Pierre-Maël témoigne que “le longboard est plus souple pour être plus confortable, plus stable et ça amorti les défauts du bitume”. Avec les pavés grenoblois en shortboard “c’est marteau-piqueur pour les chevilles et les genoux”, lance t-il.

Quand on lui parle de skate électrique, Laurine tranche net.

« Le skate électrique, c’est le même problème que la trottinette, c’est extrêmement lourd, extrêmement cher, c’est des batteries. C’est pas du tout la flexibilité d’un petit skate qu’on peut sangler sur le sac à dos. En plus, il y a le plaisir de réguler sa vitesse avec son propre équilibre. Je ne suis pas du tout pour un système d’assistance. Je préfère plus manger moi que donner de l’énergie à la machine. » — Laurine, adepte du shortboard.

Mickaël aime aussi la solution portable, mais a préféré s’adonner aux rollers pour ses trajets domicile-travail, depuis qu’il est Grenoblois. Son modèle à scratchs lui permet de rajouter les roues à ses chaussures “en même pas 3 minutes” pour “[s’arrêter] sur un commerce ou autre”. Il aime “le côté agréable des pistes cyclables”, trouve ça “plus tranquille que se déplacer à vélo” et lui “permet d’avoir une liberté de mouvement qui est assez intéressante”. En cas de pluie, il prendra exceptionnellement le tram, mais son meilleur plan B est de marcher les 5 km qui le séparent de son travail.

« Au début on n’est pas forcément à l’aise, mais quand on est à l’aise c’est finalement agréable de se déplacer à rollers. » — Blandine, interviewée sur les berges de l’Isère.

Enfin, il y a Régis, croisé par hasard chez un fleuriste du quartier Alma Très-Cloître. Rappelé par téléphone faute de temps, il explique pratiquer la trottinette mais sans assistance électrique. Il l’utilise “depuis 3 ou 4 ans” sur des micro-trajets autour de son lieu de travail grenoblois. C’est une façon pour lui de réduire la durée de déplacements à pied, “c’est pratique et rapide”. Sur l’électrique, il n’en voit pas l’utilité pour l’instant. Habitant à Revel, il se déplace en voiture pour ses trajets domicile-travail.

De 5 à 20 km, la chemise sèche.

Florent a opté pour une trottinette électrique en novembre 2018. Stéphane, lui, a commencé sa pratique du véhicule sur les tout premiers modèles, il y a 4 ans. Tous les deux travaillent sur le campus universitaire de Saint-Martin-d’Hères. Chacun a fait son constat avant de se lancer. Pour Stéphane, un trajet aller de 5–6 km est “trop court pour justifier l’utilisation de la voiture”. Il a trouvé cette option électrique intéressante pour garder sa chemise et son pantalon au sec en arrivant au travail. C’est d’abord cet aspect pratique qui le convainc encore aujourd’hui, renforcé aussi par une sensibilité écologique, “la trottinette me permet de combler ce court trajet de façon un peu plus vert”. Pour ses autres trajets, il prend aussi la trottinette.

« Je fais du bénévolat dans le centre-ville, l’utilisation de la voiture est complètement aberrante pour les petits trajets comme ça. » — Stéphane, adepte de la trottinette électrique.

Mickaël en rollers, Calixte en longboard et Stéphane en trottinette électrique.

Florent, informaticien, avait pensé prendre un vélo au début. Il a étudié le pour et le contre. Son souvenir de vélo volé d’il y a quelques années l’a conforté à choisir une solution transportable, sans besoin de cadenassage (lire aussi le mensuel de L’avertY “Vols de vélo à Grenoble, une fatalité ?”). Un argument également mis en avant par les planchistes précités. Il s’est penché sur l’offre des transports en commun mais c’est “trop cher pour ce que c’est” et trop lent pour lui. Le tarif plein mensuel est à 57,80€ par mois.

