📣 « Bouger à un moment de notre vie pour ne pas rester autocentré sur son pays »

Originaire de Grenoble, Eve a étudié à l’Université Joseph Fourier puis en Belgique pour devenir vétérinaire. Début 2018, elle part à Montréal rejoindre son copain et découvre la vie d’expatriée au Canada. Elle a partagé par e-mail pour ses ami·e·s son ressenti sur les conditions de travail sur place et a accepté de le partager comme témoignage pour L’avertY.

Mon copain est en mission d’un an pour sa boîte. J’ai obtenu un visa de travail ouvert de conjoint de fait (le visa de la petite copine qui suit son mec). J’ai le droit d’être au Canada et d’y travailler que si mon copain y est également. Je n’ai pas accès à la sécu’, ni aux études (c’est interdit de s’y inscrire). En gros, je suis « femme de ». Là tu te sens bien immigrée, tu te prends une assurance privée de voyageur car non-résident permanent… Si j’ai besoin d’aller chez le médecin, je dois ramener 150$CAD (95€ environ) en cash uniquement. Et seulement après, j’ai le droit d’être reçue par un médecin, avec une attente bien longue. On se plaint du système médical français, mais ici, c’est bien pire. J’ai dû expliquer ce que j’avais à la toubib et lui dicter l’ordonnance.

« Y a un gros mix de tout ici »

On habite en ville, dans un quartier vraiment cool qu’on appelle « le plateau ». Point négatif : il y a plein de Français et on n’est pas venu pour ça à la base. Y a des restaurants végans de partout, toutes les épiceries ont des produits végans, sans gluten et bio. On a le quartier des artistes juste à côté et c’est plutôt fun, tu peux croiser un travelo (genre la cage aux folles), et juste après un juif en mode Rabbi Jacob, puis des gros toxicos, et juste après une rangée de Porsche cayenne. Y a un gros mix de tout ici, c’est peace & love. Puis, y a des poutines aussi, mais je crois qu’il faut un estomac qui a l’habitude de digérer le gras.

« C’est vrai qu’il y a du travail ici, mais ça ne veut pas dire qu’il soit bien payé »

J’ai trouvé du travail dans une clinique vétérinaire en tant que technicienne (officiellement, je suis aide-technicienne), c’est comme une assistante vétérinaire, mais plutôt infirmière. C’est-à-dire qu’on fait toutes les prises de sang, on pose les cathéters et on fait les anesthésies (du calcul de doses à l’intubation etc). C’est vraiment très pratique, bien plus qu’une assistante en France. Je ne fais pas le ménage, ni l’accueil ou le téléphone. C’est vrai qu’il y a du travail ici, mais ça ne veut pas dire qu’il soit bien payé. Je suis à 15$CAD (9,44€) de l’heure, soit moins que le SMIC en France (brut France à 9,88€ par heure). Ici, le salaire minimum c’est 11.5$CAD (7,24€). J’ai un weekend sur quatre de congés. Les heures supplémentaires ne sont pas mieux payées et sont obligatoires. Mon patron m’a embauché en me disant que je n’avais pas le diplôme officiel de technicienne (mon diplôme européen de vétérinaire ne vaut rien ici), et m’a dit qu’il m’augmenterait si je suis compétente. S’il tient sa parole, on est en plein dans l’American Dream : t’as pas le diplôme, je te prends quand même et si tu gères, je t’augmenterai, donc tu vas tout donner au taf. Bien sûr je suis déclarée, mais je n’ai pas de contrat. On peut se faire dégager du jour au lendemain, sans raison, et donc partir quand on veut. D’ailleurs, cette semaine, je fais un essai de technicienne dans une autre clinique qui s’occupe d’oiseaux et d’animaux exotiques. Je vais donc peut-être changer de job. C’est une opportunité qui ne se représentera peut-être pas deux fois dans ma vie. Passer l’équivalence, c’est plus d’un an d’examens et environ 10000$CAD de frais (environ 6.300€). Je vois mon expérience de technicienne plutôt comme un stage à l’étranger.

« Je croise beaucoup de Québécois qui veulent partir en France »

Instant philosophie… L’herbe n’est pas plus verte ailleurs. Bien sûr, c’est cool d’avoir une expérience à l’étranger dans ces conditions, mais ça permet aussi de voir ce qui ne va pas ailleurs, de se rendre compte des avantages de son chez-soi. J’avais déjà connu ça en Belgique, mais je n’étais qu’étudiante et pas dans la vie active. Ici, je croise beaucoup de Québécois qui veulent partir en France. En fait, je crois qu’on a tous besoin de bouger à un moment de notre vie pour ne pas rester autocentré sur son pays et sa manière de vivre. Et c’est très bien. Mais beaucoup déchantent, ça permet aussi de se rendre compte de ce à quoi on aspire comme situation et surtout à ce qu’on ne veut pas. Regardez combien je suis payée… si je n’avais pas le sponsor de mon copain, je ne l’aurais sûrement jamais fait. Les vétérinaires trouvent, ici aussi, qu’ils ne sont pas assez payés pour le travail fourni et veulent des conditions de vie plus agréables, alors qu’elles sont bien meilleures que les nôtres en France. Mais c’est humain de toujours vouloir mieux. Il y a certains cas où clairement, je conseillerai d’y aller. Par exemple, la tolérance pour les couples gays ou les trans dans la rue, ça n’a juste rien à voir.

Eve L.

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Auteur/autrice : Rédaction de L'avertY

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