Le modèle qu’il possède est de fabrication chinoise et coûte l’équivalent d’une console qui vient de sortir, 330€. Stéphane se rappelle avoir acheté son modèle de l’époque pour 450€. Si Florent trouve que l’outil est “très efficace dans un rayon de 10 km”, il en tire un bilan mitigé. “J’ai crevé un pneu sur la trottinette et je n’ai pas réussi à le changer”. Il a finalement toqué à une boutique de réparation pour vélo à Championnet. Le magasin a déjà reçu quelques trottinettes électriques. “C’est pas donné”, le changement de pneu avant a coûté 30€. Pendant cette interruption de deux mois, Florent a repris le vélo malgré sa réticence de départ. “Avec le recul et l’expérience, je privilégierais plus le vélo entre trois et quinze kilomètres”, tout en ayant en tête d’amortir le coût de la trottinette, pourquoi pas dans le cas d’un changement de trajet domicile-travail.

Sur la durée de vie du véhicule, Stéphane fait le constat “d’une perte de puissance assez importante” de sa batterie. Résultat, il a laissé un deuxième chargeur sur son lieu de travail pour recharger en pleine puissance à chaque trajet, aller ou retour. De plus, son modèle n’a pas été pensé pour changer la batterie, “c’est plus cher de remplacer la pile que de changer de trottinette”. Il y a aussi les freins pas très sécurisants “qui ne sont pas un argument de vente” auprès de ses collègues, et les pneus pleins qui entraînent plus facilement la glissade que les nouvelles roues avec chambres à air.

Plus de 20 km, sans avoir mal aux fesses.

En restant attentif sur le défilé de vélos des quais de l’Isère, vous y trouverez Christian, adepte du vélo couché. Des vélos pas si rares puisqu’il existe des magasins spécialisés en France, dont un à Crolles. Des vélos qui coûtent chers car fabriqués sur demande, à la pièce. L’entrée de gamme est à 1000€. Un prix qui ne l’a pas rebuté : “par rapport à une voiture, il est amorti en quelques mois”. Le gros avantage de ce type de vélo c’est le nombre de kilomètres qu’on peut parcourir sereinement.

« On a vraiment un coefficient de pénétration dans l’air qui est plus intéressant. On fournit moins d’efforts qu’avec un vélo normal. On est couché donc on a un meilleur développement musculaire. Et puis surtout, on n’a pas mal aux dos ou aux fesses, on peut faire des kilomètres sans souffrir. » — Christian, adepte du vélo couché.

Notez le sourire de Christian dans le rétroviseur de son vélo couché.

Le vélo n’est pas électrique et demande un certain temps d’acclimatation. Christian estime qu’il faut une semaine pour ré-apprendre à pédaler, trois mois pour se sentir à l’aise et un an pour oublier qu’on roule avec un engin original. Le point faible du vélo-couché, c’est pour tourner. “Pour traverser la ville, ce n’est pas très pratique, ça tourne moins bien”, témoigne t-il. Les rétroviseurs permettent aussi de mieux “savoir ce qu’il se passe autour de soi”, “on peut moins tourner le cou”. Alors, est-ce que ça vaut le coup (et le coût) ? Christian reste mystérieux, “il faut l’essayer pour savoir”.

Bien au-delà de Grenoble, le vélo cargo ultime.

Attention, le meilleur est pour la fin ! Dans la catégorie vélo transformé, celui de Sébastien met la barre très haut. Ce vélo cargo permet de transporter 160 kg de charges tout en permettant de rentrer dans un sac de 120 cm par 90 cm, pour le transport en train. L’arrière du véhicule lui permet de transporter toute la famille. Tout d’abord ses enfants de 6 et 12 ans, mais aussi sa mère de 75 ans pour la déposer à la gare. “Au début elle serrait les fesses, mais aujourd’hui c’est normal ça ne l’inquiète plus du tout.” Un deuxième guidon permet de se sécuriser. On dirait du chalage de luxe, les pieds posés sur des barres fixées, le tout sur la roue arrière. Cette configuration-là lui a permis de réaliser un trajet de vacances en région parisienne, puis dans la foulée en Bretagne à Croisic, en alternant trajet en train et à vélo.

Au tout début, Sébastien cherchait des solutions pour arriver à transporter à la fois son enfant qui venait de naître et à la fois faire ses courses pour une semaine, le tout sans utiliser de voiture. La solution se présenta par hasard lors d’un trajet à vélo.

« J’ai eu un éclair, j’ai croisé quelqu’un qui avait ce type de vélo. Je l’ai alpagué, je l’ai rattrapé à fond la caisse à vélo, dans la rue. C’était à l’estacade. Je lui ai posé deux, trois questions. » — Sébastien, adepte du vélo cargo.

Références prises, il a importé son premier vélo cargo trois mois plus tard des États-Unis pour 800€, avec 120€ de taxe d’importation. Son deuxième déclic sur les vélos cargos a eu lieu lorsqu’il s’est retrouvé à devoir faire des travaux d’isolation alors que sa femme était partie avec la voiture pour trois jours. À l’aide de sangles et quelques improvisations, il a pu charger son vélo de plaques d’isolation. Depuis, il a transporté des troncs, des déchets verts, des palettes en bois. Il peut dépanner des cyclistes en remorquant la roue avant, tout comme le fait une dépanneuse. Le prototype actuel de Sébastien est le résultat de plus de 10 ans de passion pour le vélo. Très heureux de faire du vélo tous les jours, il a “une forme en pétard”.

Ludovic Chataing, journaliste web pour L’avertY.


Si tu as tout lu jusqu’ici, c’est que cet article t’a vraiment plu ! L’avertY ne fait aucune demande de subvention et ne donne aucune publicité. Ceci pour garantir la qualité de l’information. D’autres ont déjà franchi le cap de l’abonnement, pourquoi pas toi ? La page Tipeee est là pour ça : bit.ly/donlaverty.

Pas convaincu·e ? Envoie-moi un mail à ludovic.chataing@laverty.fr pour savoir ce qui te freine, et donc ce qui pourrait freiner d’autres.

La prévention sur le fil

Le 1er juin 2019, le résultat du vote mensuel tombe et donne une répartition inédite des votes. Parmi les trois sujets, “les éducateurs de rue” tire son épingle du jeu avec 36% des votes. Une chance pour l’éducation spécialisée en prévention de faire mieux connaître son action sur l’agglomération grenobloise.

Marie-Noëlle Toia, cheffe de service depuis 8 ans à l’Apase de Fontaine préfère dire “éducateur de rue”, mais “ça dépend de l’interlocuteur”. Dans le jargon politique ce sera plutôt “éducateur spécialisé dans la prévention”. L’Apase (Association pour la Promotion de l’Action Socio-Éducative) est une des principales structures de l’Isère qui va permettre à des jeunes de 11 à 21 ans “en voie de marginalisation” de se raccrocher à la société, au système éducatif et professionnel, ceci par la création de liens, directement là où sont les jeunes. De “l’aller-vers”, dans la rue, d’où le nom de métier plutôt simple à comprendre d’éducateur de rue.

À la rencontre de groupes

Un travail présentiel, de terrain, la plupart du temps en binôme, que Caroline Chantier et Rémy Barthélémy exercent depuis respectivement 5 ans et 1 an sur Fontaine. La majeure partie du temps, ce sont des groupes que les deux professionnels vont rencontrer. “C’est rare qu’il y ait un jeune, posé, seul”, précise Caroline Chantier. La démarche classique consiste alors à se présenter, “bonjour, on travaille pour l’Apase”, de serrer la main et d’entamer la conversation. Il n’y a pas de réponses types toutes faites car les éducateurs travaillent sur la libre adhésion, au cas par cas.

Parfois le contact est simple, car l’Apase est déjà bien connue des jeunes. C’est le travail sur plusieurs années qui a forgé une réputation positive aux éducateurs de Fontaine. “Tout commence quand le groupe a vu qu’on allait vers eux”, développe Rémy Barthélémy. Les éducateurs sont vite identifiés, repérés, car “ce n’est pas tout le temps que les adultes viennent leur adresser la parole comme ça”. Parfois le contact est plus glacial, “est-ce qu’on vous dérange ?”. Dans ce cas la discussion est écourtée pour être retentée à un autre moment. Le travail en binôme est essentiel pour aborder les groupes. En témoigne Rémy Barthélémy, “seul on subit plus les “je le sens, je le sens pas”, tout seul je n’aurais peut-être pas la foi d’y aller”.

Ces premiers contacts permettent ensuite aux jeunes de partager des problèmes qu’ils rencontrent et de se faire aider par l’Apase. Les éducateurs peuvent aussi détecter des problèmes personnels par “l’observation et l’intuition” et faire des propositions. Cela passe par des prises de rendez-vous à l’Apase, par des propositions de projets en groupe, de sorties, de loisirs, mais aussi de participation à des chantiers pour gagner un peu d’argent. Grâce aux binômes, les éducateurs peuvent avoir des conversations différenciées, “ça permet de te décaler, d’avoir des moments privilégiés avec certains”, explique Caroline Chantier.

Les chantiers éducatifs lancés par la suite permettent de travailler le savoir-être et le savoir-faire des jeunes sur plusieurs jours, et jusqu’à deux semaines. Les missions peuvent être du travail de peinture, en espace vert, en cuisine. Caroline Chantier accompagnait récemment un groupe de cinq filles entre 16 et 18 ans à la fête de quartier pour vendre des merguez, et permettre leur départ en vacances avec l’argent récolté. Un moment où l’accompagnement se révèle simple, mais indispensable : montrer comment s’organiser, faire le feu, aider à la caisse pour la vente.

“Je leur dis : on ne va pas faire pour vous, on va faire avec vous.” — Caroline Chantier, éducatrice de rue à Fontaine.

Tisser des liens

On n’est pas des médiateurs, on n’est pas des policiers”, explique la cheffe de service Marie-Noëlle Toia. L’équipe “médiation prévention” de Fontaine sera, elle, sur des missions de prévention de conflits avec le voisinage, sur la sécurité dans l’espace public. Cette équipe-là ne s’adresse pas qu’aux jeunes et ne propose pas forcément de solutions éducatives pour les jeunes. “Le but [des éducateurs de rue] est de créer du lien avant tout”, précise Rémy Barthélémy. Le métier d’éducateur de rue reste particulier, il ne correspond pas à des heures fixes chaque semaine, mais à un “mandat de territoire”. Selon le diagnostic établit, les éducateurs vont devoir assister à des événements de leur territoire, parfois tardifs. Un cinéma en plein air peut nécessiter une présence d’éducateurs de rue de 22h à minuit, par exemple. Ce ne sera pas des horaires de nuit pour autant.

“Plus on décale, plus on peut être face à des groupes qui sont déjà alcoolisés ou qui ont déjà pris des produits. Ce n’est pas forcément confortable. L’idée c’est d’être dans l’éducatif, il faut que les jeunes soient en capacité d’entendre ce qu’on va leur dire.” — Marie-Noëlle Toia, cheffe de service à l’Apase Fontaine.

Marqué localement par un transfert de compétences

En 2017, les compétences de la prévention spécialisée sont transférées du Département de l’Isère à Grenoble-Alpes Métropole, sur son territoire. Un transfert pas si anodin que ça, qui a entériné une baisse d’effectifs à Fontaine, passant de 4 à 3 ETP (équivalent temps plein). Les jeunes de 21 à 25 ans ne sont plus suivis par l’Apase également. Le Département avait même abaissé le seuil d’accompagnement à 18 ans, avant qu’il ne soit remonté à 21.

La dimension politique pèse aussi sur le métier d’éducateurs de rue. La décision de répondre à une interview média est soumis à une forte hiérarchie. Un éducateur de rue de l’Apase expliquait qu’un précédent article d’un autre journal ayant mal traité le sujet l’obligeait à passer désormais par sa hiérarchie avant de pouvoir répondre, et que très clairement il ne voulait pas prendre le risque de mettre son travail en jeu en bravant cette consigne. Si Rémy Barthélémy était déjà prêt à répondre aux interviews de L’avertY, ce n’était pas le cas de Caroline Chantier, qui explique n’avoir pas eu vraiment le choix, tout en se prêtant finalement à l’exercice.

Notre métier est globalement toujours sur un fil, assez complexe dans sa mise en œuvre. Le social est de plus en plus soumis à du retour sur l’investissement. Derrière, on veut un résultat. Ce qui est toujours compliqué puisqu’on est sur de l’humain. C’est compliqué de parler de résultats quand on parle de trajectoires de vies.” — Rémy Barthélémy, éducateur de rue à Fontaine.

Alors que la gestion des missions se veut métropolitaine, certaines communes ajoutent des budgets supplémentaires. C’est le cas de Veurey avec un temps de 7 heures par semaine, géré par l’Apase. “Ce sont des choix politiques, certains préfèrent financer un service loisirs ou jeunesse sur la commune”, développe Marie-Noëlle Toia. Un mi-temps est directement financé par la ville de Seyssinet également. Eybens fait aussi partie des villes de la Métropole à ajouter du financement sur cette mission d’éducation spécialisée, par l’intermédiaire du Codase. Pour consolider l’intérêt des élus métropolitains sur cette mission, un film a été réalisé avec des témoignages de chaque acteur (jeunes et éducateurs).

Missions éducatives avec les parents

Dans le quartier Teisseire à Grenoble, les éducateurs de rue du Codase (Comité Dauphinois d’Action Socio-Éducative) sont régulièrement présents auprès des parents. C’était le cas lundi 24 juin lors d’une conférence-débat à la Maison des Habitants (MDH) Teisseire-Malherbe. Olivier Anas et Jenny Salvatge, éducateurs sur le quartier, ont participé à la conférence animée par le psychologue Clément Ségissement, avec une dizaine de parents.

Réunion à la Maison des Habitants Teisseire-Malherbe avec Clément Ségissement (assis sur la table).

Une conférence qui a permis aux parents d’exposer des cas pratiques et avoir un avis professionnel sur les meilleurs comportements à adopter en tant que parent. Un père de famille expliquait avoir “pété un plomb”, avant de se ressaisir. Il ne pouvait plus supporter le comportement de son fils de 17 ans. Il lui a demandé de partir. Lui a donné 50 euros et lui a dit qu’il pouvait revenir quand il n’avait plus d’argent, mais qu’il ne voulait plus le voir chez lui. À ceci, le psychologue Clément Ségissement a été rassurant : “vous n’avez jamais lâché, puisque vous restez le financeur”. La situation s’est par la suite améliorée. “Ils font des choix, vous continuez à être là”, ajoute Jenny Salvatge, et désacralise son rôle “nous, on n’a pas de baguette magique. S’ils se plantent, je ne serais pas atteinte par ça. Je prends du recul.” Lors du petit pot qui suivi, ce même père de famille faisait l’éloge de l’action du Codase : “il faut qu’on en parle plus, il faudrait le même pour les parents”.

Les missions éducatives dans la rue et dans les familles peuvent se compléter. Clément Ségissement ajoutait que “le rôle de parent est joué par beaucoup de gens”. Le rôle d’un grand frère ou sœur dans la famille peut intervenir parfois. Une personne habituée du quartier témoignait avoir déjà joué un rôle pour calmer des jeunes du quartier. Sans aucune mission d’éducateur de rue, il allait ensuite en parler avec les parents concernés. “Une personne ressource” qui ne sera pas soumis au même respect de l’anonymat et secret professionnel que les éducateurs de rue.

Ce qu’on vend, c’est la confiance qu’on peut nous faire”, termine Rémy Barthélémy. Un travail d’éducateur de rue qui s’expérimente aussi sur les réseaux sociaux, là où se trouvent les jeunes, avec quelques agents qui passent 5 heures par semaine sur ce nouveau terrain virtuel. Y aura t-il un jour plus d’éducateurs en ligne que sur le terrain ?

Ludovic Chataing, journaliste web pour L’avertY.


Tout travail mérite salaire, ne croyez-vous pas ? Faites un don sur Tipeee.

Le climat, nouveaux combats

“Les jeunes mobilisés pour le climat” est un sujet proposé par une abonnée. Il a été retenu à 53% lors du vote final du 30 avril et 1er mai 2019. Après Nuit debout et les gilets jaunes, les jeunes seront-ils la nouvelle force citoyenne des prochaines années ?

« Notre biosphère est sacrifiée pour que des personnes riches dans des pays comme le mien puissent vivre dans le luxe. […] En 2078, je fêterai mes 75 ans. Si j’ai des enfants peut-être qu’ils passeront la journée avec moi. Peut-être qu’ils me demanderont de parler de vous. Peut-être qu’ils me demanderont pourquoi vous n’avez rien fait alors qu’il était encore temps d’agir. Vous dites que vous aimez vos enfants par dessus tout et pourtant vous volez leur futur devant leurs yeux… »

Ces mots sont ceux de Greta Thunberg, jeune suédoise de 16 ans, lors d’un discours prononcé à la COP24 le 12 décembre 2018 à Katowice en Pologne. Un discours fondateur qui va permettre, grâce à sa diffusion sur Instagram, de mobiliser de nombreux jeunes à travers le monde. À Grenoble, du smartphone à la mobilisation en collectif, il n’y a qu’un pas. Sous la bannière Fridays for future, collégiens, lycéens et étudiants s’organisent pour leur nouveau combat, celui de la défense du climat face aux pollutions et au réchauffement climatique. Leur première action visible dans la presse sera la manifestation mondiale du 15 mars dernier. D’après France 3 Alpes, elle a regroupé 3000 manifestant·e·s sur Grenoble. Un cortège parmi les 2000 autres à travers la planète.

L’éveil d’une génération

“Je me disais que c’était impossible qu’il y ait une manifestation à Grenoble”, témoigne Bastien Beretta, en seconde au Lycée du Grésivaudan à Meylan. Mobilisé une semaine avant le 15 mars, il s’est impliqué dans l’organisation du mouvement, grâce à la plateforme Discord qui regroupe une trentaine d’actifs locaux et 200 sympathisants. Maryem Taib, nouvelle arrivante sur Grenoble en septembre en troisième au collège Vercors, s’est engagée dans ce groupe “dès que j’ai su” qu’il existait. Contrairement au Lycée du Grésivaudan, elle trouve “très dur de mobiliser les autres” et dénonce l’inaction des établissements scolaires, “on ne nous parle pas d’environnement, on apprend des principes qui ne sont pas humanitaires”. En écho à ces propos, Stéphane Mayer, également en seconde au Lycée du Grésivaudan, estime apprendre beaucoup de choses depuis qu’il est dans le mouvement Fridays for future. En dehors des discussions web, le groupe se réunit dans la vraie vie, quasiment chaque vendredi après-midi devant la mairie de Grenoble ou Place de Verdun, “de 13h à 17h, selon la météo”.

Le groupe cherche aussi à organiser d’autres actions plus directes, comme le 4 mai dernier pour une action de désobéissance civile dans un hypermarché afin de dénoncer la surconsommation. Les participants ont rempli des caddies de certaines marques comme “Coca-cola, Ferrero, Colgate”, puis ont manifesté auprès des clients du magasin. Malgré une protestation des vigiles, l’action s’est déroulée sans interpellation. Les policiers appelés pour l’occasion n’ont posé que quelques questions, sans donner suite. Bastien explique aussi le rôle des deux majeurs du groupe Extinction Rebellion “pour expliquer et calmer le jeu”.

Parents et professeurs à la traîne

Les jeunes rencontrés dans ce mouvement grenoblois pour le climat se sont mobilisés par eux-mêmes, sur les réseaux sociaux, entre ami·e·s ou frères et sœurs. S’il y a bien des prédispositions dans les familles sur la sensibilisation au tri des déchets, sur la pratique du vélo, les parents ne sont pas des fervents militants dans la grande majorité. Pour Bastien, son père est un “écolo normal”, avec une seule manifestation récente sur les services publics à son actif. Ethel, étudiante interviewée en manifestation le 24 mai, explique que “en théorie, mes parents sont d’accord qu’il faut faire des choses pour que ça change, mais en pratique c’est plutôt moi qui pousse”.

Chez Stéphane, il a fallu négocier auprès des parents sa participation à la grève pour le climat. Son petit frère Gabriel, en 6ème, n’a pas pu obtenir le même droit. Il peut seulement participer symboliquement aux actions en portant un brassard vert au collège. “Il s’engage à son échelle.” Dans les établissements, il n’y a pas de réponse globale face aux actions grévistes. Le professeur de physique de Stéphane se contente de rester neutre face aux choix de la grève. Celui de mathématiques de Maryem va plutôt l’inciter à réfléchir sur un article qui fait passer le message qu’il ne suffit “pas de se plaindre, mais qu’il faut proposer autre chose”. Au Lycée du Grésivaudan, la proviseur ne veut pas d’affichage dans son établissement pour annoncer les grèves et actions. Les élèves contournent l’interdiction par les réseaux sociaux, ou en posant des “messages secrets” dans les toilettes notamment, seul espace réservé aux élèves. Maryem pense que les adultes ont une grande part de responsabilité dans le réchauffement climatique, “est-ce qu’ils vont parler de ça avec leurs enfants ?”. Bastien ajoute, “venez sauver le monde, c’est pas que les jeunes, c’est tout le monde”.

Plus chauds que le climat

La dernière grande manifestation mondiale pour le climat s’est déroulée vendredi après-midi à Grenoble entre 14h00 et 16h30. À l’approche des examens de fin d’année, la mobilisation dans la rue s’est comptée en quelques centaines de personnes, avec ses slogans, pancartes et banderoles. “Vous êtes à court d’excuses, nous sommes à court de slogans” est tirée du discours de Greta Thunberg. Un autre plus violent, comme “ils coupent les arbres, on coupera les têtes”. Ou encore le très mignon, “désolé maman, je sèche comme la planète”, tenu par une fille d’environ 10 ans.

Le cortège passe devant les usagers du tram à l’arrêt Hubert Dubedout.

Dans la rue, les passants s’arrêtent pour voir arriver le cortège. Contrairement aux défilés usés des syndicats, celui-ci dénote avec des jeunes qui passent par les trottoirs et qui scandent “et 1, et 2, et 3 degrés, c’est un crime contre l’humanité”, ou le désormais historique, “on est plus chauds, plus chauds, plus chauds que le climat”. Sur des grands carrefours, les jeunes s’arrêtent, s’assoient pour ensuite lancer un clapping collectif. De quoi galvaniser la foule, joyeuse et déterminée. Dans ce cortège grenoblois, de nombreuses jeunes femmes sont présentes. En procédant à des interviews au hasard, le micro de L’avertY n’a rencontré qu’une seule fois un jeune homme, pour cinq jeunes femmes. Certaines vont jusqu’à bloquer des voitures avec leur panneau, brandi avec détermination. Ce qui vaudra quelques altercations sans histoires, gérées en partie par des adultes à l’arrière du cortège, ou par un policier qui est allé à leur rencontre.

L’arrivée est tout aussi structurée, avec un dépôt de fleurs et de pancartes en hommage aux futures victimes du réchauffement climatique, accompagné d’une minute de silence. Le discours de Robin Jullian, 16 ans et membre actif de Fridays for future Grenoble vient clore l’après-midi, avec quelques petites annonces supplémentaires. À deux jours de l’élection européenne française, il lance un appel au vote :

« Il paraît que beaucoup souhaitent s’abstenir. Ce que nous vous demandons, c’est d’aller voter, car nous les jeunes nous n’avons aucune voix, alors que ces élections nous concernent. Ne pas voter, c’est accepter la confiscation de la démocratie. »

Un appel au vote qui sera entendu en France et Allemagne, avec un boost pour les partis étiquetés écologie. D’après l’enquête Ipsos/Sopra, Europe Écologie-Les Verts a capté 25% des votes des 18–24 ans, et 28% chez les 25–34 ans. Pour l’institut Harris Interactive, la tendance est également visible mais en plus faible proportion. John, 22 ans, étudiant en Master Information et Communication pense que “voter est un devoir”, avec cette réflexion paradoxale “si voter servirait, ça serait interdit”. Ce gilet jaune des premiers week-ends aura trouvé une action plus pérenne dans ce groupe local pour le climat. Une semaine d’actions est déjà en préparation à partir du 23 septembre. De quoi faire perdurer le mouvement sur le long terme ?

Ludovic Chataing, journaliste web pour L’avertY.


Soutenez la production de contenus de L’avertY sur Tipeee.